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Dessine-moi une exposition

À travers le design d’exposition, Geneviève Angio-Morneau souhaite faire vivre une expérience unique aux visiteurs.

Par Marie-Claude Bourdon

12 janvier 2016 à 17 h 01

Mis à jour le 13 janvier 2016 à 10 h 01

Série «Sur le terrain»
Des diplômés de l’UQAM qui ont fait leurs preuves répondent à 10 questions sur leur univers professionnel.

Geneviève Angio-Morneau a toujours été, selon ses propres termes, une geek de musée. Munie d’un bac en design graphique et d’une maîtrise en muséologie, c’est tout naturellement qu’elle s’est retrouvée, en 2005, chez GSM Project, un bureau de design d’exposition montréalais pour lequel elle effectue des mandats à travers la planète.

Directrice de création depuis 2013, la designer compte à son actif des projets tels que Star WarsTM Identités (2012), actuellement en tournée en Europe après avoir été présenté au Centre des sciences de Montréal et à Ottawa, le développement du contenu de l’observatoire de la Burj Khalifa, le plus haut gratte-ciel du monde, à Dubaï (At the Top, 2010), et l’une des expositions permanentes du National Library Board de Singapour (From Books to Bytes, 2005). Parmi d’autres projets, elle travaille en ce moment à refaire la galerie de l’exposition permanente du Musée d’Anchorage, en Alaska, et à la transformation en musée du Qasr al Hosn, un fort qui a été l’un des premiers bâtiments permanents d’Abu Dhabi, où elle a déjà réalisé une exposition temporaire, en 2013, consacrée à la tradition orale et au Sadu, la forme traditionnelle de tissage des Bédouins.

Quelle est la plus grande qualité pour être heureux dans votre domaine?

La curiosité. Il faut préciser que chez GSM Project, on livre souvent des projets clés en main, c’est-à-dire qu’on ne travaille pas seulement sur le design de l’exposition, mais aussi, en parallèle, sur le développement des contenus. Pour monter un projet d’exposition, Il faut rechercher du visuel, trouver des angles d’approche, poser des tas de questions. On rencontre des sommités dans plusieurs domaines et, pour en extraire le plus de jus possible, il faut poser énormément de questions, car la première réponse qu’ils nous donnent est rarement la meilleure. On doit aussi parler à toutes les personnes impliquées dans le musée – les gens des collections, les gens en éducation, etc. –, car on ne sait jamais quel bijou va émerger de ces rencontres. Quand tu es curieux, quand tu tripes sur ton sujet, faire tout ça est un privilège. Et quand tu tripes, il y a des chances que les visiteurs tripent aussi!

Votre plus grande réussite?

Ce n’est pas un projet en particulier. Ma plus grande fierté, en tant que directrice de création, c’est de mener chaque projet à bon port. De veiller à garder intacte l’idée de départ conçue par une petite équipe et sur laquelle, au moment de la livraison, parfois plus d’une centaine de personnes ont collaboré. C’est fragile, une idée. Cela peut se diluer en cours de route. Or, je me vois comme la gardienne du feu sacré. Et j’ai beaucoup de satisfaction quand je constate que l’émotion qui était dans notre idéation de départ est communiquée aux visiteurs.

Un faux pas qui vous a servi de leçon?

Chez GSM Project, nous travaillons souvent dans d’autres pays et nous nous devons d’être très attentifs à la culture locale. Au Moyen Orient, par exemple, il nous est arrivé d’habiller des personnages dans des rendus 3D avec des vêtements qui n’appartenaient pas à leur culture spécifique… on nous l’a fait remarquer! Mais l’histoire dont on se souviendra longtemps, c’est celle des pingouins en Alaska. Dans le cadre du projet que nous préparons pour le musée d’Anchorage et des multiples documents que nous présentons, nous avions utilisé une image avec des pingouins sur une banquise. Quand le client a vu ça, c’était la catastrophe, car il n’y a pas de pingouins en Alaska! Au bureau, cette image est devenue légendaire. Maintenant, on parle de faire attention aux «pingouins» peu importe le projet!

 

Un bon coup d’un compétiteur que vous auriez aimé faire?

Le pavillon britannique à l’Exposition universelle de Shanghai, réalisé par Heartherwick Studio. Ce pavillon très audacieux était comme une grande sculpture toute en acrylique dans laquelle on pouvait entrer et se promener. Les architectes l’avaient appelé «Cathédrale de graines», car il renfermait 250 00 échantillons de graines de plantes du monde entier intégrés à l’architecture, symbolisant le lien entre l’avenir des villes et la nature. C’est un peu difficile à expliquer – allez voir des photos sur Internet!  –, mais c’était très esthétique et d’une grande efficacité. Il n’y avait pas de propagande, on n’essayait pas de tout expliquer sur le Royaume-Uni. Les architectes avaient simplement utilisé cette occasion pour offrir aux visiteurs ce moment de beauté et d’intelligence. C’est assez rare qu’on la chance de faire ce genre de chose et cela m’avait beaucoup inspirée.

La dernière tendance dans votre secteur?

Le métier à tisser de Qasr al Hosn. Photo: Martin J. Dignard

Le design participatif. Avant, les visiteurs des expositions étaient perçus comme des observateurs passifs. Aujourd’hui, on ne veut pas seulement montrer un contenu, on veut que les visiteurs participent à quelque chose, qu’ils vivent une expérience. D’ailleurs,  les designers interactifs sont de plus en plus impliqués dans les projets. On veut aussi s’assurer que l’expérience de l’exposition soit unique. Dans le cadre de l’exposition temporaire du fort de Qasr al Hosn, par exemple, on avait installé un énorme métier à tisser numérique et les visiteurs étaient invités à créer une œuvre d’art collective. Environ 60 pieds de tissage ont été réalisés pendant l’événement. Ce n’est pas quelque chose que tu peux faire seul chez toi.

Et ce qui est définitivement dépassé?

Un musée préoccupé seulement par un contenu à communiquer. C’est beau de vouloir pousser des messages, mais il faut laisser un espace physique et mental pour que le visiteur puisse vivre une expérience, qui sera souvent beaucoup plus mémorable qu’une accumulation de textes, d’images et d’artefacts.

Sur la scène nationale ou internationale, qui est le «gourou» de l’heure?

La conception d’exposition se rapproche de l’architecture et je suis une grande fan de BIG, une firme d’architectes fondée par Bjarke Ingels, à Copenhague. Ils font une architecture basée sur des idées fortes, qui reposent souvent sur des recherches historiques ou des réflexions identitaires. Quand on travaille avec eux, quand on regarde les vidéos où ils présentent leurs projets, on voit qu’ils accordent beaucoup d’importance à la communication, ce qui tranche avec l’attitude de certains créatifs qui enveloppent leur processus de création de mystère. Je trouve que c’est génial parce que c’est plus facile d’aimer une architecture que l’on comprend.

Nommez une étoile montante qui vous inspire.

Je vois plein de petits studios de design à Montréal en ce moment qui m’inspirent, particulièrement des studios dirigés par des jeunes femmes [dont la plupart sont passées par l’École de design de l’UQAM]. Je pense en particulier à Daily tous les jours [Mélissa Mongiat et Mouna Andraos], à Design par Judith Portier et à La Camaraderie [Albane Guy]. Ce sont de petites boîtes créatives, fonceuses, qui vont faire de grandes choses et qui sont très inspirantes pour la relève.

Quel est le livre qu’il faut lire en ce moment?

Pour moi, la lecture est devenue une activité de divertissement: je lis des romans! Quand je cherche de l’inspiration pour le travail, je regarde surtout des vidéos: des clips de TED ou ceux de Future of StoryTelling, une organisation qui capte des conférences dans le monde du design et des médias digitaux. Il y a également le Louisiana Channel, basé au Louisiana Museum of Modern Arts, au Danemark, qui produit de super belles capsules sur des artistes et des designers.

Les deux principaux conseils que vous donneriez à un jeune qui commence sa carrière?

Voyager. Quand j’embauche quelqu’un, la première chose que je regarde, en même temps que son porte-folio, ce sont les lieux où la personne est allée. Je trouve que cela en dit long sur elle, sur son désir d’apprendre, sur sa curiosité. Avant de commencer à travailler et d’entrer dans la roue des contrats, il faut sauter sur les occasions de participer à des échanges, de faire des stages, d’apprendre des langues.

Second conseil: ne pas attendre d’avoir maîtrisé une expertise avant de plonger dans un projet. On apprend énormément en «faisant». L’idéal, c’est de mettre la main à la pâte le plus tôt possible en participant à des projets étudiants, à des charrettes, à des concours, en faisant des stages en entreprise – c’est là qu’on apprend en se confrontant à des contraintes réelles.