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Contrer la transphobie

Deux projets de loi favorisent une meilleure protection de la communauté transgenre.

Par Valérie Martin

20 juin 2016 à 14 h 06

Mis à jour le 20 juin 2016 à 14 h 06

Série L’actualité vue par nos experts
Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.

Défilé de la fierté LGBTQ en mai dernier dans les rues de Sao Paulo, au Brésil.Photo: istockphoto.com

Au mois de mai dernier, bien avant les attaques meurtrières d’Orlando visant la communauté gaie, lesbienne, bisexuelle, transgenre et queer (LGBTQ*), deux projets de loi, l’un au niveau fédéral et l’autre au provincial, ont été proposés presque simultanément afin de renforcer les droits de la communauté transgenre tout en luttant contre la transphobie.

Le projet de loi C-16 propose d’amender la Loi canadienne sur les droits de la personne afin d’interdire la discrimination envers les personnes transgenres au pays. Une modification au Code criminel serait aussi apportée afin que les éléments de preuve établissant qu’un crime est motivé par des préjugés ou de la haine fondés sur l’identité ou l’expression de genre (voir encadré pour comprendre la distinction entre les deux termes) soient désormais considérés comme des circonstances aggravantes.

Au provincial, le projet de loi 103, adopté à l’unanimité le 10 juin dernier, a aussi pour objectif d’offrir une protection explicite contre la discrimination fondée sur l’identité de genre en modifiant la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Le projet de loi amende le Code civil du Québec afin de permettre à un enfant mineur d’obtenir le changement de la mention du sexe figurant à son acte de naissance.

Identité du genre et expression du genre

Dans le projet de loi C-16, on parle d’identité et d’expression de genre. Que signifient ces termes?

L’identité de genre, c’est l’étiquette que l’on prend pour s’identifier: je suis une femme, un homme, une femme transgenre, etc. «Se dire transgenre est une identité, ce qui n’implique pas nécessairement qu’il faut être en phase de transition, prendre des hormones ou avoir eu recours à la chirurgie, précise Dominic Beaulieu-Prévost. C’est un peu comme l’orientation sexuelle qui est un marqueur identitaire. L’identité de genre n’entre pas nécessairement dans une des deux cases légales (homme ou femme).»

L’expression de genre recouvre nos manières de nous comporter, de nous exprimer, de nous habiller, etc. «On pourrait parler, par exemple, d’un homme ayant une expression de son genre plus féminine. Plus on s’éloigne de ce qui est typique au genre, plus on fait face à la discrimination», explique le professeur. L’expression de genre est plus subtile que l’identité parce qu’elle est moins nommée, ajoute-t-il. «C’est un terme plus englobant dans le sens où il inclut certaines catégories de personnes ne se reconnaissant ni dans le genre féminin ni dans le genre masculin, se disant gender queer, par exemple [NDLR: un terme employé pour désigner des expressions de genre non normatives et non binaires].»

«C’est un geste symbolique important pour la communauté transgenre», commente Dominic Beaulieu-Prévost, professeur au Département de sexologie. Selon le professeur, ces législations n’accordent pas plus de privilèges aux personnes transgenres, mais permettront leur reconnaissance légale. «Les personnes transgenres vivent beaucoup de discriminations. Elles ont, par exemple, plus de difficultés à trouver un emploi ou à le conserver», observe le professeur.

Le projet de loi C-16 a toutefois ses limites. «Il permettra aux personnes transgenres de ne plus être discriminées au travail, mais seulement au sein des organismes régis par le gouvernement fédéral», souligne celui qui est aussi chercheur à la Chaire de recherche sur l’homophobie. Le projet québécois ratisse beaucoup plus large et complète son pendant canadien. «La Charte s’appliquera de manière générale au Québec et protégera ainsi les personnes transgenres contre tout motif de discrimination lié à l’emploi», précise le chercheur.

Le droit au respect

Selon Dominic Beaulieu-Prévost, ces projets de lois constituent un premier pas vers la reconnaissance sociale des personnes transgenres. «La situation est similaire à ce que les femmes ont vécu après l’obtention du droit de vote, fait-il remarquer. Ce droit n’a pas apporté de changements de mœurs immédiats au sein de la société. Cela s’est fait progressivement.» Idem pour l’homosexualité. «Quand on a cessé de voir l’homosexualité comme une maladie mentale, on a pu commencer un travail sur l’acceptation sociale.»

Le passage d’une identité sexuelle à l’autre, qui implique souvent, mais pas de manière obligatoire, des changements hormonaux et chirurgicaux, est une étape difficile pour de nombreux transgenres. «La jeune transgenre n’aura plus à souffrir ou à se sentir humiliée chaque fois que l’on utilise son nom légal masculin à l’école ou à l’hôpital, illustre le professeur. Elle n’aura plus à supporter le regard des gens qui constatent un décalage entre son nom légal et la personne qu’elle est devenue.» Le processus de transition sera du coup probablement plus facile pour les enfants et adolescents transgenres. Dominic Beaulieu-Prévost s’interroge par ailleurs sur la pertinence légale du genre. «Sur le plan médical, le genre est important puisqu’il y a des implications différentes au fait d’être un homme ou une femme, reconnaît le professeur. Mais sur le plan légal, c’est une autre histoire: les hommes et les femmes ont désormais les mêmes droits, on a abandonné les rôles traditionnels et il n’y a plus de hiérarchie entre les sexes», rappelle Dominic Beaulieu-Prévost.

L’appartenance à un genre demeure très marquée socialement, ce qui amène une certaine intrusion dans la vie privée des personnes transgenres. «On leur pose de nombreuses questions sur leurs organes génitaux, ce que l’on ne ferait pas pour les personnes cisgenres [NDLR: personnes dont le genre correspond au sexe qui leur a été attribué à la naissance], remarque le chercheur. Même les enfants transgenres ont droit à cet interrogatoire! Ce n’est pas par méchanceté, bien sûr, mais on fait comme si c’était permis.»

On avance qu’environ 0,5 pour cent de la population serait transgenre. «Il est difficile d’estimer le nombre exact puisque les formulaires de Statistique Canada n’ont pas prévu d’inclure une telle catégorie!», regrette Dominic Beaulieu-Prévost.