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Bar des sciences : les jeux de hasard

Le 10 février dernier, le Cœur des sciences était l’hôte d’un bar des sciences qui avait pour thème les jeux de hasard.

Par Valérie Martin

21 février 2011 à 0 h 02

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Le jeu a toujours existé, et ce, dans toutes les cultures. «Sauf que le jeu n’a jamais eu une aussi grande emprise qu’aujourd’hui. Avoir Internet à la maison, c’est avoir accès au jeu en permanence», avance Amnon Jacob Suissa, professeur à l’École de travail social et auteur du livre Le jeu compulsif : vérités et mensonges.

Le 10 février dernier, le Cœur des sciences était l’hôte d’un bar des sciences, un événement grand public qui réunit des chercheurs autour d’un sujet scientifique chaud, le tout dans une ambiance décontractée. Organisé en collaboration avec l’Institut Santé et société de l’UQAM et animé par la journaliste de Radio-Canada Sophie-Andrée Blondin, l’événement avait pour thème les jeux de hasard.

Nous sommes plusieurs à croire que la chance peut nous sourire et qu’à l’achat d’un billet de loterie, les astres seront alignés pour nous permettre de remporter le gros lot. «Il y a un aspect ludique et magique dans les jeux de hasard. Nous jouons pour défier les probabilités», remarque Jocelyn Gadbois, doctorant en anthropologie à l’Université Laval et auteur d’une thèse sur la loterie 6/49. Cette pensée magique «est une idée qui nous fait du bien, renchérit le professeur Suissa. Malheureusement, nous ne sommes pas égaux devant le hasard.»

Selon Jacques Cherblanc, professeur de sociologie à l’Université du Québec à Chicoutimi et détenteur d’un doctorat en sciences des religions de l’UQAM, les jeux de hasard renforcent les inégalités sociales et ne font qu’appauvrir davantage les consommateurs de loterie, souvent parmi les plus pauvres de la société. «L’État, par l’entremise de Loto Québec, utilise la notion du jeu pour faire croire que les inégalités sociales ne sont qu’une question de chance et de compétences. Selon eux, tout le monde aurait une chance égale de devenir riche! Alors que dans les faits, les pauvres s’appauvrissent et les riches s’enrichissent.»

Environ 2 % de la population développe une compulsion pour le jeu. «Ce qui représente quelque 140 000 personnes au Québec, dit Amnon Jacob Suissa. Le jeu coûte 56 000 $ par année à un joueur compulsif. Pour assouvir sa passion, il doit souvent emprunter à ses proches et finit par perdre leur confiance. Bon nombre de joueurs se suicident à cause de dettes de jeu. Plus de 40 % de joueurs en thérapie ont affirmé avoir pensé au suicide… C’est une véritable épidémie silencieuse.»

Comment développe-t-on une dépendance? Plusieurs facteurs sont en cause. Pour le professeur d’écologie comportementale et vice-doyen à la recherche à la Faculté des sciences, Luc-Alain Giraldeau, c’est une question d’interaction entre la biologie -nos prédispositions génétiques – et l’environnement dans lequel nous évoluons. Même l’ordre dans lequel les événements arrivent est important dans le fait de développer une dépendance. «Un joueur qui gagne au bout de la cinquième fois ne réagit pas comme celui qui gagne au bout de la centième fois», observe le biologiste.

Les personnes isolées seraient également plus à risque. «Quand nous avons plusieurs centres d’intérêt et que nous sommes entourés, nous avons moins de chances de devenir dépendants», remarque le professeur Suissa. «Il faut toutefois garder en tête que même si nous jouons un petit peu, nous prenons des risques, car nous sommes tous un peu des joueurs compulsifs», soutient Luc-Alain Giraldeau.

L’État en est venu à gérer et encadrer les jeux de hasard afin d’éviter que la pègre ne s’en mêle. Mais l’État, devant les gains pharaoniques qu’il empoche (près de 7 milliards par année au Canada), n’est-il pas lui aussi en train de développer une dépendance? «D’accord pour que le gouvernement gère les règles, mais il ne doit pas faire la promotion du jeu», rappelle Luc-Alain Giraldeau.