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Traductrice dans l’âme

Par Marie-Claude Bourdon

7 janvier 2008 à 0 h 01

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Élevée en Ontario, mais spécialiste de littérature québécoise, Lori Saint-Martin est fascinée par «les passages entre les langues». Professeure au Département d’études littéraires, elle donne des cours et écrit en français sur des oeuvres pour la plupart rédigées en français, mais elle se passionne depuis toujours pour la littérature canadienne-anglaise, qu’elle s’est mise à traduire il y a une quinzaine d’années. À la maison, on parle les deux langues officielles et son conjoint, Paul Gagné, est traducteur de métier. C’est avec lui qu’elle vient de remporter le Prix littéraire du Gouverneur général 2007 dans la catégorie «traduction», pour Dernières notes, de l’auteur canadien d’origine hongroise Tamas Dobozy (Les Allusifs).

Ce n’est pas la première fois que le couple, qui a signé la traduction d’une quarantaine de livres au fil des ans, remporte ce prix prestigieux. En 2000, le Prix de la meilleure traduction leur avait été accordé pour Un parfum de cèdre (Flammarion), le premier livre de la très célèbre auteure canadienne Ann-Marie MacDonald. «Depuis, les offres des éditeurs se sont succédé et mon conjoint a quitté le cabinet où il traduisait des documents du gouvernement pour se consacrer à la traduction littéraire à temps plein», explique Lori Saint-Martin.

Un coup de foudre littéraire

Cette entreprise à quatre mains a commencé par un coup de foudre pour un livre, Ana Historic, de l’auteure de la Colombie-Britannique Daphné Marlatt. «Pourquoi ai-je voulu traduire ce livre en particulier? demande Lori Saint-Martin. D’abord, parce que c’est un ouvrage très fort, mais aussi parce que c’est une aventure dans le langage. L’auteure joue beaucoup avec la sonorité des mots, mais aussi avec leur étymologie, ce qui représentait tout un défi pour la traduction.»

Avec son conjoint, Lori Saint-Martin a travaillé pendant près d’un an à ce projet «un peu fou». «Nous avions tous les deux traduit l’ensemble du livre et nous relisions à voix haute chaque passage pour déterminer lequel était le meilleur», raconte-t-elle. Aujourd’hui, ils ne fonctionnent plus ainsi. C’est Paul Gagné qui commence le gros oeuvre et qui livre une première traduction. Puis, Lori Saint-Martin fait «une première lecture contre l’anglais, pour s’assurer qu’il n’y a pas d’erreurs ou de glissements de sens», et, immédiatement après, une seconde lecture de polissage pour embellir et enrichir le texte français. Paul Gagné incorpore les modifications, puis tous les deux relisent l’ensemble et apportent les dernières corrections avant la version finale.

La musique de chaque auteur

«Ce que nous visons, dit la professeure, c’est de reproduire la voix de l’auteur et sa musique personnelle.» Et ce qui lui plaît particulièrement dans ce travail, c’est le sens de l’aventure toujours renouvelé. «Chaque fois que l’on aborde un nouvel auteur, ou même un nouveau livre d’un même auteur, c’est comme si on pénétrait dans un nouveau monde, pour lequel il faut inventer un nouveau langage», note Lori Saint-Martin, qui, en plus de ses autres cours, enseigne les secrets de la traduction littéraire.

Jusqu’ici, le couple a traduit des romans, des recueils de nouvelles, quelques essais et aussi des oeuvres pour la jeunesse. Ann-Marie MacDonald, Alistair MacLeod, Neil Bissoondath, David Homel : «Nous avons la chance de traduire des auteurs exceptionnels», dit Lori Saint-Martin. Un de leurs derniers bébés, Big Bang, de l’auteur montréalais Neil Smith, suscite les critiques les plus élogieuses depuis sa sortie. «C’est un autre livre publié aux éditions Les Allusifs, une petite maison qui a de très beaux projets», souligne la traductrice.

Un regard sur la prose masculine

Entre deux cours et deux traductions (depuis que Paul Gagné s’y consacre à temps plein, le couple en produit quatre ou cinq par année), Lori Saint-Martin trouve aussi du temps pour ses recherches. Elle vient ainsi de démarrer, en collaboration avec Isabelle Boisclair, de l’Université de Sherbrooke, un vaste projet sur la façon dont les auteurs masculins représentent le féminin et le masculin dans la littérature québécoise des dernières décennies. «Nous voulons voir s’ils représentent les relations entre les sexes d’une façon stéréotypée, c’est-àdire selon le modèle patriarcal, d’une façon égalitaire ou féministe, ou encore selon une vision post-moderniste, qui détache les identités sexuées (masculin et féminin) des corps sexués des hommes et des femmes», explique la professeure.

Les deux chercheuses s’attendent à trouver de tout, précise-t-elle, car si les hommes, comme les femmes, ont été amenés à se redéfinir par rapport aux idées du féminisme, tous n’y réagissent pas de la même façon. «Je ne crois pas que nous allons constater une évolution chronologique nette, dit Lori Saint-Martin. J’ai même l’impression que les auteurs les plus machos se retrouvent parmi les plus jeunes, ceux qui veulent “remettre les pendules à l’heure” par rapport au féminisme.» Un dossier à suivre.