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Suicide chez les jeunes: la dépression n’explique pas tout

Par Pierre-Etienne Caza

14 octobre 2008 à 0 h 10

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

«L’intervention c’est bien, mais la prévention, c’est encore mieux!», lance tout de go l’étudiante Marilou Cournoyer à propos de son domaine de recherche, la santé mentale. La doctorante en psychologie amorcera sous peu la rédaction de sa thèse, qui portera sur les variables cognitives associées aux conduites suicidaires chez les adolescents. «Une étude réalisée en 2005 a démontré que sur une période d’un an, 1 ado sur 5 a des idées suicidaires et que jusqu’à 6 % vont faire une tentative de suicide, dit-elle. C’est un phénomène alarmant et je souhaite proposer de nouvelles avenues de recherche.»

Marilou Cournoyer a rédigé un article qu’elle a soumis cet automne à la revue Psychologie canadienne, conjointement avec son directeur, le professeur Réal Labelle, du Département de psychologie. «Il existe un consensus auprès des chercheurs à propos de deux variables liées aux conduites suicidaires, explique-t-elle. La première est le fait d’avoir déjà fait une tentative de suicide, ce qui augmente le risque d’avoir à nouveau des comportements suicidaires, et l’autre est de manifester des symptômes dépressifs.» L’impulsivité et le désespoir se distinguent également parmi les variables pouvant augmenter les risques de conduites suicidaires, sans qu’il n’y ait toutefois consensus à ce sujet.

L’hypothèse de Marilou Cournoyer est que d’autres variables cognitives, comme le style attributionnel – la tendance d’une personne à donner le même type d’explications à différents événements auxquels elle est confrontée -, les croyances irréalistes et la faible estime de soi augmenteraient le risque de présenter des symptômes dépressifs (et du désespoir), qui eux augmentent les chances d’avoir des comportements suicidaires. Cette réaction en chaîne comportementale, initiée par des variables sur lesquelles les chercheurs ne se sont pas beaucoup attardés jusqu’à présent, est au coeur de sa recherche.

«Il ne faut pas non plus minimiser le stress lié à une foule de changements vécus à l’adolescence, ajoute Marilou. Il y a également un contexte familial et des variables environnementales que je prendrai en considération.» Pour son étude, elle recrutera des participants à la Clinique des troubles de l’humeur (CTH), fondée par le pédopsychiatre Jean-Jacques Breton et le professeur Labelle. La CTH, située à l’Hôpital Rivière-des-Prairies, est ouverte aux jeunes de 6 à 17 ans avec des troubles dépressifs et des troubles bipolaires avec conduites suicidaires. Elle est la seule au Québec qui développe des projets de recherche portant exclusivement sur l’identification des facteurs de risque et de protection, ainsi que sur l’efficacité des traitements auprès de jeunes présentant des conduites suicidaires.

Même si les étudiants en psychologie passent désormais directement du baccalauréat au doctorat, Marilou Cournoyer a tenu à compléter une maîtrise en recherche à l’Université de Montréal, qui lui a donné l’occasion de se pencher sur l’association entre les troubles anxieux et dépressifs chez les enfants de 6 à 11 ans. En collaborant avec le Centre de recherche Fernand-Seguin de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine, partenaire de l’Hôpital Rivière-des-Prairies, elle a pu faire la connaissance du professeur Labelle.

«Je déposerai mon projet de recherche à la fin de l’automne 2008», explique Marilou, boursière du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC), qui lui versera 20 000 $ par an durant les trois prochaines années, un appui dû, en partie selon elle, à sa collaboration avec deux centres de recherche reconnus, soit le Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie (CRISE) de l’UQAM et le Centre de recherche Fernand-Seguin.

Marilou Cournoyer a beau avoir obtenu une mention pour sa maîtrise, le prix de la meilleure affiche scientifique au congrès de la Société québécoise de recherche en psychologie et une bourse doctorale de 6 000 $ de la Fondation de l’UQAM, elle tient mordicus à souligner l’apport de son entourage. «Je suis toujours impliquée au sein d’équipes multidisciplinaires et c’est très stimulant.»

Elle effectuera cette année son premier stage au Centre de services psychologiques de l’UQAM. «Ce sera ma première expérience en intervention», dit-elle en ne cachant pas une certaine nervosité. «J’ai hâte parce que j’aimerais bien être clinicienne-chercheuse», précise-t-elle à propos de ses aspirations professionnelles.

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Le taux de suicide est en baisse au Québec

Pour l’année 2006, 1136 personnes sont décédées par suicide au Québec, dont 883 hommes et 253 femmes. Cela représente des taux ajustés par 100 000 habitants de 23,4 chez les hommes, de 6,4 chez les femmes et un taux pour l’ensemble de la population de 14,8. Ce taux est le plus bas enregistré au Québec au cours des 25 dernières années.

Cette diminution des taux de mortalité par suicide s’observe d’une manière plus marquée chez les adolescents et les jeunes adultes. En effet, chez les adolescents de 15-19 ans, les nombres et les taux se sont abaissés de plus des deux tiers entre 1999 et 2006. Cette baisse touche surtout les jeunes garçons. Chez les jeunes adultes de 20 à 34 ans, la diminution est également spectaculaire puisque les taux ont chuté de près de 50 %. Dans le groupe des 35-49 ans, même si la baisse est moins impressionnante que dans les groupes des adolescents et des jeunes adultes, elle est environ du tiers.

Avec ces nouvelles données, le suicide devient ainsi la seconde cause de mortalité chez les 15-19 ans mais demeure encore, et de loin, la première cause de mortalité chez les 20-34 ans. Le seul groupe pour lequel aucune baisse de la mortalité par suicide n’est observée, à la fois en nombre et en taux, est celui des 50 à 64 ans. C’est d’ailleurs le seul groupe pour lequel l’importance relative du suicide parmi l’ensemble des décès augmente, tant chez les hommes que chez les femmes.

Malgré ces très bonnes nouvelles, le Québec en comparaison avec certaines autres provinces canadiennes, affiche les taux les plus élevés de suicide tant chez les hommes que chez les femmes. Comparativement aux pays de l’OCDE, le Québec se situe malheureusement encore parmi les populations qui présentent les taux de mortalité par suicide les plus élevés.

Source : Institut national de santé publique, janvier 2008.