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Contrer la violence sexuelle

Québec présente sa Stratégie d’intervention pour prévenir et contrer les violences sexuelles en enseignement supérieur.

Par Claude Gauvreau

22 août 2017 à 11 h 08

Mis à jour le 23 août 2017 à 9 h 08

La stratégie ministérielle propose de créer un guichet unique pour accueillir et accompagner les victimes de violences sexuelles sur les campus. Photo: Istock

Les établissements postsecondaires (cégeps et universités) du Québec devront créer un «guichet unique» pour accueillir et accompagner les victimes de violences sexuelles sur les campus. Cette mesure s’inscrit dans le cadre de la nouvelle Stratégie d’intervention pour prévenir et contrer les violences sexuelles en enseignement supérieur, rendue publique par la ministre de l’enseignement supérieur Hélène David, le 21 août. Pour aider les établissements à mettre en œuvre la stratégie, Québec injectera 23 millions de dollars sur 5 ans.

La ministre «invite fortement» les cégeps et les universités à adopter une politique spécifique relative aux violences à caractère sexuel, s’adressant à l’ensemble du personnel et des étudiants. Elle souhaite également que soient balisées les relations entre professeurs et étudiants. «Les établissements d’enseignement devraient se doter d’un code de conduite prévoyant les principes et balises devant guider, notamment, les relations intimes entre un membre du personnel qui se trouve en situation d’autorité et une étudiante ou un étudiant», lit-on dans le document ministériel.

Les cégeps et les universités devront, par ailleurs, prévoir des mesures d’accompagnement académique (accommodements scolaires) pour les victimes, afin que celles-ci soient le moins possible en contact avec leur agresseur à la suite du dévoilement de violences à caractère sexuel.

La stratégie d’intervention permettra aux établissements de poursuivre le travail d’encadrement des activités d’intégration (initiations) à l’occasion de la rentrée, dans le but d’éviter les dérapages, grâce, entre autres, au rapport sur les activités d’accueil en milieu universitaire présenté par l’organisme Sans oui, c’est non!

Élaborée à la suite de consultations menées auprès de l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur, la stratégie constitue une étape en vue du dépôt d’un projet de loi au cours de l’automne.

Axes d’intervention

Les mesures de la Stratégie d’intervention s’articulent autour de six axes d’intervention:

– la sensibilisation, la prévention et le développement des connaissances;

– le traitement des dévoilements et des plaintes;

– l’accompagnement des personnes et l’obligation d’agir;

– la sécurité des personnes;

– la concertation;

– l’encadrement.

Volonté partagée

«La stratégie d’intervention de la ministre montre bien qu’elle partage la volonté des établissements d’enseignement supérieur et de la communauté universitaire d’assurer un milieu d’études exempt de violences sexuelles, souligne Maude Rousseau, directrice du Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement (BIPH). Elle s’inspire notamment des recommandations du rapport ESSIMU, qui ne nous sont pas étrangères et qui orientent déjà notre réflexion et nos actions depuis plusieurs mois à l’UQAM.»

Lancée en janvier 2016, l’étude «Enquête sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire (ESSIMU): ce qu’en disent étudiant.es, enseignant.es et employé.es», la première du genre au Québec, a documenté les manifestations de violences sexuelles dans six universités québécoises francophones, dont l’UQAM. Plus du tiers des répondants – plus de 9 200 personnes, dont 70 % d’étudiants – disaient avoir vécu une forme ou une autre de violence sexuelle depuis leur arrivée à l’université et près de 42 % d’entre eux déclaraient avoir été victimes de deux ou même de trois formes de violence. Cette enquête a été dirigée par la professeure du Département de sexologie Manon Bergeron et soutenue par le Réseau québécois en études féministes (RéQEF), le Service aux collectivités de l’UQAM et le Regroupement québécois des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS).

Politique 16

L’UQAM s’est déjà dotée d’une politique contre le harcèlement sexuel (Politique no 16), qui fait l’objet d’une révision par un comité institutionnel composé d’une dizaine de personnes et présidé par Maude Rousseau. «Le comité achève ses travaux de révision afin que la  Politique 16 prenne en compte non seulement le harcèlement sexuel, mais aussi toutes les formes de violence sexuelle et leurs spécificités, observe le directrice du BIPH. Il travaille aussi à l’élaboration d’un code de conduite.»

Dans l’achèvement de ses travaux, le comité s’assurera de tenir compte de l’ensemble des mesures proposées par la ministre, poursuit Maude Rousseau. «Les associations étudiantes et les différents services de l’Université, dont les Services à la vie étudiante et le BIPH, sont mobilisés pour mettre de l’avant des activités de sensibilisation et de prévention, notamment dans le cadre de la rentrée. Ainsi, dès la semaine prochaine, les Services à la vie étudiante et le BIPH organiseront des ateliers sur la notion de consentement et de témoin actifs, offerts aux étudiants par le CALACS Trêve pour Elles (NDLR: voir Prêts pour la rentrée 2017!).»

La directrice du BIPH croit que l’axe de concertation prévu dans la stratégie de la ministre assurera la cohérence des actions menées par les différents établissements d’enseignement supérieur. «Il reste encore beaucoup à faire afin d’être exemplaire en matière de lutte pour contrer les violences sexuelles, dit Maude Rousseau, mais la volonté et l’énergie déployées par notre communauté me permettent de croire que nous y arriverons.»

De la parole aux actes

La chargée de cours et doctorante en sociologie Sandrine Ricci, qui faisait partie de l’équipe de recherche ESSIMU, accueille également avec satisfaction la nouvelle stratégie gouvernementale. «On sent de la part de la ministre David une volonté d’agir, et d’agir rapidement, dit-elle. Cette stratégie tient compte, dans l’ensemble, des propositions émises lors des journées de réflexion organisées par la ministre à l’hiver 2017. Je me réjouis aussi d’y retrouver plusieurs éléments qui étaient contenus dans le rapport d’enquête ESSIMU.»

Sandrine Ricci salue l’annonce par la ministre d’une enquête dans les établissements collégiaux publics et privés, semblable à celle qui a été menée dans les universités. Elle note, par ailleurs, que la plupart des mesures contenues dans la stratégie concernent les étudiants. «C’est très bien, mais il faut aussi se préoccuper des violences subies par l’ensemble des membres de la communauté universitaire, ce qui inclut le personnel», dit-elle.

La chargée de cours considère que la ministre a été plutôt floue sur le code de conduite dont devraient se doter les établissements. «On doit s’intéresser aux sanctions pour les agresseurs. Si on veut envoyer un message clair et encourager les victimes à faire des dévoilements et à porter plainte, on doit en finir avec la culture de l’impunité.»

Pour l’instant, rien n’oblige les établissements d’enseignement à mettre en place les mesures proposées par la Stratégie, souligne Sandrine Ricci. «Il faudra attendre le projet de loi-cadre auquel les établissements seront assujettis, projet qui doit être présenté dans quelques semaines, selon la ministre.»