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Retrouver le plaisir de manger

Marie Watiez plaide pour une alimentation équilibrée sans privation ni culpabilité.

Par Valérie Martin

5 mai 2015 à 15 h 05

Mis à jour le 6 mai 2015 à 9 h 05

istockphoto.com

Initiée en 1992 par la féministe britannique Mary Evans Young, ex-anorexique, la Journée internationale sans diète, qui aura lieu le mercredi 6 mai, vise à faire la promotion d’un mode de vie sain et d’une image corporelle diversifiée, tout en sensibilisant la population aux troubles alimentaires, à l’inefficacité des régimes amaigrissants et aux dangers liés à l’obsession de la minceur. Des pays comme la France, la Norvège, l’Angleterre, l’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis y participent. Au Québec, l’OBNL ÉquiLibre, qui vient en aide aux personnes vivant avec un problème de poids ou d’image corporelle, organise, depuis 2007, une campagne de sensibilisation pour souligner l’événement.

Marie Watiez

Intitulée «Pas besoin de se priver pour bien manger!», la campagne 2015 cible en particulier les personnes ayant une relation complexe avec la nourriture et le corps. «Il s’agit de rappeler aux gens que bien manger, c’est manger de tout, sans se priver, mais avec modération, tout en retrouvant le plaisir de déguster les aliments», explique la psychosociologue de l’alimentation Marie Watiez, chargée de cours au Département d’études urbaines et touristiques.

La psychosociologue, qui donne le cours «La nourriture et le mangeur» au Certificat en gestion et pratiques socioculturelles de la gastronomie de l’ESG UQAM, a participé à l’élaboration de la campagne menée par l’organisme ÉquiLibre, avec lequel elle collabore depuis 1998. Elle a conçu pour l’organisme deux formations s’adressant aux professionnels de la santé et de l’éducation, visant à développer une compréhension globale du comportement alimentaire.

« Si on prend du plaisir à déguster un gâteau au chocolat ou des croustilles, au bout d’un moment, certains signaux de satiété et de satisfaction seront envoyés par notre corps afin de nous inviter à arrêter de manger »

Marie Watiez,

Psychosociologue de l’alimentation  et chargée de cours au Département d’études urbaines et touristiques.

Non à la culpabilité!

La campagne de sensibilisation d’ÉquiLibre fait suite à un sondage réalisé en novembre 2014 par le magazine Elle Québec, dans lequel plus de la moitié des femmes affirmaient ressentir de la culpabilité en mangeant. Près du tiers des répondantes se disaient également d’accord avec l’affirmation selon laquelle bien manger implique de se priver de ses aliments préférés. «Il existe un discours ambiant affirmant qu’il faut faire preuve de contrôle dans le cadre d’une saine alimentation et se priver pour rester en bonne santé, observe Marie Watiez. Or, on sait très bien que la restriction cognitive ─ cette attitude de privation au quotidien ─ peut mener à des problèmes de santé physique et mentale tels que l’anxiété, la dépression et les troubles alimentaires.»

Si on prend du plaisir à déguster un gâteau au chocolat ou des croustilles, au bout d’un moment, certains signaux de satiété et de satisfaction seront envoyés par notre corps afin de nous inviter à arrêter de manger, poursuit la chargée de cours. «Si on s’interdit d’en manger, à la moindre occasion où il sera possible d’entrer en contact avec ces aliments, on aura tendance à compenser, à dévorer le gâteau ou à passer à travers le sac de croustilles!»

Plusieurs outils de sensibilisation ont été développés dans le cadre de la campagne, dont des activités de groupe, un dépliant proposant des moyens concrets pour retrouver un équilibre alimentaire, des billets de blogue rédigés par des professionnels de la santé et des ateliers de dégustation en ligne, conçus en collaboration avec Marie Watiez, permettant d’apprendre à savourer pleinement différents aliments. «Se faire du bien avec des aliments, c’est légitime.»

Tous les aliments ont leur place dans une alimentation équilibrée avec leurs caractéristiques, leurs goûts, leurs plaisirs, et peuvent nous faire du bien sans nécessairement être gras ou sucrés. Comme la soupe, par exemple. Selon la diététicienne de formation diplômée en France (Université Paris Val de Marne) et détentrice d’un doctorat en psychologie sociale de l’Université Paris Descartes, il faut sortir de la dichotomie «voulant que les aliments nous procurant du plaisir soient essentiellement mauvais pour la santé et que bien manger rime forcément avec des aliments que l’on trouve ennuyeux!»

Bien manger ne se résume pas à fournir à l’organisme des nutriments et de l’énergie.

« L’acte de manger est lié à plusieurs plaisirs: stimuler ses sens, prendre le temps de choisir des aliments que l’on aime, cuisiner, manger en famille ou entre amis, découvrir de nouveaux plats ou de nouveaux aliments»

Marie Watiez

L’approche biopsychosociale

En tant que formatrice et consultante, Marie Watiez a développé une approche biopsychosociale de l’alimentation afin de mieux comprendre notre relation à la nourriture et à l’acte de manger. L’approche intègre les notions de biologie et de neurophysiologie en lien avec la culture, le social, le psychologique et le sensoriel. «Les aliments sont marqués par notre culture et par notre identité, dit-elle. Chez les Autochtones, par exemple, les ”mauvais aliments” n’existent pas parce que tous les aliments font partie de la nature et que tout ce qu’elle produit est bon selon eux. Le Guide alimentaire canadien ne correspond pas du tout à leur vision du monde.»

Des ateliers pour les enfants

Pour l’organisme Jeunes pousses, qui fait la promotion de saines habitudes alimentaires auprès des jeunes, Marie Watiez a rédigé un guide théorique sur le développement du goût et l’éveil sensoriel chez les jeunes.

«L’éducation au goût permet aux enfants de mieux connaître leurs préférences et leurs aversions pour des aliments. Ils peuvent ainsi mieux s’affirmer et acquérir du vocabulaire pour décrire leurs expériences, les textures et les sensations qu’ils éprouvent en goûtant un aliment, explique Marie Watiez.

« Comme chaque goûteur est différent, avec son identité propre et son histoire personnelle, génétique, affective et familiale, il n’y a pas de bons ou de mauvais goûts.»

Selon la formatrice, les ateliers peuvent amener les enfants à vouloir plus de variété dans leur assiette et à s’ouvrir à des aliments plus complexes comme les fruits et légumes. «Nous vivons dans un monde où les aliments transformés, saturés en gras et en sucre, abondent dans les supermarchés et finissent par tous se ressembler. Quand on voit tout ce que les humains peuvent manger sur la planète, il y a pourtant un large éventail de goûts et de possibilités!»

Une nouvelle génération de mangeurs changera-t-elle la donne?