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Prix du Québec à Francine Descarries

La sociologue reçoit le prix Marie-Andrée-Bertrand pour ses recherches qui ont mené à des innovations sociales.

11 octobre 2019 à 11 h 10

Mis à jour le 7 juin 2022 à 10 h 38

La professeure Francine Descarries. Photo: Émilie Tournevache

Figure de proue du féminisme au Québec, la professeure du Département de sociologie Francine Descarries est la lauréate 2019 du prix Marie-Andrée-Bertrand. Ce Prix du Québec, décerné depuis 2012, est la plus haute distinction attribuée par le gouvernement du Québec à une personne dont l’envergure et la qualité des recherches en sciences humaines et sociales ont mené au développement et à la mise en œuvre d’innovations sociales.

Spécialiste de l’histoire du mouvement des femmes, des discours féministes contemporains et des rapports maternité-famille-travail, la sociologue s’est intéressée également aux représentations et à la construction sociale du féminin et du masculin ainsi qu’au rôle et à la place des femmes dans divers secteurs professionnels.

Francine Descarries a mis sur pied le premier cours de sociologie de la condition féminine, dispensé à l’Université de Montréal en 1978.  Elle a fait œuvre de pionnière en faisant paraître, en 1988, Le mouvement des femmes et ses courants de pensée: essai de typologie, qui a été traduit en anglais et en portugais. Cet ouvrage demeure, 30 ans plus tard, une référence incontournable pour l’enseignement et la recherche féministe universitaire.

Cheminement atypique

La professeure a connu un parcours que l’on pourrait qualifier d’atypique. À l’âge de 16 ans, elle voit son existence bouleversée par le décès de son père et doit abandonner ses études pour permettre à son frère aîné de terminer sa formation en médecine. Elle travaille alors comme secrétaire, puis comme agente de voyages pendant une dizaine d’années.

À 27 ans, peu après la naissance de sa deuxième fille, Francine Descarries effectue un retour aux études au Cégep Édouard-Montpetit. Elle choisit la sociologie afin de mieux comprendre la société. « Un conseiller pédagogique a tenté de m’en décourager, car il y avait des cours de mathématiques qui, selon lui, étaient trop difficiles pour une femme de mon âge, se rappelle-t-elle. Il n’a pas réussi à me faire changer d’idée, au contraire! J’étais plus déterminée que jamais.»

À la fin des années 60, au moment où le mouvement féministe prend son envol au Québec, la jeune femme cherche à concilier famille et études, entourée d’étudiantes et d’étudiants qui ont jusqu’à 10 ans de moins qu’elle. C’est à cette époque qu’elle commence à s’intéresser à la réalité des femmes dans la société. Le rapport de la commission Bird, publié en 1970, qui exposait la discrimination subie par les femmes ainsi que ses conséquences socioéconomiques, sera déterminant dans son cheminement.

Francine Descarries décide d’approfondir son intérêt pour les conditions de vie des femmes et le féminisme à l’Université de Montréal, où elle fait des études de baccalauréat, de maîtrise et de doctorat en sociologie. De son mémoire de maîtrise naîtra L’école rose… et les cols roses, le premier ouvrage québécois sur la reproduction sociale des sexes et les effets de la socialisation genrée.

Un événement marquant

En 1986, la sociologue obtient un poste de professeure à l’UQAM, où elle rejoint les rangs du Groupe interdisciplinaire d’enseignement et de recherche féministes (GIERF). «Ce fut l’un des événements les plus marquants et les plus heureux de ma vie professionnelle », déclare celle qui contribuera à faire de son université un chef de file en études féministes. En 1990, elle participe à la fondation de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), reconnu pour son caractère avant-gardiste, qui compte aujourd’hui plus de 400 membres. Sous sa direction, l’Institut a notamment établi une alliance de recherche sur le mouvement des femmes au Québec avec Relais-femmes (ARIR), un organisme féministe de liaison et de transfert de connaissances. Francine Descarries est également à l’origine de la création, en 2011, du Réseau québécois en études féministes (RéQEF). «Le RéQEF a réussi à fédérer un milieu qui était encore marginalisé dans certaines universités. Il a permis de mieux structurer et de dynamiser le champ des études féministes québécois.»

Selon ses pairs, la sociologue a fortement contribué à l’essor des études féministes dans le monde universitaire québécois et, plus largement, francophone. Au cours des dernières années, elle a mis sur pied un outil web interactif, la Ligne du temps de l’histoire des femmes au Québec, destiné aux universitaires, aux intervenantes du milieu et au grand public. «J’ai toujours voulu faire la jonction entre les savoirs universitaires et les savoirs du terrain», confie-t-elle.

Au cours de sa carrière, Francine Descarries a remporté plusieurs prix et distinctions, dont un hommage rendu en 2008 par Relais-femmes pour son apport exceptionnel à la vie de l’organisme. S’y ajoutent le Prix d’excellence en recherche et création, volet Carrière, de l’Université du Québec, en 2011, et le prix Ursula-Franklin pour l’étude du genre de la Société royale du Canada, en 2012. Mais sa plus grande fierté est d’avoir formé plusieurs étudiantes et étudiants au doctorat et à la maîtrise. « C’est dans l’enseignement que je me réalise le plus, souligne la sociologue. Le dynamisme et la curiosité intellectuelle des jeunes me forcent à pousser plus loin mes recherches.»

Âgée de 77 ans, Francine Descarries entend bien demeurer active. Elle souhaite non seulement continuer à superviser ses étudiantes, mais aussi poursuivre ses recherches sur les courants de pensée du féminisme en vue d’en faire un livre. «Ce sera l’un de mes projets de retraite, dit-elle. Et si le temps me le permet, j’aimerais étudier également le milieu artistique des années 1930 dans lequel mon père a évolué.»