Voir plus
Voir moins

Les Canadiens en Chine?

André Richelieu s’intéresse aux facteurs de succès des marques sportives sur la scène internationale.

Par Pierre-Etienne Caza

7 avril 2015 à 13 h 04

Mis à jour le 10 avril 2015 à 9 h 04

Photo: iStock

Lorsqu’il a débuté sa carrière universitaire à titre de professeur, en 2002, André Richelieu n’était pas pris très au sérieux. «Des recherches sur le marketing du sport, sur la gestion de la marque? On trouvait ça trop léger», dit-il en riant. Aujourd’hui, son expertise est en demande: les organisations sportives professionnelles, jadis sous la gouverne d’anciens joueurs ou de gérants improvisés, sont maintenant gérées par de véritables hommes d’affaires jonglant avec des millions – et parfois même des milliards – de dollars de revenus.

Embauché au Département de marketing l’an dernier, André Richelieu est un spécialiste de l’industrie du sport. «Je m’intéresse aux transformations de l’industrie et aux stratégies des organisations pour développer et renforcer le lien émotionnel avec les partisans», explique-t-il.

Amateur de baseball, de hockey et de soccer, le chercheur s’est entretenu au cours des dernières années avec les responsables d’une cinquantaine d’équipes des quatre principales ligues nord-américaines – hockey, baseball, basketball et football américain – de même qu’avec des dirigeants de clubs de soccer européen. Ces liens privilégiés lui ont permis de développer un modèle de construction et de gestion de la marque des organisations sportives, qu’il a raffiné au fil des ans. Plus récemment, il s’est intéressé aux facteurs de succès des marques sportives sur la scène internationale.

Un paradoxe nord-américain

André RichelieuPhoto: Émilie Tournevache

Les quatre grandes ligues sportives professionnelles nord-américaines représentent un beau paradoxe, note avec humour André Richelieu. «Alors qu’en Europe, des propriétaires milliardaires dépensent sans compter pour obtenir les meilleurs joueurs de soccer, les propriétaires d’Amérique du Nord, territoire par excellence du libre marché, se sont entendus pour fonctionner à la socialiste! En effet, trois des quatre ligues – la LNH, la NBA et la NFL – ont adopté un plafond salarial limitant le montant que peut verser annuellement une équipe en salaires aux joueurs. Encore mieux: chaque ligue possède un système de redistribution des revenus entre les équipes afin de donner un coup de pouce à celles qui évoluent dans un marché de moindre envergure.»

Ce paradoxe n’empêche pas les dirigeants sportifs de viser la croissance de leur organisation et l’augmentation de leurs revenus. Mais comment y parvenir quand on fait déjà le plein de partisans lors des matchs et que l’on ne veut pas leur imposer des tarifs qui risqueraient de les rebuter ? «À un moment donné, il y a une limite à ce que le partisan acceptera de payer pour un billet, une bière ou un hot-dog», note le professeur de l’École des sciences de la gestion.

Des partisans aux quatre coins du monde

La solution? «Élargir leur base de partisans à l’international», affirme André Richelieu. Jouer des matchs préparatoires ou même des matchs réguliers en sol étranger permet aux ligues de mettre en valeur leur produit, mais attention: il faut que les équipes qui s’affrontent soient parmi les meilleures et les plus attrayantes de la ligue. «Au hockey, par exemple, il ne faut pas que ce soit les Coyotes de Phoenix contre le Lightning de Tampa Bay, car cela n’a aucun intérêt!», s’exclame André Richelieu.

Les organisations sportives doivent aussi être présentes sur Internet et réussir à décrocher un contrat de télédiffusion afin que les partisans outre-mer puissent suivre leur équipe favorite et partager leur passion. C’est le cas, par exemple, des Maple Leafs de Toronto en Chine. On se doute bien que le hockey n’est pas un sport populaire en Chine, mais le marché est immense. «Malgré le décalage horaire, les matchs des Maple Leafs rejoignent chaque semaine un plus grand nombre de spectateurs sur China Central Television (CCTV) qu’à la CBC sur Hockey night in Canada!», affirme le professeur.

Les produits dérivés

La vente de produits dérivés par le Web est l’autre stratégie permettant d’assurer la croissance des organisations sportives sur la scène internationale. «Dans le monde du sport professionnel, l’attachement émotionnel à une équipe se cristallise dans l’achat de produits dérivés, affirme André Richelieu. Même s’ils sont à l’autre bout du monde, les partisans aiment revêtir les couleurs de leur équipe lorsqu’ils regardent les matchs. C’est leur façon d’avoir un lien avec l’organisation.» Les Canadiens de Montréal ont bien compris le principe avec leur Club 1909, programme de récompenses créé pour les partisans de l’équipe à travers le monde.

Plusieurs équipes professionnelles nord-américaines aimeraient développer des ententes commerciales avec des partenaires étrangers pour la distribution de produits dérivés, mais elles en sont empêchées par la direction de leur ligue respective, laquelle centralise et dirige ce genre d’opération. «Au hockey, par exemple, chaque équipe peut décider de ses stratégies marketing dans un rayon de 150 kilomètres, révèle le chercheur. Cela veut dire que les Canadiens n’ont pas le droit de vendre des produits dérivés à Québec. C’est la prérogative de la ligue.»

Go Habs Go !

Il s’agit d’une année charnière pour les Canadiens, affirme André Richelieu. Le club jouit déjà d’un grand prestige en Europe, notamment en Russie. «Imaginez si l’équipe remportait une 25e coupe Stanley! Elle pourrait facilement déloger les Maple Leafs dans les plans marketing des dirigeants de la Ligue nationale de hockey. L’équipe aurait plus de poids auprès de la ligue afin de négocier des ententes internationales pour ses produits dérivés, autant en Europe que dans le marché chinois. D’autant plus que les Chinois aiment les équipes gagnantes – et que le club torontois croupit dans les bas-fonds de la ligue depuis plusieurs années. Les Canadiens auraient tout pour réussir une percée là-bas. Ils possèdent une histoire prestigieuse et un chandail rouge tellement vendeur!»

À long terme, un système de partage des revenus serait souhaitable, selon André Richelieu. Les profits générés par les recettes engrangées en Amérique du Nord pourraient continuer d’être redistribués entre toutes les équipes, tandis que les profits tirés de la vente de produits dérivés et d’ententes avec des télévisions étrangères pourraient être partagés parmi les équipes phares de la ligue. «Elles le mériteraient, car ces revenus proviendraient de leurs efforts afin de positionner leur marque distinctive à l’international», conclut-il.