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Changement de paradigme

Le Groupe de travail sur l’éducation inclusive dépose son rapport intérimaire.

Par Claude Gauvreau

30 mai 2016 à 15 h 05

Mis à jour le 30 mai 2016 à 15 h 05

Le pourcentage d’étudiants à l’UQAM qui présentent un handicap dit invisible – trouble d’apprentissage, d’attention ou de santé mentale – a connu une hausse significative ces cinq dernières années. Photo: Istock

Au cours de cinq dernières années, le nombre d’étudiants en situation de handicap (ESH) à l’UQAM a presque triplé, passant de 520 à 1 514. Ils représentent aujourd’hui 3,6 % de la population étudiante. Parmi ces étudiants, le pourcentage de ceux qui présentent un handicap dit invisible – trouble d’apprentissage, d’attention ou de santé mentale – a augmenté de 38 à 78 %. À ce groupe s’ajoutent d’autres étudiants ayant, eux aussi, des besoins particuliers: des personnes venues de l’étranger, d’autres vivant une situation économique précaire ou présentant un parcours atypique, d’autres encore qui sont en charge d’une famille.

«On observe une augmentation du nombre d’ESH non seulement à l’UQAM, mais aussi dans l’ensemble du milieu universitaire québécois, souligne Monique Brodeur, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation. Ce phénomène est attribuable à deux facteurs: une meilleure identification par les spécialistes des besoins particuliers de cette population étudiante et la mise en place, tout au long du parcours scolaire, de mesures de prévention et de soutien ayant permis à plusieurs étudiants d’accéder aux études postsecondaires.»

«Une présence plus forte des étudiants en situation de handicap à l’université est une bonne nouvelle. Il n’y a pas si longtemps, plusieurs de ces jeunes parvenaient difficilement à terminer leurs études secondaires.»

Monique Brodeur,

Doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation

Monique Brodeur préside le Groupe de travail sur l’éducation inclusive, mis sur pied en janvier dernier par la Commission des études, qui s’est penché sur les défis posés par la    diversification croissante des profils au sein de la population étudiante uqamienne. Le 10 mai dernier, le groupe a déposé à la Commission un rapport intérimaire intitulé «Éducation inclusive et accessibilité: une responsabilité légale collective, une occasion socioéducative pour l’UQAM», qui fera l’objet d’une consultation au cours des prochains mois.

«Une présence plus forte des ESH à l’université est une bonne nouvelle, dit la doyenne. Il n’y a pas si longtemps, plusieurs de ces jeunes parvenaient difficilement à terminer leurs études secondaires.» Il existe une parenté entre les valeurs propres à l’éducation inclusive et celles de l’UQAM. «Notre mission repose justement sur l’accessibilité aux études universitaires, souligne Monique Brodeur. Il n’est pas étonnant que le premier service québécois d’accueil et de soutien aux étudiants en situation de handicap, le SASESH, ait été mis en place à l’UQAM, en 1985. Deux ans plus tard, l’Université a adopté la Politique 44 d’accueil et de soutien à cette population étudiante. C’est cette valeur d’accessibilité qui doit nous guider dans la mise en œuvre de l’éducation inclusive.»

Une obligation légale

Créer un cadre d’enseignement équitable en éliminant les obstacles qui nuisent à la réussite de groupes d’étudiants ayant des besoins particuliers est devenue une obligation légale pour toutes les universités, l’UQAM y compris, tient à rappeler la doyenne.  

Fondé sur la Charte québécoise des droits et des libertés de la personne, le cadre normatif québécois en matière d’inclusion s’est incarné dans des lois et des politiques qui touchent directement le droit à l’éducation postsecondaire. Adoptée en 2004, la Loi 56 assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale réaffirme l’obligation des institutions publiques et parapubliques de favoriser l’inclusion des personnes en situation de handicap. En 2011, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a déposé un avis juridique sur l’obligation d’accommodement pour les personnes en situation de handicap.

Comme le souligne le rapport du Groupe de travail, ces changements apportés au cadre légal convergent avec l’évolution des cadres conceptuels guidant l’inclusion des personnes en situation de handicap. Une évolution marquée par le passage d’un modèle médical à un modèle social de compréhension du handicap.

«L’approche de l’éducation inclusive appelle des changements dans la façon d’accompagner les étudiants dans leur cheminement d’études ainsi que dans les pratiques pédagogiques des professeurs et des chargés de cours.»

Un autre paradigme

Un nombre croissant d’universités dans le monde, notamment en Europe et aux États-Unis, s’est engagé dans la voie de l’éducation inclusive, note le rapport. «Pour que l’UQAM assume sa responsabilité légale et réponde adéquatement aux besoins des étudiants en situation de handicap, l’éducation inclusive constitue, selon la littérature scientifique, l’avenue la plus prometteuse», observe Monique Brodeur.

Cette approche, qui représente un changement de paradigme, a un caractère systémique parce qu’elle consiste à créer des environnements d’apprentissage pouvant répondre aux différents besoins des étudiants. «Elle appelle des changements dans la façon d’accompagner les étudiants dans leur cheminement d’études ainsi que dans les pratiques pédagogiques des professeurs et des chargés de cours», souligne la doyenne.

Le concept d’éducation inclusive milite en faveur d’une approche mixte combinant deux voies complémentaires: des accommodements individuels pour aider des personnes à surmonter un obstacle particulier à un moment précis et des accommodements préventifs permettant d’aménager de manière durable un environnement éducatif accessible à l’ensemble des étudiants. «Une telle approche n’implique pas d’abaisser les exigences académiques associées à la recherche de la rigueur et de l’excellence», soutient Monique Brodeur.

Au-delà des accommodements individuels

Actuellement, afin de pouvoir bénéficier d’accommodements individuels, les étudiants ayant besoin d’une aide pédagogique particulière ou d’un soutien académique doivent être inscrits au Service d’accueil et de soutien aux étudiants en situation de handicap (SASESH). Celui-ci évalue, valide et précise les besoins de chacun.

Le SASESH propose une myriade d’accommodements individuels: adaptation des horaires, aide à la prise de notes, octroi de temps additionnel lors des examens, conversion de documents en format accessible, prêt d’équipement, services de counseling et de tutorat.  «Le recours exclusif ou privilégié à ce type d’accommodements ne permet pas de répondre à l’inflation récente des besoins et des demandes», observe la doyenne. Ces accommodements reposent sur un modèle centré exclusivement sur l’évaluation individuelle, accaparent beaucoup de ressources et compartimentent le droit aux accommodements en les réservant aux seuls étudiants en situation de handicap.

L’autre voie, celle des accommodements préventifs, fait appel à des stratégies pédagogiques et à des modes d’évaluation variés, à l’emploi d’outils technologiques (matériel didactique en ligne) pour compléter les prestations en classe ainsi qu’à un environnement de travail collaboratif. Elle facilite la réussite des étudiants en situation de handicap, mais aussi celle des autres étudiants ayant des besoins particuliers, met à contribution l’ensemble de la communauté universitaire et pas seulement un service en particulier. Elle favorise enfin la réduction du nombre de demandes individuelles d’accommodements.

«La mise en place d’accommodements préventifs à l’UQAM est un objectif à long terme, lequel doit être poursuivi de manière progressive, dit Monique Brodeur. Cela suppose une offre adéquate de soutien et de formation au personnel enseignant, condition première de son succès.»

Recommandations

Dans son rapport intérimaire, le Groupe de travail formule 24 recommandations. Il propose, notamment, d’approfondir la réflexion sur une stratégie d’éducation inclusive, de formuler une politique institutionnelle en la matière, d’informer et de sensibiliser les responsables de départements, de programmes et de facultés, puis d’évaluer les dimensions juridiques, organisationnelles et financières d’un redéploiement des ressources. Le groupe recommande aussi que l’UQAM nomme une personne responsable, relevant du vice-recteur à la Vie académique, pour assurer le développement d’une stratégie d’ensemble et d’un plan d’action.

«Le rapport sera soumis à une consultation la plus large possible», note la doyenne. Au cours des prochains mois, les membres du Groupe de travail rencontreront des experts dans le domaine de l’éducation inclusive ainsi que des représentants des syndicats et des associations étudiantes. Puis, la consultation se poursuivra auprès des assemblées départementales et des services concernés.

«Information, sensibilisation et appropriation sont les maîtres-mots du processus, souligne Monique Brodeur. Une fois la consultation complétée, nous reviendrons devant la Commission des études avec un rapport validé et bonifié. L’objectif ultime est de se donner un projet porté par l’ensemble de la communauté universitaire.»