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Penser les inégalités sociales

Un colloque du CHRS aborde les inégalités sous l’angle de la citoyenneté.

Par Claude Gauvreau

30 août 2016 à 10 h 08

Mis à jour le 1 septembre 2016 à 9 h 09

Selon le professeur Martin Petitclerc, le concept de citoyenneté est un révélateur des inégalités et des luttes sociales qui traversent les sociétés contemporaines. Photo: Centre d’histoire des régulations sociales

Crise de l’État-providence, austérité et révolution néolibérale; pauvreté, chômage et marginalisation sociale; criminalité et délinquance; ordre public et répression… Ces thèmes et bien d’autres figurent au programme du colloque international Question sociale et citoyenneté, qui se tient à l’UQAM du 31 août au 2 septembre. L’événement est organisé par le Centre d’histoire des régulations sociales (CHRS), qui profitera de l’occasion pour honorer la mémoire de son fondateur, le regretté professeur du Département d’histoire Jean-Marie Fecteau (1949-2012). Le comité organisateur est composé de quatre professeurs de l’UQAM, de l’Université de Sherbrooke et de l’Université d’Angers ainsi que de deux doctorants en histoire, soit Cory Verbauwhede et Martin Robert.

Le colloque se penchera sur l’analyse historique des problèmes sociaux et des inégalités sociales en abordant ces questions sous l’angle de la citoyenneté. «Le concept de citoyenneté apparaît comme un puissant révélateur des inégalités et des luttes sociales qui traversent les sociétés contemporaines. Ce sont différents aspects de l’histoire de ces inégalités et de ces luttes qui seront au cœur des discussions», souligne Martin Petitclerc, professeur au Département d’histoire et directeur du CHRS. 

Les chercheurs se demanderont de quelle façon s’est posée la question sociale au Québec, en Europe et aux États-Unis, depuis le début du 19e siècle jusqu’à aujourd’hui. «Pendant longtemps, les inégalités sociales – comme celles entre un roi et ses sujets ou entre un seigneur et ses paysans – s’inscrivaient dans l’ordre des choses et n’étaient pas remises en question, rappelle Martin Petitclerc. Après les révolutions de la fin du 18e siècle, le développement du capitalisme impose un ordre social qui génère de nouvelles inégalités. Parallèlement, un ordre politique fondé sur la citoyenneté, l’égalité civile et les libertés individuelles se met progressivement en place. L’avènement de ce nouvel ordre normatif, qui postule la liberté pour tous, fait apparaître les inégalités comme des contradictions et leur confère une dimension politique.»

Les inégalités s’aggravent

Selon Martin Petitclerc, le succès remporté en France et aux États-Unis par le livre de l’économiste français Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, paru en 2014, montre bien le regain d’intérêt pour les questions relatives aux inégalités économiques et sociales. «Ces inégalités, comme le souligne Piketty, se sont aggravées avec la crise de l’État-providence et la montée du néolibéralisme dans les années 80, dit-il. Au Québec, le projet de réforme de l’aide sociale soumis par le gouvernement libéral en est la plus récente illustration. L’aide sociale ne disparaît pas, mais elle devient conditionnelle à l’intégration obligatoire au marché du travail. L’idée d’assurer un revenu minimum afin de protéger les plus démunis, qui avait été reconnue avec la mise en place de l’État-providence, est désormais soumise aux exigences du marché.»

«Depuis trois décennies, l’histoire sociale s’est détournée de l’analyse du pouvoir et des conflits sociaux, de l’économie et de l’État. Notre colloque est l’occasion de réunir des chercheurs qui ressentent la nécessité de recentrer l’analyse historique sur ces problèmes, tout en ayant recours à une variété de méthodes et de perspectives.»

Martin Petitclerc,

professeur au Département d’histoire

L’ouvrage de Piketty illustre aussi l’échec de la discipline historique à analyser les inégalités sociales, poursuit le professeur. «Cet économiste a fait un travail que les historiens n’ont pas accompli. Depuis trois décennies, l’histoire sociale s’est détournée de l’analyse du pouvoir et des conflits sociaux, de l’économie et de l’État. Notre colloque est l’occasion de réunir des chercheurs qui ressentent la nécessité de recentrer l’analyse historique sur ces problèmes, tout en ayant recours à une variété de méthodes et de perspectives.»

Sous le signe de la citoyenneté   

Martin Petitclerc croit que la citoyenneté peut être envisagée comme la forme nouvelle que prennent les rapports de pouvoir dans la modernité libérale. «La citoyenneté ne renvoie pas seulement à un statut juridique auquel sont rattachés des droits civils – libertés individuelles, droits de propriété et de contracter – et politiques – droit d’élire des représentants et de participer au pouvoir politique. Elle  comporte aussi des droits sociaux, comme le droit à l’éducation et à la sécurité sociale, qui sont au centre de conflits.»

La notion de citoyenneté fait enfin référence au pouvoir et à la capacité d’agir des citoyens, soutient le chercheur. «Aujourd’hui, le langage politique dans lequel s’expriment les rapports sociaux est celui de la citoyenneté. Elle constitue la référence commune aux mouvements sociaux qui, continuellement, cherchent à en réactiver les promesses. C’est ce dont a témoigné  le dernier Forum social mondial tenu à Montréal cet été.»

Hommage à Jean-Marie Fecteau

Au cours du colloque, une table ronde et un cocktail permettront de saluer la mémoire du professeur Jean-Marie Fecteau, qui a dirigé le CHRS de 1990 à 2012. «Nous lancerons également le dernier numéro du Bulletin d’histoire politique, lequel comporte un dossier consacré à son parcours intellectuel», note Martin Petitclerc.

Le professeur estime que les travaux de Jean-Marie Fecteau constituent une source d’inspiration pour les chercheurs en histoire. «Historien du libéralisme et auteur d’un ouvrage important, La liberté du pauvre. Crime et pauvreté au XIXe siècle québécois, publié en 2004, il s’est intéressé à une grande variété de problèmes sociaux. Son œuvre nous invite à réfléchir de façon critique au politique et à l’ordre social en mettant en tension les principes de la citoyenneté et les formes diverses de l’inégalité sociale.»