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Une solution à la pénurie d’enseignantes

La Faculté des sciences de l’éducation offre son aide aux commissions scolaires afin de former le personnel non qualifié.

Par Pierre-Etienne Caza

25 mars 2019 à 15 h 03

Mis à jour le 25 mars 2019 à 15 h 03

La pénurie d’enseignantes au préscolaire, au primaire et dans les classes d’accueil risque de perdurer pour les 10 prochaines années.Photo: Nathalie St-Pierre

En décembre dernier, les trois commissions scolaires francophones de l’île de Montréal – la Commission scolaire de Montréal (CSDM), la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB) et la Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île (CSPI) – ont rencontré les responsables de la formation des maîtres de l’UQAM et de l’Université de Montréal. «L’objectif était d’explorer les avenues réalistes à court, moyen et long terme afin de les aider à résorber la pénurie d’enseignantes au primaire», révèle Henri Boudreault, vice-doyen aux études à la Faculté des sciences de l’éducation.

Au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, on préfère parler de rareté des ressources, mais les commissions scolaires, elles, reconnaissent qu’elles font face à une grave pénurie. Et la situation risque de perdurer pour les 10 prochaines années, souligne Henri Boudreault. La problématique existe ailleurs au Québec, mais elle est particulièrement aigue à Montréal, notamment en raison de la courbe démographique, de l’exil des enseignantes vers la banlieue et du taux d’abandon de la profession dans les premières années. «Pour l’automne 2019, la CSMB et la CSPI ont établi qu’il leur manquera environ 600 enseignantes chacune, et la CSDM plus du double», note le vice-doyen.

«À la Faculté des sciences de l’éducation, tous les responsables de programmes sont au diapason: nous devons faire partie de la solution afin de repenser la formation des enseignants du XXIsiècle. »

Henri Boudreault

Vice-doyen aux études à la Faculté des sciences de l’éducation

Les commissions scolaires ne doivent pas seulement prévoir l’embauche d’enseignantes, explique Henri Boudreault, mais aussi de remplaçantes (car il y a toujours en cours d’année des congés de maternité et des absences pour cause de maladie) et de suppléantes. «En décembre dernier, la CSMB avait 84 postes qui n’étaient toujours pas comblés. Les responsables des ressources humaines n’ont même plus de CV en banque. L’impact sur les enfants, qui n’ont pas encore d’enseignante titulaire, est dramatique.» Dans certaines écoles, le directeur ou la directrice doit enseigner, tout comme la conseillère pédagogique et l’orthopédagogue. «Même les éducatrices des services de garde sont réquisitionnées pour les classes de maternelle», rapporte le vice-doyen.

Pour pallier ce manque, on embauche des étudiantes du baccalauréat en enseignement qui n’ont pas encore terminé leurs études, en leur adjoignant parfois une technicienne en éducation spécialisée pour faire la gestion de classe. «Cela crée des situations aberrantes: une étudiante de quatrième année se retrouve à faire son stage final avec une suppléante en première année de bac! Or, cette dernière ne peut évidemment pas fournir un encadrement adéquat.»

L’embauche de suppléantes parmi les étudiantes qui n’ont pas encore complété leurs études engendre aussi des problèmes pour les universités: cela augmente la durée de la formation – un casse-tête pour l’offre de cours et le financement, basé sur des équivalences d’étudiants à temps plein. «Cela contamine aussi les milieux de stage, car les étudiantes voudront effectuer leur stage dans l’école où elles font de la suppléance, mais, en principe, elles ne doivent pas avoir de lien avec le milieu qui les accueille.»

Des enseignantes non qualifiées

Les Commissions scolaires sont à ce point en manque de personnel au primaire qu’elles se tournent désormais vers des enseignantes non légalement qualifiées. «Avant on engageait au minimum des gens ayant un baccalauréat dans une discipline connexe, comme le français ou les mathématiques. Ces enseignantes bénéficiaient d’une tolérance d’engagement, les obligeant à être inscrites à une formation menant à la qualification légale, explique Henri Boudreault. Dorénavant, il suffit d’avoir un baccalauréat, peu importe la discipline. Et en novembre dernier, le ministère a modifié les règles de tolérance d’engagement afin de permettre l’embauche de personnes détentrices d’un diplôme de cinquième secondaire inscrites à des études collégiales.»

«En novembre dernier, le ministère a modifié les règles de tolérance d’engagement afin de permettre l’embauche de personnes détentrices d’un diplôme de cinquième secondaire inscrites à des études collégiales.»

Cette tolérance est renouvelable pendant 10 ans et n’inclut pas d’obligation de formation universitaire si la commission scolaire fait la démonstration qu’une problématique particulière nuit au recrutement de candidates légalement qualifiées. «C’est une aberration», estime Henri Boudreault. Même si le ministère précise dans ses documents que «l’expérience acquise par un candidat durant la durée d’une tolérance d’engagement ne peut pas remplacer la formation initiale à l’enseignement», le vice-doyen s’inquiète des impacts à long terme sur les programmes de formation. «Pourra-t-on vraiment empêcher une enseignante d’obtenir sa qualification si elle a accumulé 10 ans d’expérience et qu’elle est réputée bien faire son travail?, s’interroge-t-il. Risque-t-on de voir nos étudiantes de troisième et quatrième année accepter des contrats et interrompre leurs études en espérant que leur expérience de travail les mènera un jour à la qualification légale? C’est une pente dangereuse…»

La solution: une maîtrise qualifiante

Si l’UQAM et l’Université de Montréal diplômaient toutes leurs étudiantes en éducation, cela ne suffirait pas à combler la moitié du manque d’enseignantes dans les écoles primaires sur l’île de Montréal, souligne Henri Boudreault. «Nous n’avons pas le choix: il faut aider les commissions scolaires à former les enseignantes non qualifiées qu’elles ont embauchées ou qu’elles embaucheront au cours des prochaines années.»

Puisque les commissions scolaires de l’île de Montréal privilégient l’embauche de détentrices de baccalauréat, la solution retenue est celle d’une maîtrise qualifiante à temps partiel. «Il existe déjà une maîtrise en enseignement pour le secondaire et la formation générale des adultes, mais pas pour le primaire, l’adaptation scolaire et les classes d’accueil, où sont présentement les besoins», précise le vice-doyen.

«Nous n’avons pas le choix: il faut aider les commissions scolaires à former les enseignantes non qualifiées qu’elles ont embauchées ou qu’elles embaucheront au cours des prochaines années.»

La création d’un tel programme menant à la qualification légale d’enseigner requiert plusieurs certifications. «Cela ne se fera pas du jour au lendemain, reconnaît le vice-doyen. Mais en attendant, nous pourrions offrir un cours semblable à celui d’Initiation à la profession enseignante (offert en formation professionnelle) ou d’Introduction et initiation à l’intervention pédagogique (offert au bac en enseignement secondaire), mais adapté pour l’enseignement au préscolaire et au primaire. Il serait possible de suivre ce cours à titre d’étudiante libre, puis de le faire reconnaître après l’admission à la maîtrise.»

Priorité au contenu

Un tel cours d’initiation constituerait une espèce de «formation de survie» pour ces enseignantes qui sont jetées dans le bain sans expérience, poursuit-il. Spécialiste en enseignement en formation professionnelle, Henri Boudreault a consacré sa thèse de doctorat aux enseignants qui apprennent leur métier sur le tas. «Ces enseignants survivent à leurs premières années d’enseignement en improvisant. Ils prennent de mauvais plis et ils ne sont plus capables de modifier leurs pratiques par la suite, ce qui est très dommageable pour le déroulement de leur carrière. D’où l’importance de venir en aide aux enseignantes sans expérience.»

Devant l’urgence de la situation, quelles sont les priorités? «C’est moins compliqué d’amener une nouvelle enseignante à contrôler son contenu que de l’amener à court terme à comprendre les élèves qui sont devant elle. Des notions de didactique aideront donc davantage que des cours sur la psychologie du développement cognitif et comportemental. La gestion de classe ne sert à rien si on ne sait pas enseigner.»

«C’est moins compliqué d’amener une nouvelle enseignante à contrôler son contenu que de l’amener à court terme à comprendre les élèves qui sont devant elle. Des notions de didactique aideront donc davantage que des cours sur la psychologie du développement cognitif et comportemental.»

Le vice-doyen aux études soulève également la possibilité de faire appel à des retraitées du monde de l’éducation pour accompagner ces nouvelles enseignantes. «Les commissions scolaires ne peuvent pas réembaucher les enseignantes retraitées, car cela les pénaliserait dans leurs prestations de retraite, explique-t-il. Mais rien ne nous empêche, nous, de les embaucher pour superviser nos étudiantes.»  

Les enseignants du XXIe siècle

Afin de concocter un programme de maîtrise qualifiante qui réponde aux besoins et dont les critères d’admission seront réalistes, la Faculté des sciences de l’éducation est en attente des profils de ces enseignantes non légalement qualifiées. «Nous devrions recevoir toutes ces informations d’ici la fin de l’année scolaire et nous pourrons alors poursuivre l’élaboration de ce nouveau programme», note Henri Boudreault.

Selon le vice-doyen, une autre pénurie frappera les écoles secondaires dans quelques années. «Les défis en matière de formation seront nombreux et le statu quo ne fait plus partie des possibilités. À la Faculté des sciences de l’éducation, tous les responsables de programmes sont au diapason: nous devons faire partie de la solution afin de repenser la formation des enseignants du XXIe siècle.» Malgré les vents contraires, Henri Boudreault offre un plaidoyer sans équivoque: «Quand on aime l’enseignement et qu’on est formé adéquatement, c’est un merveilleux métier», conclut-il.