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Obtenir un doctorat à 66 ans!

La thèse de Gilles Lachaîne témoigne de ses passions pour la psychologie et le judo.

Par Jean-François Ducharme

25 février 2019 à 9 h 02

Mis à jour le 26 février 2019 à 15 h 02

Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.​

Gilles Lachaîne
Photo: Nathalie St-Pierre

À un âge, 66 ans, où la plupart des gens sont à la retraite, Gilles Lachaîne (Psy. D., 2017) est plus actif que jamais. Récemment diplômé du doctorat en psychologie, il reçoit des clients à son bureau les lundis et mercredis soirs, et occasionnellement les samedis. Il enseigne le judo, un sport qu’il affectionne depuis plus de 50 ans, les mardis, jeudis et dimanches. Il passe aussi du temps avec son fils de 37 ans, sa fille de 15 ans et sa conjointe, Danielle Ferland (Ph. D., psychologie, 2012), avec laquelle il partage les mêmes passions – judo et psychologie.

Même s’il bénéficie d’une pension de vieillesse, il est hors de question que Gilles Lachaîne arrête de travailler. «Après tout, je suis un psychologue en début de carrière!», dit-il en riant.

Se battre pour survivre

Ayant grandi dans un quartier défavorisé du sud-ouest de Montréal, Gilles Lachaîne a vécu une jeunesse marquée par la violence et l’intimidation. «Pour survivre, il fallait se battre, confie-t-il. J’étais la victime idéale, car je m’écrasais devant mes agresseurs.»

Le diplômé découvre le judo à l’âge de 15 ans, un sport qui a transformé sa vie. «Ma confiance en moi a grandement augmenté. La plupart du temps, je n’avais même pas besoin de me servir de mes techniques de combat. Mon assurance était suffisante pour repousser les intimidateurs.» Durant les quelques années où il fait de la compétition, il remporte, notamment, le championnat canadien dans la catégorie ceinture jaune.

Mais c’est à titre d’entraîneur que Gilles Lachaîne s’accomplit pleinement. Nommé instructeur en chef des clubs de judo de Terrebonne et de Laval à l’âge de 20 ans, il a entraîné des milliers de jeunes et moins jeunes, dont une demi-douzaine ont été champions canadiens et une quarantaine ont obtenu le grade de ceinture noire – le plus haut niveau en judo. Il a aussi été sélectionné comme juge international de kata pour une dizaine de championnats du monde. «Avec mes élèves, je n’ai jamais priorisé la victoire, car ça entraîne inévitablement des frustrations lorsque tu ne gagnes pas. Pour moi, l’important est d’aimer le sport et d’avoir envie de continuer.»

Le diplômé a aussi enseigné le judo dans des écoles primaires de la Rive-Nord durant une quinzaine d’années. Ses interventions auprès des jeunes attirent d’ailleurs l’attention du psychologue d’une des écoles, qui lui suggère alors de suivre des cours de psychologie à l’université. L’idée d’une seconde carrière commence à germer.

Une rencontre déterminante

Gilles Lachaîne a rencontré sa conjointe Danielle Ferland au Club de judo de Terrebonne, où elle était l’une de ses élèves. «Après sa première session, je lui ai demandé si elle avait suffisamment aimé son expérience pour poursuivre l’aventure. Elle m’a répondu qu’elle s’était inscrite uniquement pour faire plaisir à sa mère, mais qu’elle comptait revenir.» C’était le début d’une aventure à deux, laquelle dure depuis 30 ans.

Avec des ceintures noires de 7e dan, pour Gilles, et de 6e dan, pour Danielle, le couple est le plus haut gradé parmi les judokas actifs au Canada. Danielle Ferland a connu, elle aussi, une brillante carrière de judoka, ayant remporté la médaille d’or aux Championnats canadiens et le bronze aux Jeux de la Francophonie. Après avoir gagné sa vie comme nutritionniste durant de nombreuses années, elle consacre maintenant le gros de ses énergies à son travail de psychologue.

Faire partie du groupe

Sur les conseils de sa conjointe et du psychologue de l’école primaire qui avait remarqué ses aptitudes, Gilles Lachaîne amorce des études à l’UQAM en 1998, à l’âge de 47 ans. D’abord étudiant libre, il s’inscrit au baccalauréat en psychologie trois ans plus tard. «Même si j’avais 30 ans de plus que les autres étudiants, j’ai toujours senti que je faisais partie du groupe», confie le sexagénaire. Il sera ensuite accepté à la maîtrise, en 2007, et au doctorat, en 2009.

Durant toutes ces années, Gilles Lachaîne doit concilier études, travail et famille. «Certaines journées, je ne voyais ni ma fille ni ma conjointe, puisque je quittais la maison tôt le matin et revenais très tard le soir. Ce fut une période difficile. Sans leurs encouragements, je n’aurais jamais pu terminer mon doctorat.»

Un environnement positif

La thèse de doctorat du diplômé porte sur le judo, une voie thérapeutique pour jeunes en difficulté. Un sujet bien naturel pour celui qui, durant des décennies, a enseigné le sport à des jeunes ayant des troubles de comportement. «La plupart de ces jeunes, dit-il, vivent constamment dans un climat négatif: violence, échecs scolaires, suspensions, décrochage… En judo, ils sont dans un environnement positif. Éprouvant du plaisir, ils peuvent s’exprimer et se sentent aimés et valorisés. Après quelques cours de judo, leur attitude et leur comportement changent du tout au tout.»

Gilles Lachaîne se rappelle d’un jeune au tempérament particulièrement violent. «Son père venait de se suicider, raconte-t-il, la larme à l’œil. En révolte contre la planète entière, il disait que personne n’avait empêché son père de se tuer et qu’il était maintenant seul au monde. Je lui ai dit: “Moi je suis là. Je ne suis pas ton père, mais je vais m’occuper de toi. Et je peux t’assurer que je ne me suiciderai pas.”» Ce jeune a surmonté cette période sombre et mène aujourd’hui une vie paisible.

Faire ce que l’on aime

Le sexagénaire encourage quiconque à suivre ses traces. «Peu importe l’âge, une personne qui souhaite étudier devrait pouvoir faire ce qu’elle aime, dit-il. Au moment où je me suis inscrit comme étudiant libre à l’UQAM, à 47 ans, jamais je n’aurais pensé que j’obtiendrais un jour un doctorat. Quand on se donne le droit d’étudier, tout peut devenir possible.»