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Commerce équitable : les Indiens sont au coton

Par Claude Gauvreau

15 octobre 2007 à 0 h 10

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Au cours des derniers mois, les journaux en Inde ont fait grand bruit de la vague de suicides chez les petits producteurs de coton qui, endettés, n’arrivent plus à faire vivre leur famille. Julien Boucher, Caroline Mailloux et Alice Fraser, finissants de la maîtrise en sciences de l’environnement, peuvent en témoigner. Ils ont séjourné cinq mois dans trois régions de l’Inde, troisième plus gros producteur de coton au monde, afin de compléter leurs recherches pour leur mémoire.

«Nous voulions être sur le terrain pour vérifier si le commerce équitable du coton contribue au développement durable sur les plans économique, social et environnemental, et s’il permet d’améliorer les conditions de vie des agriculteurs», explique Julien. Leur séjour s’inscrivait également dans le cadre des travaux de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, où ils oeuvrent à titre d’assistants de recherche.

Le commerce équitable fait partie de ce qu’il est convenu d’appeler les «nouveaux mouvements sociaux économiques». Il se veut une alternative au marché conventionnel en créant un réseau de transactions économiques porteur de valeurs de justice et d’équité. Confiné jusqu’à la fin des années 1990 à un marché limité et à un nombre restreint de produits et de points de vente, le commerce équitable a connu, depuis, une croissance importante, notamment dans les secteurs de l’alimentation et du vêtement.

En Inde, le commerce équitable demeure un phénomène marginal, observe Julien. Dans la région où il se trouvait, près de 3 000 familles, parmi des dizaines de milliers, s’y adonnaient. Mais l’intérêt grandit, ajoute celui qui a étudié le cas de l’entreprise française Ideo, créée en 2001, qui importe et distribue des vêtements dits équitables et biologiques. «L’entreprise avait pour partenaire local une petite fabrique de coton biologique dont le nombre d’employés est passé, en cinq ans, de 19 à 400, avec des conditions de travail – salaires, santé-sécurité, retraite – nettement améliorées.»

Briser le cercle de la dépendance

Les petits producteurs de coton sont dépendants pour leurs récoltes d’insecticides et autres produits chimiques, particulièrement coûteux, qui nuisent à l’environnement et à leur santé, explique Julien. Ils sont aussi sous la coupe des money lender, sorte d’usuriers qui leur prêtent de l’argent à des taux d’intérêt atteignant les 50 %. En outre, dans plusieurs provinces, ce sont les États qui fixent le prix d’achat du coton, inférieur souvent aux coûts de production.

Plusieurs producteurs découvrent, toutefois, les avantages du commerce équitable et du coton biologique, poursuit Caroline Mailloux. «Le coton biologique contribue à briser le cercle de la dépendance aux produits chimiques et permet aux agriculteurs d’économiser jusqu’à 50 % des coûts de production, souligne-t-elle. Le commerce équitable, pour sa part, favorise l’établissement d’un prix juste, supérieur au prix moyen du marché, alors que la certification du produit, équitable ou biologique, donne droit à une prime dont un certain pourcentage est réinvesti dans des projets de développement.»

Tenir compte de la culture locale

Selon les deux étudiants, les codes de conduite prônés par le commerce équitable entrent parfois en conflit avec les us et coutumes de certains pays du Sud. «En Inde, précise Caroline, ce ne sont pas tous les producteurs de coton qui soutiennent l’interdiction du travail des enfants, l’égalité salariale entre les hommes et les femmes et la syndicalisation.» Dans la région où elle faisait enquête, les travailleurs d’une entreprise préféraient travailler plusieurs jours consécutifs et accumuler des heures supplémentaires, pour pouvoir disposer ensuite de trois ou quatre journées de congé et rendre visite à leurs familles vivant dans des régions éloignées.

«Au début de nos études de maîtrise, on achetait du café équitable mais on connaissait à peine le concept de commerce équitable, raconte Julien. Aujourd’hui, après avoir confronté la théorie à la pratique, nous comprenons mieux ses limites.» Cela dit, l’importance du commerce équitable pour Caroline et Julien ne se limite pas à un pourcentage de ventes et à des parts de marché. Sa présence interpelle les grandes entreprises et contribue à bousculer les manières de faire.

En mai 2008, à Montpellier, un troisième colloque international se penchera sur l’avenir du commerce équitable. Pour certains, le mouvement doit s’allier aux grands distributeurs afin d’accroître les parts de marché et offrir aux producteurs des pays du Sud davantage de débouchés. Pour d’autres, cette alliance est contraire à l’un des principes du commerce équitable – l’élimination d’intermédiaires – et signifie l’intégration dans un système où les règles à observer seraient dictées par d’autres. Un débat à suivre…