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La démocratie hasardeuse

Le doctorant Hugo Bonin signe un essai sur le tirage au sort en politique.

Par Pierre-Etienne Caza

15 janvier 2018 à 11 h 01

Mis à jour le 16 janvier 2018 à 10 h 01

Photo: iStock

En cette année électorale, l’abstentionnisme croissant des citoyens et leur perte de confiance envers la classe politique redeviendront des sujets d’actualité. Commentateurs et chroniqueurs analyseront la «crise» de la démocratie et évalueront les mérites et les faiblesses de propositions visant à raviver l’intérêt des citoyens, comme le mode de scrutin proportionnel, les référendums d’initiative populaire et les budgets participatifs. Mais, selon le doctorant en science politique Hugo Bonin, qui vient de faire paraître La démocratie hasardeuse: essai sur le tirage au sort en politique (XYZ), le débat risque, une fois de plus, de tourner en rond.

«Le problème de notre système politique n’est pas celui que l’on pense, affirme l’auteur. Il ne sert à rien de chercher des boucs-émissaires – les médias, les jeunes, les politiciens – ou de proposer des réformes de nos institutions si on ne remet pas en cause la place centrale occupée par les élections.»

«À travers le débat et la délibération, un groupe hétéroclite d’individus tirés au sort parvient souvent à des solutions novatrices auxquelles un groupe homogène n’aurait pas pensé.»

Hugo Bonin

Doctorant en science politique

Les élections sont considérées comme la caractéristique fondamentale de nos démocraties occidentales (même si peu de gens savent que les élections telles que nous les connaissons se sont imposées au début du XXe siècle et non dans l’Athènes antique, «berceau de la démocratie»). Lors d’une élection, tous les citoyens peuvent s’exprimer et chaque voix est réputée égale à une autre. En revanche, voter c’est aussi choisir une personne considérée plus apte, plus compétente qu’une autre à s’occuper des affaires publiques. Le processus électoral revêt donc un caractère élitiste. «Les membres des assemblées législatives sont généralement plus vieux, plus riches et plus éduqués que la population qu’ils représentent», remarque Hugo Bonin, joint à Paris où il poursuit ses études doctorales sous la direction des professeurs Francis Dupuis-Déri, du Département de science politique, et Yves Sintomer, de l’Université Paris VIII. «Le pouvoir politique est concentré dans les mains d’une classe politique professionnelle et l’élection sert à reconduire cette classe au pouvoir, poursuit-il. Notre système est donc une forme d’aristocratie élective favorisant les oligarchies libérales.»

Tous des citoyens compétents

Selon le jeune auteur, le tirage au sort constituerait une avenue intéressante à explorer afin de secouer le climat de morosité entourant la vie politique. «Il s’agit d’un mode de sélection plus égalitaire, plus représentatif et plus impartial que l’élection qui permettrait de réintroduire le citoyen au cœur de la vie politique», soutient-il.

Hugo Bonin

L’idée n’est pas nouvelle. «Pendant longtemps, d’Aristote à Montesquieu et à Rousseau, l’élection a été jugée trop aristocratique et trop élitiste. Pour attribuer des responsabilités politiques, les démocrates avaient recours au tirage au sort, raconte le doctorant. Dans l’Athènes antique, par exemple, il suffisait d’être un homme, libre et athénien afin de pouvoir être choisi pour exercer le pouvoir.»

De nos jours, il serait facile d’utiliser la liste électorale afin de tirer nos dirigeants au hasard. Chacun aurait, bien sûr, la possibilité d’accepter ou de refuser. Que tous les citoyens soient jugés compétents sur le plan politique en fera sans doute sourciller plus d’un… à tort! Plusieurs études ont démontré que les groupes de personnes choisies au hasard peuvent générer d’aussi bonnes – voire meilleures – solutions qu’un groupe de spécialistes, note Hugo Bonin. «En fait, le niveau d’éducation importe peu. Ce qui compte, c’est la diversité cognitive – le rassemblement de gens aux parcours de vie variés et aux perspectives différentes. À travers le débat et la délibération, un groupe hétéroclite d’individus tirés au sort parvient souvent à des solutions novatrices auxquelles un groupe homogène n’aurait pas pensé.»

Procrastination productive!

Dans le cadre de sa thèse, Hugo Bonin s’intéresse au concept de démocratie et au mot «démocratie» en Grande-Bretagne au XIXe siècle. «Je suis tombé, par hasard, au fil de mes recherches sur des écrits concernant le tirage au sort, mais ce n’est pas le sujet de ma thèse. C’est un à-côté, ma procrastination productive en quelque sorte!», souligne le doctorant.

L’exemple irlandais

Le tirage au sort suscite un regain d’intérêt depuis une vingtaine d’années en Europe et aux États-Unis. Quelques expériences ont été réalisées en Islande, en Belgique et même chez nous au Canada, notamment en Ontario et en Colombie-Britannique, où des assemblées citoyennes d’une centaine de personnes ont été tirées au sort afin de discuter de la réforme du mode de scrutin.

En Irlande, le tirage au sort a été utilisé en 2012 afin de désigner une soixantaine de personnes pour participer à la Convention constitutionnelle, un organe consultatif composé d’élus et de citoyens appelés à discuter de sujets tels que le mariage entre personnes du même sexe, l’âge minimum pour voter ou la parité en politique. «Le gouvernement irlandais avait promis de prendre acte des propositions qui allaient émaner de cette consultation et il a tenu parole, raconte Hugo Bonin. C’est dans la foulée de cette convention qu’un référendum sur le mariage gai a été organisé en 2015 et l’Irlande, pourtant très catholique, est devenue le premier pays au monde à autoriser le mariage gai par voie référendaire.»

L’expérience a été un tel succès qu’une deuxième mouture est en cours depuis 2016. Cette fois, une centaine de personnes ont été choisies au hasard et elles ne sont pas jumelées avec des élus. Elles ont comme mandat de discuter d’avortement, de changements climatiques et des régimes de retraite.

Du côté étudiant

La moitié des membres de l’Assemblée des délégués de l’Université de Lausanne – qui représentent les facultés et les étudiants – est désignée par tirage au sort. Au premier tour, 23 étudiants sont tirés au sort parmi les 14 000 inscrits que compte l’institution. Les personnes sélectionnées acceptent ou non le mandat. Les sièges restants sont remis en jeu lors d’un deuxième tour où les étudiants intéressés s’inscrivent sur une liste et sont également sélectionnés par tirage au sort.

Les limites de la méthode

Même s’il est enthousiaste envers le procédé, Hugo Bonin reconnaît que le tirage au sort n’est pas une méthode parfaite. La gestion du processus de tirage au sort et l’inévitable sélection pour assurer une bonne représentativité pourraient prêter flanc à la corruption.

La légitimité du processus pourrait aussi poser problème. «Si l’on décidait de tirer au sort les membres de l’Assemblée nationale du Québec, celle-ci serait probablement plus représentative, plus neutre et plus égalitaire, mais la population n’aurait peut-être pas l’impression d’avoir consenti à ces choix aléatoires et la légitimité du gouvernement pourrait être fragilisée», note le doctorant.

«Comme en Irlande, on pourrait penser à un regroupement parallèle, une espèce de sénat comptant sur des personnes choisies au hasard qui pourraient orienter ou avoir un droit de regard sur les politiques des élus.»

Les partis traditionnels peuvent dormir tranquille: nous sommes encore loin de remplacer les élections par un tirage au sort au Québec. «L’idée qui gagne en popularité en Occident, c’est plutôt d’inscrire le tirage au sort dans un ensemble de réformes mettant de l’avant la participation citoyenne, souligne le chercheur. Comme en Irlande, on pourrait penser à un regroupement parallèle, une espèce de sénat comptant sur des personnes choisies au hasard qui pourraient orienter ou avoir un droit de regard sur les politiques des élus.»

La plupart des partis ont des réticences à modifier les mécanismes qui les ont portés au pouvoir, mais si le tirage au sort était utilisé pour constituer des assemblées ayant pour mandat de se pencher sur différents débats de société, cela pourrait sans doute intéresser certains politiciens. «Surtout ceux qui ne veulent pas se mêler de sujets controversés et qui préféreraient laisser les citoyens trancher!», conclut en riant Hugo Bonin.