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Un jeu vidéo validé scientifiquement

Une collaboration fructueuse a été établie entre Ubisoft et des chercheurs de l’UQAM.

Par Pierre-Etienne Caza

26 janvier 2015 à 12 h 01

Mis à jour le 26 janvier 2015 à 14 h 01

Un tableau du jeu Shape Up.Photo: courtoisie d’Ubisoft

Shape Up, le nouveau jeu vidéo d’entraînement physique d’Ubisoft, a pour ambition de renouveler le genre. Lancé en novembre dernier, le jeu propose de se livrer à une véritable séance d’entraînement tout en effectuant à l’écran un parcours digne de l’émission Wipeout, dans un décor coloré rappelant les jeux d’arcade. Squats, push ups, redressement assis, sauts, obstacles et shadow boxing, les tableaux de Shape Up sont exigeants physiquement… et apportent de réels bénéfices pour la santé, comme l’ont validé scientifiquement le professeur Alain Steve Comtois, du Département de kinanthropologie, et la doctorante en biologie Andrée-Anne Parent.

«C’est une employée d’Ubisoft Montréal, Joséphine Sans, qui vient de terminer son baccalauréat d’intervention en activité physique, qui nous a approchés à l’été 2012, raconte Andrée-Anne Parent. Elle développe l’aspect de l’entraînement dans les jeux et s’occupe de la capture des mouvements. À l’époque, Ubisoft venait de lancer le jeu d’entraînement Your Shape. Nous avons passé une journée avec ses créateurs à discuter de leurs objectifs et du genre de collaboration que nous pourrions établir.»

Pour la version ultérieure du jeu, intitulée Your Shape evolved, Joséphine a contacté Andrée-Anne Parent et Alain Steve Comtois afin de vérifier si les calculs de dépense énergétique mis de l’avant par la compagnie étaient valables scientifiquement. «Comme le jeu devait sortir rapidement, nous n’avons pas élaboré de protocole de recherche, raconte Alain Steve Comtois. Mais nous avons tout de même indiqué aux gens d’Ubisoft que leurs calculs tenaient la route.»

Une étude chez Ubisoft

Une employée d’Ubisoft participe à une séance d’entraînement sous la supervision d’Andrée-Anne Parent.Photo: courtoisie d’Ubisoft

Les deux chercheurs ont été véritablement impliqués lors de la préparation de la plus récente version du jeu, rebaptisé Shape Up, à l’été 2013. Afin de valider si les exercices demandés par le jeu procurent réellement des bénéfices pour la santé, Alain Steve Comtois et Andrée-Anne Parent ont réalisé une étude auprès d’une trentaine d’employés d’Ubisoft Montréal plutôt sédentaires. Dix-neuf d’entre eux se sont prêtés au jeu, c’est le cas de le dire, tandis que neuf ont fait partie du groupe témoin. «Habituellement, ce genre d’étude est réalisé sur une période de 6 à 8 semaines d’entraînement, à raison de 120 à 180 minutes par semaine, note Alain Steve Comtois. Dans notre cas, l’étude a duré 5 semaines à raison de 45 à 60 minutes par semaine. Et nous avons observé des bénéfices pour la santé, autant du côté du pourcentage de gras, de l’endurance musculaire du bas du corps et des membres supérieurs, de la flexibilité et de la capacité cardiorespiratoire. La majorité des participants ont même perdu du poids.»

Ces résultats risquent de bouleverser certains dogmes concernant l’activité physique, notamment celui voulant qu’il y ait un minimum de temps à consacrer à l’entraînement afin d’en retirer des bénéfices. «Le secret d’un entraînement bénéfique réside peut-être uniquement dans l’intensité de celui-ci, note Andrée-Anne Parent. Le jeu Shape Up est réellement exigeant!»

Les chercheurs évaluent que la dépense énergétique d’une séance de jeu équivaut à une partie de volleyball, à la pratique de la nage synchronisée, à une partie récréative de hockey sur glace ou à un crawl modéré dans une piscine.

À l’heure actuelle, les jeux vidéo ne sont pas recommandés par Santé Canada car on veut encourager les enfants à aller jouer dehors. «Mais quand il fait moins 30 degrés Celsius?, s’interrogent les chercheurs. Ne vaut-il pas mieux que les enfants et les adultes puissent bouger dans le confort de leur salon?»

Une relation gagnant-gagnant

L’univers des créateurs de jeux vidéo est ultra compétitif. Les secrets d’entreprise sont nombreux et les collaborations extérieures sont étroitement surveillées, régies par des ententes de confidentialité. La notion temporelle n’est pas la même non plus, soulignent les chercheurs. «Pour les créateurs d’Ubisoft, les délais de production sont serrés, souligne Andrée-Anne Parent. Notre démarche scientifique, avec ses protocoles rigides, est contraignante pour eux, mais ils l’acceptent car nous ajoutons de la crédibilité aux aspects touchant l’activité physique. La maison mère d’Ubisoft à Paris était heureuse de notre collaboration et souhaite utiliser nos recherches pour faire la promotion de son produit. Nous discutons des ententes légales concernant ces enjeux.»

Shape Up et MPOC

Les deux chercheurs poursuivront leur collaboration avec Ubisoft, qui aimerait développer un volet santé. «Nous allons utiliser Shape Up pour une étude au centre hospitalier du Mont Sinaï avec des personnes touchées par la maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC– asthme, bronchite chronique ou emphysème) qui sont sur la liste d’attente en réadaptation», signale Alain Steve Comtois.

Plusieurs études ont démontré par le passé que l’activité physique apporte son lot de bénéfices chez les gens atteints de la MPOC. «Même si cela fait partie des recommandations de leur médecin, plusieurs hésitent à faire de l’activité physique car ils sont à bout de souffle, note Andrée-Anne Parent. L’intérêt du jeu, c’est que l’on peut le faire dans le confort de son salon, été comme hiver, et que l’on peut moduler l’intensité selon ses capacités.»

Le but de l’étude sera de voir si les personnes atteintes par la MPOC, âgées de 50 ans et plus et dont les fonctions cognitives sont parfois altérées par la maladie, sont en mesure d’utiliser le jeu vidéo. «Il faut d’abord s’assurer que chaque personne est à l’aise avec le fonctionnement d’une console de jeu et des périphériques, souligne la chercheuse. Ensuite nous pourrons vérifier si le jeu a un impact bénéfique sur leur santé pulmonaire.»

L’étude s’échelonnera sur trois semaines, la première étape débutant en milieu hospitalier en février prochain. «Nous procéderons ensuite à une validation écologique, c’est-à-dire que nous effectuerons un suivi au domicile de chaque participant pour nous assurer que tout se déroule bien», ajoute Andrée-Anne Parent.

Si cette étude est concluante, les deux chercheurs aimeraient effectuer des recherches auprès des personnes atteintes de fibrose kystique, notamment les enfants, déjà habitués aux jeux vidéo.