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Au temps des Vikings

L’historienne Piroska Nagy fait voyager ses étudiants dans la Scandinavie du haut Moyen Âge.

Série

En classe!

Par Marie-Claude Bourdon

25 janvier 2016 à 16 h 01

Mis à jour le 2 juin 2022 à 22 h 03

Au 11e siècle, le moine Guillaume de Jumièges raconte que lors de l’attaque du monastère de Saint-Quentin, en Normandie, les Vikings «livrent le comté aux feux de Vulcain» et font des libations avec le sang des chrétiens. Les événements se sont produits quelque deux cents ans plus tôt et ont sans doute été déformés. Mais «c’est l’image des Vikings que les chroniqueurs de l’époque ont véhiculée jusqu’à nous: des barbares assoiffés de sang, pillant et détruisant tout sur leur passage, remarque la professeure du Département d’histoire Piroska Nagy. Si nous faisons ce cours aujourd’hui, c’est pour rectifier cette image.»

Photo: Nathalie St-Pierre

La médiéviste n’est pas à proprement parler une spécialiste de ces grands gaillards coiffés de leurs casques de fer qui terrorisaient les populations des côtes normandes ou britanniques. Celle qui a fait sa thèse de doctorat sur les larmes au Moyen Âge s’intéresse plutôt, dans ses recherches, à tout ce qui touche la vie affective. Elle vient d’ailleurs de publier, avec son collègue Damien Boquet, de l’Université Aix-Marseille, Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans l’Occident médiéval. Mais Piroska Nagy, qui enseigne depuis quelques années le cours sur L’aventure scandinave, des Vikings aux Normands, s’est manifestement passionnée pour son sujet.

Pirates ou marchands?

La séance d’aujourd’hui sera dédiée à la Scandinavie au début de l’âge viking. «Tous les Scandinaves n’étaient pas des Vikings, précise la professeure. Être viking, cela fait plutôt référence à une description d’emploi. On appelait ainsi ceux qui partaient en expédition sur les mers, alors que la très grande majorité des Scandinaves de l’époque vivaient de l’agriculture.» Si les Vikings sont généralement associés à la piraterie, les peuples avec lesquels ils ont été en contact en Orient les percevaient plutôt comme des marchands, ajoute Piroska Nagy. En russe, en grec et en arabe, les mots associés aux Vikings renvoient à l’idée de marchandise.

« Tous les Scandinaves n’étaient pas des Vikings. Être viking, cela fait plutôt référence à une description d’emploi. On appelait ainsi ceux qui partaient en expédition sur les mers, alors que la très grande majorité des Scandinaves de l’époque vivaient de l’agriculture. »

Les Vikings ayant laissé très peu d’écrits (ils avaient un système d’écriture, l’alphabet runique, mais seules quelques stèles ont subsisté), ce qu’on connaît d’eux et de leur mode de vie nous est parvenu surtout à travers les témoignages de leurs ennemis, victimes ou partenaires commerciaux. «Ce ne sont pas des textes écrits par les Vikings eux-mêmes, observe l’historienne. Ce sont des interprétations que des moines latins, des chroniqueurs grecs ou arabes ont rédigées à partir de leur propre expérience et de leur propre culture.»

Au cours des dernières décennies, les progrès accomplis dans le domaine de l’archéologie ont toutefois fait progresser de façon spectaculaire la connaissance que nous avons du monde scandinave à l’époque des Vikings. Pointes de flèches, bijoux, vestiges d’habitations, objets de la vie quotidienne, monuments funéraires, «les sources archéologiques racontent l’histoire d’une société techniquement avancée et relativement riche, qui n’est pas radicalement différente des autres sociétés occidentales de l’époque», affirme Piroska Nagy. Pour s’en convaincre, une grande exposition sur les Vikings, présentée jusqu’au 17 avril au Musée canadien de l’histoire, à Gatineau, fera l’objet d’une visite dans le cadre du cours.

Monnaies et trésor

Comme les armes et les bateaux, les monnaies étrangères, qu’on trouve souvent sur les sites vikings, sont un indice d’échanges avec l’extérieur. «Pourquoi la monnaie est-elle si importante du point de vue historique?», demande la professeure, qui ponctue son cours de petites questions lancées à la classe. «Les monnaies sont frappées à l’effigie d’un souverain, répond Jean-Félix Aubé-Pronce, étudiant de première année au baccalauréat en histoire. Il suffit de savoir à quel moment ce souverain a régné pour pouvoir les dater.»

Effectivement, mais cela-nous permet-il de dater exactement le site où on les découvre? «Pas nécessairement, observe un autre étudiant, puisque la monnaie a pu être conservée longtemps dans un bas de laine!» La professeure sourit. «Les pièces de monnaie, souvent fabriquées en or ou en argent, pouvaient passer un certain temps dans un trésor, confirme Piroska Nagy. Donc, elles ne nous renseignent pas nécessairement sur la date où le trésor a été enfoui, mais elles permettent quand même de savoir que le site où on les retrouve n’est pas antérieur à leur date de fabrication.»

Dans la région de York, au nord de l’Angleterre, on a retrouvé des squelettes sur l’important site archéologique de Jorvik. Sur une diapositive, apparaît un crâne aux dents ciselées. «On sait que les Vikings étaient très tatoués, même si cela ne laisse pas de traces, note la professeure. Par contre, on peut voir le travail d’ornementation qu’ils faisaient sur leurs dents. Cela ne devait pas être très agréable.»

Des femmes parmi les hommes

Thomas Sallé, étudiant en deuxième année, lève la main. «J’ai lu quelque part que, sur un site, la moitié des squelettes que l’on croyait appartenir à des hommes appartenaient en fait à des femmes, ce qui laisse croire qu’il y avait des femmes dans les expéditions. Qu’en pensez-vous?»

«Pouvez-vous retrouver la référence et me l’envoyer? répond Piroska Nagy. Cela m’intéresse. On sait que les femmes avaient une grande importance dans la société scandinave, mais est-ce qu’elles portaient les armes? Je ne sais pas.»

Peuples de l’eau

Photo: Nathalie St-Pierre

À la veille de l’expansion viking, qui se poursuit de l’an 700 à l’an 1000 environ, la Scandinavie est une grande péninsule qui s’étend du cercle polaire, au nord, à la Baltique au sud (à l’époque, l’Islande et le Groenland ne sont pas encore colonisés). Surtout peuplée dans la partie sud, près de la mer, des lacs et des cours d’eau, la région bénéficie d’une unité géographique, mais aussi d’une culture et d’une langue communes. Les ancêtres des Norvégiens, des Danois et des Suédois se comprennent. «Ce sont tous des peuples germaniques, qui sont installés dans la région depuis longtemps, commente l’historienne. On les décrit déjà dans les chroniques de l’époque romaine.»

Si les Scandinaves du haut Moyen Âge sont avant tout des agriculteurs, ce sont des peuples qui vivent en contact étroit avec l’eau, la mer pénétrant les terres par les fjords et les forêts fournissant du bois en abondance pour construire des bateaux, les fameux drakkars. «Avant d’aller jusqu’en Gaule, ils ont perfectionné leurs techniques de navigation pendant des siècles», note la professeure.

« La mobilité sociale est importante, entre autres grâce à la navigation et à l’activité marchande. Être viking, c’est un moyen de changer sa place dans la société. Ceux qui partent à l’aventure sont souvent ceux qui ne sont pas satisfaits de leur sort, qui n’ont pas d’héritage ou de fortune. »

À l’époque des Vikings, on assiste à un enrichissement de la société scandinave et à une complexification de la structure sociale. «La mobilité sociale est importante, entre autres grâce à la navigation et à l’activité marchande, explique l’historienne. Être viking, c’est un moyen de changer sa place dans la société. Ceux qui partent à l’aventure sont souvent ceux qui ne sont pas satisfaits de leur sort, qui n’ont pas d’héritage ou de fortune.»

Les paysans sont des hommes libres, propriétaires de leurs terres. Ils portent des armes et participent au thing, l’assemblée saisonnière, où se discutent à la fois les affaires politiques, militaires et judiciaires. Les paysans peuvent posséder des esclaves. Ces derniers ont des droits réduits, mais ne sont pas traités comme du bétail et peuvent se marier. «Les esclaves ont été enlevés dans des pays étrangers, mais la majorité sont blancs», précise la professeure. Peu à peu, apparaissent des travailleurs agricoles salariés. On voit aussi émerger, comme plus tard dans le reste de la société médiévale, des guildes d’artisans. La base de la société est la famille nucléaire.

«La famille élargie, au Moyen Âge, c’est un mythe dit l’historienne. Il peut y avoir des parents âgés qui résident avec le couple ou des serviteurs, qui sont généralement des esclaves domestiques, mais on ne vit pas en clan avec des oncles, des tantes et des cousins.»

Lente christianisation

Malgré ses nombreux contacts avec l’Europe chrétienne, la société scandinave résiste longtemps à la christianisation, qui survient autour de l’an 1000, au moment où se forment les royaumes – Danemark, Norvège, Suède – tels qu’on les connaît aujourd’hui. L’unité politique ne s’est pas faite du jour au lendemain. «C’est l’affirmation des élites guerrières et la concentration du pouvoir qui permettent l’apparition des royaumes nationaux, dit Piroska Nagy. Le thing sert à la légitimation du pouvoir politique, mais la conquête se fait souvent de façon militaire, comme on peut le voir dans la série Vikings

Photo: Nathalie St-Pierre

Le cours se termine sur le visionnement non pas d’un épisode de Vikings, mais d’une vidéo montrant une reconstitution à partir de données archéologiques d’un site occupé du 7e au 11e siècle près du lac Tissø, au Danemark.  On aperçoit les échoppes le long de la rivière, le lieu du marché, les maisons longues comme on en retrouve dans tout l’Occident germanique et le grand hall, sans doute une résidence royale secondaire, où l’on reçoit les convives pour les festins. Un sanglier cuit sur la broche et les hommes boivent de la bière dans des cornes de bœuf.

«Vous avez déjà vu des images de Vikings buvant dans des crânes? demande la professeure.  Pas très pratique. Pourquoi, selon vous?» Les étudiants rigolent: «C’est plein de trous!» En effet, acquiesce la professeure. «C’est l’expression corne de bœuf , explique-t-elle, qui aurait été mal traduite par le mot crâne. De là viendrait la légende du Viking buvant dans le crâne de ses victimes!»

Une légende qui a contribué à cette image de brutes sanguinaires que les Vikings ne méritent probablement pas davantage que tous les autres guerriers du Moyen Âge!