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Le Quartier des spectacles : conserver l’ancien en créant du neuf

Par Claude Gauvreau

17 septembre 2007 à 0 h 09

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Nouvelle recrue au Département de sociologie, Anouk Bélanger est une spécialiste de la culture populaire urbaine. Elle termine actuellement une recherche sur l’histoire culturelle de l’alcool à Montréal, qui est aussi l’histoire du Faubourg Saint-Laurent. Elle a également obtenu une subvention pour étudier le projet du Quartier des spectacles de Montréal, lequel pourrait modifier le paysage de la ville et… du Faubourg.

Ce nouveau grand projet urbain, tant par ses visées commerciales et touristiques, que par sa recherche d’un rayonnement international, s’inscrit dans un processus de «spectacularisation» de la ville, devenu particulièrement visible à partir des années 90, affirme la jeune chercheuse. «L’objectif, dit-elle, est de faire de Montréal une ville spectacle toute l’année et de consolider le rôle culturel du Faubourg Saint-Laurent.»

De Montréal, ville ouverte…

Jonction ferroviaire liant l’Est du Canada aux villes américaines, mais aussi ville portuaire, Montréal a toujours été au coeur d’un réseau de communications qui, dès les années 1920-30, la mettait en contact avec les courants artistiques et musicaux populaires de New York et Chicago, tels le jazz, le vaudeville et le burlesque. À l’époque de la prohibition, rappelle Mme Bélanger, Montréal devient une ville ouverte où l’on peut boire de l’alcool légalement, un centre important de culture et de divertissement en Amérique du Nord. Le Faubourg Saint-Laurent, notamment, se démarque par sa diversité culturelle, de jour comme de nuit, abritant clubs et cabarets.

Aujourd’hui encore, les centres culturels portugais, latinos et grecs côtoient le Monument national et l’Espace Go, alors que des brasseries jouxtent des cafés branchés et des librairies. Pour Mme Bélanger, «ces échanges entre le passé et le présent, entre culture de masse et culture d’élite, entre underground et commercial, se nourrissent et se renouvellent constamment, contribuant à la spécificité de la culture montréalaise.»

… à Montréal, ville spectacle

Les grandes villes occidentales, y compris Montréal, sont désormais au coeur d’une dynamique globale de compétition, cherchant à se distinguer symboliquement les unes des autres, souligne la professeure. Compétition qui se manifeste de plus en plus sur le terrain de l’économie du divertissement. «Depuis les années 80, Montréal cherche à attirer les investisseurs, les promoteurs et les entreprises des milieux du spectacle, du divertissement et du multimédia afin de compenser le déclin de certains secteurs industriels et de créer un environnement attrayant de consommation et de récréation pour les touristes et les résidants de la ville.» Sur l’Île de Montréal, l’industrie des arts et du spectacle génère annuellement plus d’un milliard de dollars et fournit des emplois à plus de 16 000 artisans et créateurs.

En plus de préserver une dimension locale originale, Montréal tente aussi de projeter une image de marque internationale, semblable à celle que l’on retrouve dans d’autres grandes villes occidentales. «Entreprise paradoxale qui veut redonner vie à une mémoire collective tout en la transformant, conserver l’ancien en en faisant du neuf», note Mme Bélanger. Ainsi, le projet du Quartier des spectacles prévoit la construction d’un édifice à l’angle des rues Sainte-Catherine et Saint-Laurent dont le nom, Red Light, évoque un passé bien connu. Par ailleurs, un peu plus loin, sur l’avenue McGill College, on envisage d’installer un écran électronique publicitaire géant pour imiter Times Square.

Dans quelle mesure le Quartier des spectacles va-t-il transformer le paysage du centre-ville? Difficile de répondre à cette question pour le moment, dit Mme Bélanger. Certains ont évoqué le danger d’exclusion des populations marginales en rappelant que le discours promotionnel était plutôt discret sur l’existence, dans le secteur, de la pauvreté, l’itinérance, la toxicomanie et la prostitution. D’autres craignent une forme de stérilisation de la culture locale au profit d’une culture plus commerciale. Anouk Bélanger croit, pour sa part, que Montréal va demeurer une ville ouverte au métissage des cultures. «On devrait continuer d’assister, dans le Faubourg et ailleurs, à la création de microévénements – off festivals, arts de la rue, bars artisanaux – publics et spontanés, tantôt commerciaux, tantôt gratuits, qui façonnent l’imaginaire de Montréal dans sa multiplicité et son indiscipline.»