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Jouer sa carrière

Les concours jouent un rôle crucial dans la trajectoire professionnelle des musiciens.

Par Pierre-Etienne Caza

2 février 2015 à 16 h 02

Mis à jour le 3 février 2015 à 11 h 02

L’émission La Voix a attiré 2,7 millions de téléspectateurs le 25 janvier dernier. Les juges de l’édition 2015 sont Marc Dupré, Isabelle Boulay, Éric Lapointe et Pierre Lapointe.Photo: OSA Images

Le 25 janvier dernier, 2,7 millions de personnes ont syntonisé l’émission La Voix, soit plus de 6 téléspectateurs sur dix. «Les concours font partie du paysage musical depuis la Grèce antique et le public a toujours raffolé de ce genre de divertissement», note Danick Trottier, qui est aussi un fan de l’émission. Le professeur substitut au Département de musique se penchera sur les enjeux et la pertinence des concours en chanson dans le cadre d’une conférence, le 4 février prochain, de 12 h 30 à 13 h 30, à la Salle Jacques-Hétu (F-3080).

Musicologue, Danick Trottier s’intéresse à la professionnalisation musicale, c’est-à-dire aux trajectoires professionnelles des musiciens. Les carrières artistiques, c’est bien connu, sont marquées par l’incertitude. Même si le domaine musical présente un taux d’employabilité meilleur que les arts visuels ou la danse, rien n’est garanti pour les futurs diplômés. Et le contexte actuel n’arrange pas les choses. «Internet a dématérialisé l’objet musical, le disque, autrefois source de revenus pour les artistes, explique Danick Trottier. L’avènement d’outils de partage numérique a introduit l’idée de gratuité dans le public et les musiciens ont encore plus de difficulté à tirer profit de leur art.» La musique est, par ailleurs, un domaine où s’applique le principe de Pareto: environ 20 % des musiciens vivent bien de leur art en empochant 80 % des gains disponibles.

Des avantages cumulatifs

Danick TrottierPhoto: Émilie Tournevache

Il n’y a pas toujours d’adéquation entre la formation musicale et la réussite sur le marché du travail, et le talent ne fait pas foi de tout non plus, observe le professeur. «Il faut construire sa carrière étape par étape, chacune devenant un avantage cumulatif.» Un enfant prodige au piano, par exemple, se fera connaître en bas âge. Les regards seront tournés vers lui, les journaux s’intéresseront à lui. Il engrangera ensuite d’autres avantages cumulatifs en remportant des concours. Au conservatoire, il sera encadré par les meilleurs maîtres et remportera un premier prix, qui lui permettra de se bâtir un réseau. Il possédera donc une belle carte de visite avant de faire le saut dans le marché du travail. «Tous ces avantages ne garantissent pas nécessairement que l’artiste aura une carrière florissante, mais ils le placent en bonne posture pour se démarquer», note Danick Trottier.

Sur les bancs d’école, dans les conservatoires autant qu’à l’université, on enseigne la technique. On tente également d’amener les étudiants à développer une persona, un personnage de scène, car cela fait partie des facteurs de succès. On ne prend toutefois la mesure de cette «aura musicale» qu’une fois sur scène. «Voilà pourquoi les concours sont cruciaux, même s’ils sont parfois boudés ou snobés par certains étudiants, affirme Danick Trottier. Être sélectionné dans un concours musical peut s’avérer un avantage cumulatif majeur pour un artiste.»

Du classique à la musique pop

En musique classique, les concours existent depuis des siècles, surtout pour récompenser les virtuoses du chant, du piano et du violon. «Les étudiants qui jouent du trombone ou du xylophone n’ont pas l’occasion de se faire valoir dans des concours, mais, en revanche, leur chance de décrocher un boulot dans un orchestre est plus élevée, car ils sont moins nombreux», remarque Danick Trottier.

Les concours de musique populaire sont également incontournables. Sur la scène internationale, l’Eurovision, organisé depuis 1956 par l’Union européenne de radio-télévision, est sans doute le concours qui a le plus marqué les esprits. «Peu de gens savent que les membres du groupe ABBA ont remporté ce concours en 1974 – avec la chanson Waterloo et que c’est ce qui a lancé leur carrière, signale le professeur. C’est aussi le cas de France Gall, en 1965, avec Poupée de cire, poupée de son. Céline Dion l’a également remporté en 1988, alors qu’elle représentait la Suisse avec la chanson Ne partez pas sans moi.»

Au Québec, le Festival international de la chanson de Granby, les Francouvertes et le Festival en chanson de Petite-Vallée ont aussi contribué à lancer plusieurs carrières. Au cours des dernières années, des concours comme Star Académie et La Voix, apparus avec la vague de téléréalités, jouent le même rôle.

Briller dans un concours ne pave pas automatiquement la voie d’une carrière réussie. «Il n’y a pas d’adéquation parfaite entre la sélection dans un concours de musique populaire et la réussite professionnelle, note Danick Trottier. Sur les quelque 80 lauréats du Festival international de la chanson de Granby, qui existe depuis 1969, à peine 15 % ont connu ou connaissent encore une carrière populaire.»

Lors de sa conférence, Danick Trottier se penchera sur le concours fondateur de la chanson québécoise: le Concours de la chanson canadienne organisé par Radio-Canada en avril 1956, dont les deux chansons lauréates étaient le Le ciel se marie avec la mer de Jacques Blanchet, interprétée par Lucille Dumont, et Sur l’perron de Camille Andréa, interprétée par Dominique Michel. «Cet événement a marqué un tournant dans l’industrie de la chanson, note le chercheur. Cette première alliance entre deux industries – la musique et la télévision – a contribué à poser les bases du show business québécois orienté vers la chanson et la variété.»