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Cuisiniers sous pression

Une doctorante en psychologie se penche sur les comportements à risque des travailleurs de la restauration.

Par Pierre-Etienne Caza

27 juin 2016 à 9 h 06

Mis à jour le 27 juin 2016 à 10 h 06

Photo: iStock

Au cours des dernières années, des documentaires et récits autobiographiques ont levé le voile sur les aspects moins glamour du métier de cuisinier. «C’est un milieu exigeant, souvent associé à des abus d’alcool et de drogue», souligne Emma Glorioso-Deraiche, qui a elle-même hésité longuement entre des études en pâtisserie et en psychologie. «Ce sont les études universitaires qui l’ont emporté», raconte l’étudiante, qui a trouvé une façon originale de rallier ses deux passions. Elle a consacré sa thèse d’honneur – le travail final couronnant le profil honours (recherche) du baccalauréat en psychologie – aux problématiques liées au milieu de la restauration.

C’est au cours d’un stage au Laboratoire des sciences appliquées du comportement du professeur Jacques Forget qu’Emma Glorioso-Deraiche s’est intéressée au phénomène. «J’ai pris connaissance d’une étude réalisée à la fin des années 1990, en Caroline du Nord, qui s’intéressait aux troubles alimentaires dans une école culinaire, se rappelle-t-elle. La chercheuse avait constaté que 19 % des répondants de son échantillon de 411 étudiants présentaient des facteurs qui auraient pu se qualifier comme symptômes de troubles alimentaires.»

Emma Glorioso-Deraiche

Une foule de questions ont envahi l’esprit de l’étudiante. Les symptômes de troubles alimentaires étaient-ils préexistants à l’inscription dans ladite école? Si oui, pourquoi s’inscrire dans une école culinaire si on présente une telle vulnérabilité? Au contraire, les symptômes surviennent-ils en cours de formation? Si oui, est-ce le milieu qui influence l’élève et de quelles façons? «Le sujet méritait que je m’y attarde», confie Emma Glorioso-Deraiche, qui travaille à temps partiel dans un resto montréalais.

Dans le cadre de sa thèse d’honneur, elle a sondé à l’aide d’un questionnaire web des étudiants en cuisine de l’École hôtelière de Montréal Calixa-Lavallée et des professionnels du milieu de la restauration. «Nous n’avions pas d’hypothèse à vérifier, précise-t-elle. Il s’agissait d’une étude exploratoire, car ce genre de recherche n’a jamais été réalisé au Québec.»

«Environ le quart de notre échantillon présentait un risque de développer un trouble alimentaire.»

Emma Glorioso-Deraiche

Doctorante en psychologie

Le questionnaire comportait des questions à propos de divers comportements à risque: alcool, drogues, sexe, violence, etc. Il interrogeait aussi les 28 répondants sur leur degré d’anxiété et sur certains symptômes liés aux troubles alimentaires. «Environ le quart de notre échantillon présentait un risque de développer un trouble alimentaire, indique Emma Glorioso-Deraiche. Mais attention: nous ne posons pas de diagnostic, car nos instruments ne permettent pas de faire du dépistage comme tel.»

Projet de thèse

Emma Glorioso-Deraiche a décidé de creuser ce filon au doctorat, amorcé l’automne dernier sous la direction de Jacques Forget. «Je souhaite comparer les professionnels et les élèves en cuisine, cette fois en mettant l’accent sur les problèmes de consommation d’alcool et de drogue, en lien avec le sentiment d’autoefficacité au travail, précise-t-elle. Je veux aussi mesurer l’anxiété ainsi que les symptômes de troubles alimentaires.»

«J’aimerais être en mesure de comprendre si c’est le milieu professionnel qui amène les gens à adopter ces comportements, ou si ce sont des prédispositions personnelles.»

Avec des questions plus élaborées et un échantillon plus substantiel – la doctorante vise au minimum une centaine de répondants –, il sera possible, espère-t-elle, de mieux cerner les raisons qui poussent les gens du milieu de la restauration à adopter des comportements à risque. «J’aimerais être en mesure de comprendre si c’est le milieu professionnel qui amène les gens à adopter ces comportements, ou si ce sont des prédispositions personnelles», dit-elle.

Dans l’armée, il existe plusieurs programmes de sensibilisation pour une multitude de situations à risque auxquelles peuvent être exposés les soldats, note Emma Glorioso-Deraiche. «S’il y a réellement des problèmes de conduites à risque dans le milieu de la restauration, est-ce que les écoles sont au courant et, si oui, sensibilisent-elles leurs étudiants? L’anxiété de performance serait-elle instillée dès l’école de cuisine? Est-ce que les autodidactes qui n’ont pas été formés dans une école présentent les mêmes comportements que leurs collègues diplômés? Voilà autant de questions auxquelles j’espère trouver réponse!», conclut la jeune chercheuse.