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L’Asie, centre du monde?

Éric Mottet a présenté une conférence devant la haute fonction publique à Québec.

Par Claude Gauvreau

24 janvier 2018 à 10 h 01

Mis à jour le 25 janvier 2018 à 9 h 01

Défilé militaire en Chine
Photo: Gouvernement fédéral américain

Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, dirige actuellement une importante mission économique en Chine, marquée jusqu’à présent par des annonces de partenariats et de contrats évalués à près de 240 millions de dollars. Il y a quelques jours, le Canada et les autres membres du défunt Partenariat transpacifique (PTP) se sont entendus à Tokyo sur une version amendée de l’accord commercial, un an après le retrait des États-Unis. Sur le grand échiquier de la géopolitique mondiale, les puissances asiatiques sont désormais un joueur majeur.  

«L’Asie peut-elle devenir le nouveau centre du monde?» C’était le titre de la conférence donnée par Éric Mottet, professeur au Département de géographie et codirecteur de l’Observatoire de l’Asie de l’Est, devant le Cercle de la haute fonction publique, à Québec, le 18 janvier dernier. Une centaine de personnes – sous-ministres, sous-ministres adjoints, dirigeants d’organismes gouvernementaux et autres invités spéciaux – y ont assisté.

«J’ai été approché par le ministère du Conseil exécutif, qui relève directement du premier ministre, explique Éric Mottet. Des gens de tous les ministères étaient présents. Leurs questions ont porté sur le positionnement du Canada à l’égard de la Corée du Nord, sur les “nouvelles routes de la soie” – un projet de corridors ferroviaires et maritimes visant à relier la Chine à l’Europe – et sur la meilleure façon de faire des affaires en Chine.» Le Québec renforce sa présence dans l’ensemble de l’Asie, souligne le professeur. «Il développe aussi des liens avec le Japon, la Corée du Sud, le Vietnam et l’Inde.»

Un moteur économique

La Chine et l’Asie dans son ensemble représentent aujourd’hui le moteur économique du monde, affirme Éric Mottet. «Tout le monde regarde la Chine, avec raison, mais on ne doit pas oublier que le Japon constitue l’une des cinq plus importantes puissances économiques à l’échelle mondiale et que l’Inde est appelée à devenir un acteur économique majeur d’ici 2040.»

Les pays asiatiques interviennent dans la plupart des grands dossiers contemporains, alors que les États-Unis sont davantage en retrait, poursuit le chercheur. «Dans les dossiers des changements climatiques et du développement durable, par exemple, les leaders sont la Chine et le Japon. Sur le plan militaire, les États-Unis demeurent incontestablement la première puissance mondiale, mais la Chine, petit à petit, est en voie de combler son retard sur le géant américain. On estime que la Chine pourrait devenir une puissance dite globale d’ici 20 ou 30 ans, c’est-à-dire une puissance à la fois économique, politique et militaire.»

Espace multipolaire

Les dynamiques internes au sein de l’Asie montrent qu’elle ne forme pas un bloc monolithique. «L’espace asiatique est multipolaire et fragmenté, note Éric Mottet. Des disparités considérables subsistent entre les pays sur le plan de la richesse, de l’éducation et de la culture. Le niveau de vie au Japon ne se compare pas avec celui du Laos ou du Cambodge.»

C’est aussi un espace marqué par les séquelles de la guerre froide: rivalité entre les deux Corées, entre la Chine et le Japon, contentieux frontalier entre l’Inde et la Chine. «On n’y trouve pas un système politico-économique et militaire supranational, observe le professeur. Si l’Asie veut prétendre à l’hégémonie, il faut que la Chine, l’Inde et le Japon deviennent des puissances globales. Mais cela suppose que les tensions entre ces pays s’atténuent.»

Les puissances asiatiques profitent-elles de l’affaiblissement du leadership américain dans les affaires mondiales? «L’érosion du leadership américain n’est pas un phénomène nouveau, dit Éric Mottet. La Chine n’a jamais autant progressé que sous la présidence de Barak Obama. Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence, les États-Unis se sont peu attaqués à la Chine. En revanche, les Chinois n’apprécient guère le penchant de Trump pour les mesures protectionnistes. Il ne faut pas oublier que le projet des nouvelles routes de la soie ne peut se réaliser sans une mondialisation accélérée.»

L’autre géant

L’Inde est l’autre grand géant de l’Asie. Selon certains experts, le pays pourrait devenir la future première puissance asiatique, devant la Chine. «En matière de développement économique, l’Inde est encore très loin de la Chine, souligne le professeur. Elle est marquée par de grandes inégalités sociales et ne possède pas l’aura de sa rivale sur la scène internationale. Par contre, sur le plan démographique, on prévoit que l’Inde dépassera la Chine d’ici 25 ans. La Chine est un pays vieillissant, où l’âge médian se rapproche de celui des pays occidentaux.»

Les relations entre ces deux pays sont complexes. «L’Inde voit son espace stratégique diminuer au profit de la Chine, observe Éric Mottet. Elle se sent prise en tenailles, alors que la Chine possède des intérêts au Pakistan, en Birmanie et en Asie centrale.»  

L’Asie a toujours constitué une région géostratégique de première importance et c’est encore le cas aujourd’hui, conclut le chercheur. «Reste à savoir si on se dirige vers une confrontation hégémonique, non seulement entre la Chine et les États-Unis, mais au sein même de l’Asie, entre la Chine, le Japon et l’Inde.»