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Étranger cherche job en santé

Catherine Gail Montgomery s’intéresse à l’intégration des professionnels de la santé formés à l’étranger.

Par Valérie Martin

26 avril 2016 à 14 h 04

Mis à jour le 26 avril 2016 à 16 h 04

Malgré la pénurie de main-d’œuvre dans le milieu de la santé et des services sociaux, à Montréal comme en région, l’insertion en emploi demeure l’un des principaux défis vécus par les professionnels de la santé formés à l’étranger.Photo: istockphoto.com

Encore récemment, des médecins formés à l’étranger à qui on a refusé le stage nécessaire pour obtenir leur permis de pratiquer ont fait les manchettes. Malgré la pénurie de main-d’œuvre dans le milieu de la santé et des services sociaux, à Montréal comme en région, l’insertion en emploi demeure l’un des principaux défis vécus par les professionnels de la santé formés à l’étranger. «Cela touche presque toutes les catégories d’emploi: les physiothérapeutes, les ergothérapeutes, les auxiliaires familiaux et les travailleurs sociaux», observe Catherine Gail Montgomery, professeure au Département de communication sociale et publique et spécialiste en communication et en intervention interculturelles dans le domaine de la santé.»

Catherine Gail MontgomeryPhoto: Émilie Tournevache

La situation n’ira pas en s’améliorant. «Avec le vieillissement de la population, les besoins pour les services de santé augmenteront de plus en plus», souligne la professeure, qui travaille, depuis plusieurs années déjà, sur les enjeux spécifiques au processus d’immigration en lien avec les services de santé et services sociaux. Ses recherches sont menées en collaboration avec le CSSS de la Montagne, au sein de l’équipe de Migration et ethnicité dans les interventions en santé et en services sociaux (METISS), dont elle est la directrice scientifique.

Reconnaître les acquis

Premier défi pour les professionnels de la santé formés à l’étranger: faire reconnaître leurs qualifications, leurs acquis et leurs formations auprès des associations ou des ordres professionnels, lesquels règlementent la plupart des professions du milieu de la santé et des services sociaux. Ce qui peut s’avérer un processus long et compliqué puisque très peu de formations étrangères sont reconnues. À titre d’exemple, le Collège des médecins ne reconnaît que la formation prodiguée aux États-Unis et dans certains pays d’Europe. «Il y a tellement de formations dans le domaine de la santé et des services sociaux offertes dans le monde qu’il est impossible, encore de nos jours, de toutes les connaître», observe la chercheuse.

La tâche des associations et des ordres professionnels qui doivent procéder à l’évaluation des dossiers n’est donc pas simple. «Est-ce que la formation d’infirmière au Maroc est équivalente à celle du Québec, par exemple? Dans quel milieu le professionnel a-t-il œuvré? Sur quelles problématiques de santé s’est-il penché? Les pratiques du pays du demandeur sont-elles les mêmes que celles d’ici? Ce sont quelques-unes des questions que les associations et les ordres professionnels ont à se poser avant de reconnaître les acquis de professionnels formés à l’étranger», illustre Catherine Gail Montgomery.

La professeure plaide néanmoins pour une reconnaissance plus flexible des acquis, si le cas le permet. «Même si les professionnels de la santé n’ont pas les mêmes expériences de terrain ou ne sont pas familiers avec certaines technologies médicales, la proximité des formations, dans certains cas, pourrait être suffisante», dit-elle. Les méthodes pour faire un pansement peuvent varier d’un pays à l’autre, note la chercheuse. «Mais ce sont des choses qui s’apprennent!»

Selon Catherine Gail Montgomery, les établissements de santé et de services sociaux, les ordres, les associations professionnelles et les établissements d’enseignement supérieur doivent se concerter afin de mettre en place des mesures pour faciliter la reconnaissance des diplômes. Le gouvernement a aussi un rôle à jouer. Des comités intersectoriels ont été mis en place récemment pour travailler sur les questions de reconnaissances des acquis. «Selon le gouvernement, les pertes liées à la sous-utilisation des compétences des personnes immigrantes sont de l’ordre de 10 milliards. C’est énorme!, commente Catherine Gail Montgomery. D’où l’importance d’agir.»

Au-delà des préjugés

Même une fois la formation reconnue, il existe encore beaucoup de préjugés et de stéréotypes envers les travailleurs formés à l’étranger, observe la professeure, qui s’interroge sur la formation du personnel en ressources humaines qui procède à la sélection et à l’embauche des candidats. «Ces employés ont-ils les compétences interculturelles nécessaires pour surmonter leurs préjugés?», se demande-t-elle.

Le personnel de recrutement des établissements de santé et de services sociaux doit être mieux formé à la diversité afin de mener des processus d’embauche ouverts à tous, à compétences égales. «Les techniques d’entrevue varient d’un pays à l’autre: une personne peut mal interagir parce que ses façons de faire sont différentes, illustre Catherine Gail Montgomery. Si une personne parle avec un accent, cela ne veut pas dire qu’elle ne comprend pas la langue!»

Les professionnels de la santé formés à l’étranger peuvent rencontrer des difficultés d’intégration au sein de leurs équipes de travail. «Il existe des pratiques, des manières de faire et de communiquer propres à chaque établissement de santé et de services sociaux, remarque la professeure. Comme les travailleurs étrangers ne sont pas familiers avec ces cultures institutionnelles, ils peuvent parfois être stigmatisés ou victimes de discrimination.» Difficile d’intégrer un milieu homogène, d’autant que les patients peuvent également avoir des préjugés envers les travailleurs étrangers. «Cela peut être une expérience très confrontante pour ces professionnels.»

Les syndicats doivent mieux protéger les professionnels issus de l’immigration. «Malheureusement, eux aussi font parfois preuve de préjugés. Mais il y a une sensibilisation qui se fait.»

Des groupes d’entraide

Les réseaux de soutien offrent une aide précieuse aux professionnels de la santé formés à l’étranger. «Ces réseaux peuvent être mis en place par les ordres ou plus informels et instaurés par des professionnels ayant vécu des parcours similaires d’immigration et d’intégration», explique Catherine Gail Montgomery. Ces derniers font office de parrains auprès des professionnels qui se cherchent un emploi. «Ils vont fournir de l’information pour obtenir la reconnaissance des acquis, trouver des personnes-contacts, prodiguer des conseils sur la façon de se présenter à une entrevue ou apporter leur soutien moral», décrit la chercheuse.

Catherine Gail Montgomery se montre optimiste. «Il existe des contraintes à l’emploi et il faut s’y attaquer, certes, mais certains professionnels réussissent à manœuvrer dans ce système et à trouver un emploi dans leur domaine, même si cela demeure un processus beaucoup trop long…»

Un colloque à l’Acfas

Organisé par Catherine Gail Montgomery en collaboration avec l’équipe METISS et l’Alliance des communautés culturelles pour l’égalité à la santé et des services sociaux (ACCESSS), le colloque On m’a dit qu’il y avait du travail: expériences d’insertion en emploi des professionnels de la santé formés à l’étranger aura lieu le jeudi 12 mai, de 13 h à 17 h. «L’objectif est d’aborder différents milieux du domaine de la santé et des services sociaux et non de se concentrer sur une seule profession», précise Catherine Gail Montgomery.

En première partie de l’événement, les chercheurs discuteront des enjeux et des défis de l’insertion des professionnels de la santé formés à l’étranger. Des praticiens et membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec feront le point, entre autres, sur les mesures d’insertion à l’emploi qu’ils ont mises en place.

La deuxième partie du colloque portera sur les expériences d’insertion et les réseaux de soutien. Un ancien infirmier originaire du Maroc, reconverti en avocat après avoir terminé des études de droit au Québec, livrera un témoignage sur son parcours atypique. Marie-Emmanuelle Laquerre, professeure au Département de communication sociale et publique, prononcera une conférence sur les dynamiques d’interaction au sein des équipes de soins multidisciplinaires (ergothérapeutes, médecins, infirmières, etc.) dont certains professionnels sont formés à l’étranger.