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Favoriser la résilience

Martine Hébert reçoit plus de 750 000 dollars pour une recherche sur les jeunes victimes d’abus sexuels.

Par Claude Gauvreau

19 septembre 2016 à 12 h 09

Mis à jour le 20 septembre 2016 à 9 h 09

Il est important de comprendre les différentes trajectoires des enfants et des adolescents ayant été victimes d’agressions sexuelles ainsi que les facteurs pouvant influencer leur rétablissement, souligne Martine Hébert. Photo: Istock

Au Québec, une femme sur cinq et un homme sur dix ont été victimes d’abus sexuel avant l’âge de 18 ans, révèlent les études les plus récentes. «Il s’agit d’un important problème de santé publique, souligne la professeure du Département de sexologie Martine Hébert. Plusieurs conséquences graves sont associées aux abus sexuels subis durant l’enfance et l’adolescence: détresse psychologique, dépression, problèmes de dépendance à l’alcool et aux drogues, criminalité, tendances suicidaires, etc.  Les enfants et les adolescents ayant été victimes d’agression sexuelle risquent aussi de vivre d’autres formes de traumatismes, que ce soit à l’école ou dans leurs relations amoureuses.» 

La chercheuse, qui est cotitulaire de la Chaire interuniversitaire Marie-Vincent sur les agressions sexuelles envers les enfants, a obtenu en juillet dernier une subvention de plus de 750 000 dollars dans le cadre du nouveau programme Fondation des Instituts de recherche en santé du Canada  (IRSC). Grâce à ce financement, elle dirigera au cours des sept prochaines années une recherche intitulée Uncovering Pathways to Recovery and Optimizing Treatment for Child and Adolescent Victims of Sexual Abuse. «Ce concours des IRSC est très compétitif, dit Martine Hébert. Parmi les 910 demandes de subvention soumises à travers le pays, 120 seulement ont été acceptées.»

Comprendre les trajectoires

Le projet vise d’abord à documenter l’évolution des enfants qui ont vécu une agression sexuelle. «En collaboration avec plusieurs centres d’intervention spécialisés, nous allons suivre pendant trois ans une cohorte de 300 enfants, explique la professeure. Nous allons également démarrer une étude auprès d’adolescents – filles et garçons – qui bénéficient de divers services dans les régions de Montréal et de Gatineau.»

Il est important de comprendre les différentes trajectoires des enfants et des adolescents ainsi que les facteurs pouvant influencer leur rétablissement, insiste Martine Hébert. «Certains enfants agressés sexuellement s’en tirent mieux que d’autres ou sont davantage capables de composer avec le traumatisme, observe-t-elle. Les profils très diversifiés des victimes ne révèlent pas l’existence d’un syndrome unique. Pour orienter chaque enfant vers l’intervention la mieux adaptée à ses besoins, on doit évaluer l’importance des facteurs personnels (les stratégies d’adaptation de chacun, par exemple), et familiaux (appui des parents, degré de cohésion et de conflit).»

La recherche permettra, par ailleurs, d’identifier quels enfants et adolescents sont le plus à risque de vivre de nouveaux épisodes de victimisation, et de fournir des indices sur le type de services et d’interventions à mettre en place afin de favoriser leur résilience. «Nous savons que plusieurs enfants ayant subi une agression sexuelle font l’objet d’intimidation à l’école, ce qui vient exacerber les symptômes de détresse psychologique, note la chercheuse. On sait aussi que des adolescents ayant été abusés sexuellement sont deux fois plus à risque de connaître de la violence dans leurs relations amoureuses.»

Combiner les approches

Le Centre d’expertise en agression sexuelle de la Chaire Marie-Vincent, qui vient en aide aux victimes âgées de 12 ans et moins, a implanté avec beaucoup de succès le traitement thérapeutique Trauma Focused-Cognitive Behavioral Therapy (TF-CBT). «Ce traitement, basé sur 12 à 16 rencontres individuelles avec les enfants et aussi avec leurs parents, permet d’atténuer les symptômes de détresse et de renforcer l’estime de soi, souligne Martine Hébert. Dans le cadre du projet de recherche, ce traitement sera combiné avec des modules d’intervention  en lien avec d’autres difficultés vécues par les enfants: anxiété, troubles somatiques, sentiments de colère et d’agressivité. Nous faisons l’hypothèse que différents types d’interventions permettent de renforcer l’efficacité de la thérapie de base.» Pour les adolescents, un autre module d’intervention est prévu, axé sur la prévention de la violence dans un contexte de relation amoureuse.

Le fait que la recherche s’étale sur sept ans permettra de consolider les partenariats entre le Centre d’expertise Marie-Vincent, le seul du genre au Québec, et de nouveaux organismes. «Au Canada, on compte actuellement une vingtaine de centres d’appui aux enfants, implantés ou en développement, note la chercheuse. Des collaborations sont envisagées avec des centres à Calgary, à Toronto et au Nouveau-Brunswick.»

Briser le silence

Bien que la population comprenne mieux qu’auparavant l’importance de briser le silence autour du phénomène des agressions sexuelles, de fausses croyances persistent quant à la nature des actes posés par l’agresseur et à la réaction des enfants. Sans parler de la méconnaissance des ressources. «Dévoiler un cas d’agression sexuelle provoque toujours une situation de crise dans l’entourage de la victime, rappelle Martine Hébert. Les personnes qui reçoivent les confidences doivent être outillées pour réagir de manière adéquate.»

Au Québec, les listes d’attente pour avoir accès à des services spécialisés en matière d’agression sexuelle sont encore longues. «Un enfant qui a subi une agression devrait aussitôt avoir accès à de tels services, soutient la professeure. Il importe de mettre en place des stratégies d’intervention le plus rapidement possible pour s’assurer que les enfants poursuivent un développement optimal.» Selon la chercheuse, il faut augmenter le nombre de spécialistes formés spécifiquement pour intervenir auprès des enfants.

Lauréate 2014 du prix Thérèse-Gouin-Décarie en sciences sociales de l’Acfas, Martine Hébert a obtenu, en 2016, la Chaire de recherche du Canada en violence interpersonnelle et résilience. Celle-ci vise à mieux comprendre les trajectoires différenciées chez les enfants et adolescents victimes de violence et à identifier les facteurs de protection pouvant agir sur les plans individuel, familial, social et communautaire afin de favoriser la résilience. Elle a codirigé les deux tomes du livre L’agression sexuelle envers les enfants (Presses de l’Université du Québec, 2011 et 2012), lesquels sont devenus des ouvrages de référence pour la formation des policiers et des intervenants en centre jeunesse.