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L’éducation inclusive

Les pratiques d’enseignement sont appelées à se renouveler afin de s’adapter à la diversité des profils étudiants.

Par Pierre-Etienne Caza

18 mars 2019 à 13 h 03

Mis à jour le 19 mars 2019 à 15 h 03

Photo: Nathalie St-Pierre

Organisée à l’UQAM le 7 mai prochain, la Journée de la pédagogie universitaire aura pour thème la diversité des profils étudiants et s’articulera autour de trois pôles: innovation, inclusion et inspiration. «Les pratiques d’enseignement inclusives, qui ont pour but de permettre à chaque étudiant d’avoir les mêmes chances de réussite, y seront à l’honneur», précise Céline Pechard, conseillère pédagogique au Centre de formation en soutien à l’académique (CFSA).

Développées depuis les années 1990, les pratiques d’enseignement inclusives visaient initialement les étudiants en situation de handicap. Au cours des dernières années, elles se sont élargies pour embrasser toute la diversité des profils étudiants. On considère aujourd’hui qu’aucun profil étudiant ne doit constituer un obstacle à la réussite, qu’il s’agisse d’étudiants autochtones, de première génération, ayant un parcours non traditionnel, d’étudiants-parents, d’étudiants étrangers ou issus de l’immigration récente, ou encore d’étudiants faisant partie de la diversité sexuelle et d’identité de genre.

«Selon la perspective d’inclusion, on ne tente plus de trouver une solution à chaque cas individuel, mais plutôt de repenser la norme par rapport à la diversité des profils, explique le professeur du Département des sciences juridiques Alejandro Lorite Escorihuela. L’idée est de modifier nos pratiques d’enseignement afin de lever les obstacles pour l’ensemble des étudiantes et étudiants.»

Le professeur donne en exemple l’idée de permettre aux étudiants de faire leur examen à la maison. «À première vue, dit-il, cela bénéficie aux étudiantes et étudiants souffrant de troubles anxieux, mais c’est aussi bénéfique au parent monoparental qui peine à concilier ses horaires ou dont l’enfant est malade. C’est comme les rampes d’accès aux bâtiments: elles sont conçues pour les personnes à mobilité réduite, mais les parents avec des poussettes en profitent aussi.»

Nouveau module d’autoformation

Un nouveau module portant sur l’éducation inclusive a été ajouté récemment à l’autoformation en ligne Enseigner à l’université, lancée en 2017 par le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP) du réseau de l’Université du Québec. On retrouve dans ce nouveau module plusieurs outils téléchargeables, parmi lesquels une liste des bonnes pratiques d’enseignement inclusives. «L’exhaustivité de cette liste peut être décourageante pour les enseignants, mais l’idée est d’y aller une étape à la fois, observe Céline Pechard. Il est inutile de tenter la mise en œuvre de toutes ces idées du jour au lendemain, d’autant plus que cela peut signifier de devoir revoir une bonne partie de son matériel pédagogique.»

Quelques exemples de pratiques modifiées

Alejandro Lorite Escorihuela a modifié certaines de ses pratiques d’enseignement à partir de la rétroaction – incontournable, précise-t-il – de ses étudiantes et étudiants. «Mon plus gros chantier a été de rendre tous les documents et références accessibles en format numérique, éliminant ainsi une barrière économique liée aux recueils de texte, en m’assurant qu’ils pouvaient être lisibles par un logiciel de lecture, raconte-t-il. J’ai aussi décidé de ne plus faire d’examens en classe. Je donne des tâches à faire et les étudiantes et étudiants sont libres de moduler leur temps pour les exécuter.»

À titre d’ancienne chargée de cours au Département d’éducation et de formation spécialisées, Céline Pechard se rappelle qu’elle donnait systématiquement trois heures à tous ses étudiants pour compléter un examen qui en prenait deux. «Je faisais également attention à la typo de mes PowerPoint et au contraste des couleurs. Une typo verte sur fond rouge est illisible pour un daltonien…» Alejandro Lorite Escorihuela utilise aussi une police de caractère facilitant la lecture pour les personnes dyslexiques.

Certains trucs permettent également de bonifier les pratiques pour les trimestres subséquents. «Par exemple, pourquoi ne pas demander aux étudiants d’enregistrer leur exposé oral et de l’envoyer par fichier électronique? Avec les permissions nécessaires, on peut se constituer une banque de présentations orales que l’on pourra faire écouter à la cohorte suivante pour leur montrer ce qu’on attend d’eux», note Céline Pechard.

Dans un récent séminaire de maîtrise, Alejandro Lorite Escorihuela a expérimenté une nouvelle pratique inclusive. «Les étudiantes et étudiants devaient me remettre un commentaire de lecture, mais la forme était libre, raconte-t-il. Certaines personnes m’ont remis un commentaire traditionnel avec notes en bas de page, mais d’autres ont opté pour une pièce de théâtre, un reportage-photos et même un calligramme – un poème dont la disposition des vers forme un dessin. C’était extraordinaire. Je n’aurais pas fait ça dans une classe de 200 étudiants, mais nous étions 15 et cela s’y prêtait.»

Les travaux du comité conseil

Les deux experts reconnaissent qu’il peut être ardu de modifier des pratiques ancrées depuis plusieurs années. «Si un enseignant sait précisément les objectifs que ses étudiants doivent atteindre, il pourra plus facilement envisager de nouveaux moyens pour les y mener», souligne Céline Pechard. «Plusieurs professeures et professeurs ne résistent pas nécessairement à l’idée des pratiques inclusives, mais ils se demandent comment faire, ce qui créé une anxiété légitime, observe Alejandro Lorite Escorihuela. C’est pourquoi il faut en faire un projet institutionnel.»

Depuis mai 2018, le professeur préside le Comité conseil permanent sur l’éducation inclusive (CCPÉI), créé par la Commission des études de l’UQAM sur la base des conclusions du Rapport du Groupe de travail sur l’éducation inclusive. Ce comité est formé de 15 personnes – étudiants, professeurs, chargés de cours et employés – et son mandat est de développer un projet de politique institutionnelle en matière d’éducation inclusive et d’en assurer la mise en œuvre.

En novembre dernier, une ébauche de projet de politique, incluant un énoncé provisoire de principes et une liste d’objectifs ainsi qu’une liste de domaines d’activités et de questions spécifiques qui seront soumises à la consultation, a été présentée à la Commission des études. La consultation a débuté cet hiver auprès des professeurs, maîtres de langues et chargés de cours ainsi qu’auprès des directions académiques, du SPUQ et du SCCUQ. «Nous rencontrerons les associations étudiantes ce printemps, puis les employées et employés l’automne prochain. Les agentes de gestion aux études, notamment, doivent être parties prenantes car elles règlent actuellement beaucoup de problèmes au cas par cas, ce qui n’est pas optimal, souligne Alejandro Lorite Escorihuela. Il est de loin préférable de travailler sur une politique universelle qui saura rendre notre université réellement accessible à toutes et à tous.»