Voir plus
Voir moins

Le dur désir de durer

Jacques Beauchemin défend la nécessité d’un troisième référendum, celui de la dernière chance.

Par Claude Gauvreau

10 juin 2015 à 15 h 06

Mis à jour le 12 juin 2015 à 11 h 06

Scène de la campagne référendaire de 1995.

«(…) ils veulent simultanément céder à la fatigue culturelle et en triompher, ils prêchent dans un même sermon le renoncement et l’ambition. Cette société aspire à la fois à la force et au repos, à l’intensité existentielle et au suicide, à l’indépendance et à la dépendance (…)». Cet extrait de La fatigue culturelle du Canada français, article publié par l’écrivain Hubert Aquin en 1962, est cité en exergue de La souveraineté en héritage, un essai qui vient de paraître chez Boréal, signé par Jacques Beauchemin, professeur au Département de sociologie.  

«Si Aquin avait raison à son époque, c’est encore plus vrai en 2015, affirme le sociologue. Désirons-nous vraiment réaliser l’indépendance politique du Québec ou sommes-nous trop épuisés pour espérer remporter un troisième référendum ?» Les Québécois semblent avoir tourné le dos à la souveraineté, non par conviction ou parce qu’ils se seraient découvert une ferveur nouvelle à l’égard du Canada, tient à préciser Jacques Beauchemin. «C’est plutôt de l’ordre de l’usure, dit-il. Y compris chez les souverainistes. Quand on leur demande s’ils pensent que l’indépendance va se faire un jour, ils répondent non. Pour moi, c’est un signe de fatigue, lié au questionnement perpétuel sur notre devenir.»

Le professeur croit qu’il faut cesser de cultiver l’ambivalence, celle qui a fait osciller les Québécois entre incertitude et espoir, entre courage et lassitude. «Ces postures ne se succèdent pas dans notre histoire; elles ont toujours été plus ou moins concomitantes, écrit-il dans son livre. Telle qu’elle s’exprime dans le Québec d’aujourd’hui, l’ambivalence est moins tourment que fatigue.»

Jacques Beauchemin.

Jacques Beauchemin a commencé à écrire son essai à l’été 2012, quelques mois avant l’arrivée au pouvoir du Parti québécois. À l’automne, le nouveau gouvernement Marois le nomme sous-ministre à la politique linguistique et à la langue française et lui demande de travailler à la refonte de la Charte de la langue française, laquelle n’a pratiquement pas changé depuis sa promulgation en 1977. Il interrompt la rédaction de son essai pendant deux ans. Puis, la victoire des Libéraux en 2014 le ramène à ses recherches à l’UQAM et à son manuscrit qu’il avait laissé en plan. La réflexion qu’il propose ne s’appuie pas sur son expérience de sous-ministre, mais procède d’une longue maturation au sujet de l’avenir du Québec.

Un phénomène paradoxal

La fenêtre historique qui s’est ouverte avec la Révolution tranquille, à partir de laquelle on pouvait imaginer la souveraineté, est en train de se refermer, pense le chercheur. Celui-ci constate que les réussites de la Révolution tranquille, et celles du Parti québécois quand il était au pouvoir, ont fini par convaincre les Québécois que la souveraineté était peut-être moins nécessaire. «La classe d’affaires francophone, qu’appelaient de leurs vœux les élites canadienne-françaises, est aujourd’hui bien vivante, dit-il. La réforme de l’éducation, si nécessaire dans les années 60, est complétée pour l’essentiel. La langue française est relativement protégée par la loi 101. Ces victoires arrachées à notre condition de minoritaires ont eu pour effet, paradoxalement, de dissoudre nos ardeurs.»

Mais Jacques Beauchemin ne désarme pas. C’est dans l’identité québécoise qu’il dit espérer trouver les raisons d’un dernier sursaut. «L’idée que nous devons persister dans ce que nous sommes est profonde et a été exprimée de multiples façons dans notre histoire. Le sociologue Fernand Dumont parlait du réflexe sociétal qui a fait en sorte que les Québécois se sont toujours regroupés autour de leurs institutions de base. On peut faire l’hypothèse optimiste que ce désir de durer est toujours vivace et qu’il peut empêcher la démission totale.»

Crever l’abcès

Le choix n’a jamais été aussi clair, poursuit le sociologue. «Ou bien on pense que la souveraineté ne se réalisera jamais et on désespère de notre impuissance. Ou bien, et je suis de ce côté des choses, on crève l’abcès.» Pour Jacques Beauchemin, cela signifie un référendum sur la souveraineté le plus rapidement possible, advenant le cas où le Parti québécois remporte les prochaines élections, avec une question simple et claire. «Si la réponse est non, on devra en prendre acte une fois pour toutes. Nous devrons alors trouver la meilleure place possible pour le Québec dans l’espace canadien, sans passer le prochain siècle à regretter ce qu’on aurait dû faire.»

Le professeur pense qu’il faut faire la souveraineté en l’inscrivant dans l’histoire longue du Québec. «Il ne faut pas réaliser la souveraineté uniquement parce qu’on veut faire du Québec la Suède de l’Amérique. Nous devons nous rappeler d’où nous venons et rattacher ce projet à deux siècles de combats qui mènent logiquement à l’indépendance.»

Mais comment se donner un pays sans l’appui des générations montantes ? Selon un sondage Léger réalisé en février dernier pour le compte de L’État du Québec 2015, seulement 37 % des jeunes âgés de 18 à 34 ans voteraient en faveur de la souveraineté à un référendum. En 1995, lors du second référendum, l’appui dans ce groupe d’âge était supérieur à 50 %. Jacques Beauchemin croit que l’on peut ranimer l’enthousiasme. «Je le vois avec mes étudiants, dit-il. Ils ne sont peut-être pas militants, mais ils ont une sensibilité plutôt souverainiste. Si on ne remobilise pas tout de suite, un jour on perdra de vue les raisons pour lesquelles la souveraineté est une bonne chose pour le Québec.»

L’homme de la dernière chance

Le Parti québécois vient de se donner nouveau un chef, Pierre Karl Péladeau. Identifié depuis longtemps à la droite économique, l’ancien grand patron de Quebecor axe son discours sur le projet de souveraineté tout en se donnant parfois des airs de social-démocrate pour ne pas s’aliéner l’aile progressiste d’un parti qui, depuis ses débuts, a été associé au centre-gauche.

«Il est vrai qu’il est extrêmement difficile, au Parti québécois, de tenir un discours qui ne soit que souverainiste, observe Jacques Beauchemin. Il est évident qu’il faut en même temps aborder les enjeux de société qui se greffent à ce projet. Cela dit, je pense que Pierre Karl Péladeau doit maintenir le cap sur la nécessité de faire du Québec un pays, car c’est la seule manière de fédérer les énergies souverainistes qui restent. Une dernière chance s’offre aux Québécois de se rassembler autour d’un projet commun et d’une personne qui est capable de l’incarner.»