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Un mal nécessaire?

À défaut de soulever les passions, une réforme du mode de scrutin est nécessaire, soutient Hugo Cyr.

Par Valérie Martin

11 octobre 2016 à 12 h 10

Mis à jour le 12 octobre 2016 à 10 h 10

Série L’actualité vue par nos experts
Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.

Le premier ministre Justin Trudeau répond à une période de questions.Photo: Cabinet du Premier ministre/ Adam Scotti

Verra-t-on la fin du système uninominal majoritaire à un tour? C’est, du moins, la promesse faite par le premier ministre Justin Trudeau aux dernières élections. «L’idée d’une réforme sur le mode de scrutin circule depuis très longtemps, rappelle le doyen Hugo Cyr, professeur au Département de sciences juridiques et spécialiste du droit constitutionnel. C’est la première fois, cependant, que le gouvernement fédéral crée un comité spécial sur la question.». En juillet dernier, le doyen a présenté un mémoire, en tant qu’expert, devant le Comité spécial sur la réforme électorale de la chambre des communes.

Le mandat du Comité est d’étudier divers  modes de scrutin afin de remplacer le système actuel, ─ qui n’a été revu depuis 150 ans ─, par un système qui augmenterait la confiance des Canadiens en la démocratie, serait plus juste tout en reflétant davantage les choix réels des électeurs.

Le mémoire (document pdf) d’Hugo Cyr présente différentes solutions juridiques simples et reconnues pour éviter qu’un nouveau système électoral ait pour conséquence une plus grande instabilité politique. «Les détracteurs de la proportionnelle croient que ce système favorise la tenue plus fréquente d’élections générales. Or, rien n’est plus faux», affirme Hugo Cyr. Le professeur donne en exemple le cas des parlements d’Écosse et du Pays de Galle, de tradition britannique comme le nôtre, «deux législatures qui emploient une forme de représentation proportionnelle mixte tout en réussissant à tenir des élections aux quatre à cinq ans». Ces cas démontrent qu’il est possible de moderniser notre mode de scrutin tout en conservant nos traditions et une stabilité politique, ajoute le professeur. «Si on change le système électoral canadien de manière simple, on peut même stabiliser le système en incluant une dimension proportionnelle.»

Hugo Cyr ne prend pas position pour un modèle spécifique, bien qu’il soit plutôt favorable à l’insertion de certains éléments de proportionnalité dans le système actuel. Il croit néanmoins que «cette réforme est une occasion importante de renforcer le poids démocratique des élus dans le fonctionnement du Parlement et celui du gouvernement».

Proportionnelle mixte

Au Canada, un système de représentation proportionnelle mixte pourrait prendre différentes formes. «La moitié des sièges pourrait être réservée aux députés élus localement, comme dans le modèle actuel, et l’autre répartie selon la proportion des votes exprimés par province ou par région. Ce système permettrait deux choses: d’une part, les citoyens garderaient des liens avec leur député local, plus à même de comprendre les enjeux du comté, et, d’autre part, des représentants seraient élus à la proportionnelle en fonction de leurs idées et de leurs projets politiques.» Aux urnes, les électeurs apposeraient leur «X» sur deux bulletins de vote: un premier pour élire le député local et un deuxième pour le parti de leur choix.

Un nouveau système électoral transformerait la culture politique. «La réforme devrait encourager la coopération et la formation de coalitions, estime Hugo Cyr. En chambre, cela pourrait se traduire par une plus grande diversité en terme de points de vue, qui seraient présentés et débattus de manière plus ouverte. Dans le système bipartite actuel, les idées circulent, certes, mais les discussions ne sont pas réellement publiques. On a peu accès à ce qui se dit en petits comités et les débats se règlent souvent à l’interne.» Le vote stratégique ─ qui consiste bien souvent à voter pour le candidat «le moins pire» ─, serait moins nécessaire. «Les électeurs auraient plus de choix et une plus grande chance de voir leurs candidats élus.»

Favoriser la participation

La réforme à venir pourrait également encourager la participation des femmes et des divers groupes ethniques et sociaux. «On pourrait choisir un système favorisant l’alternance homme-femme ou récompensant l’élection des femmes sous forme de financement», illustre Hugo Cyr. Dans un contexte de gouvernement de coalition, «des partis pourraient être formés non plus dans l’optique de former une majorité, mais pour s’assurer que leurs intérêts particuliers soient entendus en chambre.»

Les conservateurs ─ qui ne voient pas la réforme d’un bon œil, puisqu’ils ne trouveraient aucun allié naturel dans un système de coalition ─ exigent un référendum avant de procéder à toute modification du mode de scrutin. «Un référendum n’est pas nécessaire sur le plan constitutionnel, assure Hugo Cyr. Sur le plan politique, c’est aux libéraux de décider. Ma seule mise en garde: ne pas faire du référendum un enjeu partisan!»

Un manuel du cabinet

La révision du système électoral est, selon le professeur, une occasion unique de pédagogie politique. «Les Canadiens doivent être capables de comprendre le système. Il faut clarifier le rôle des élus dans la formation et le maintien du gouvernement. La formation d’un gouvernement ne se fait pas de manière automatique.

«Pour gouverner, il faut d’abord obtenir la confiance des députés (élus), faire des concessions, des ententes ou des coalitions. La population élit des députés et non un gouvernement. Pourtant, plus de la moitié des Canadiens croient encore à tort qu’ils votent directement pour le gouvernement!»»

Hugo Cyr

Dans le même esprit, Hugo Cyr propose l’instauration d’un manuel du cabinet neutre et impartial, destiné autant aux médias qu’aux écoles et à l’ensemble des citoyens, pour mieux faire comprendre les règles, les conventions et les pratiques constitutionnelles encadrant la formation du gouvernement ainsi que sa dissolution. «Cela se fait déjà en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni, précise le professeur. L’expérience britannique a démontré qu’un tel outil pédagogique et les activités de sensibilisation entourant sa mise en place ont permis à la population de mieux comprendre le système parlementaire.»

Après la tenue des consultations publiques dans leurs circonscriptions respectives, les députés déposeront en octobre leurs rapports au Comité spécial sur la réforme électorale de la chambre des communes. Le gouvernement Trudeau devrait présenter un projet de loi sur la réforme au printemps prochain, en prévision des prochaines élections qui auront lieu en octobre 2019. Pour plus d’information: http://www.parl.gc.ca/Committees/fr/ERRE