Voir plus
Voir moins

La pandémie aux États-Unis

Les efforts pour combattre la COVID-19 se déroulent sur fond de partisanerie politique en cette année électorale.

Par Pierre-Etienne Caza

3 avril 2020 à 11 h 04

Mis à jour le 28 avril 2020 à 11 h 04

Série COVID-19: tous les articles
Les nouvelles sur la situation à l’Université entourant la COVID-19 et les analyses des experts sur la crise sont réunies dans cette série.

Photo: Getty Images

On compare souvent les États-Unis à une immense mosaïque et la pandémie de
COVID-19 nous en donne une éclatante démonstration. Le pouvoir fédéral et les pouvoirs étatiques ne sont pas au diapason: le président Trump commence à peine à reconnaître l’ampleur de la crise, et si les gouverneurs de plusieurs États n’ont pas tardé à agir, d’autres hésitent encore à imposer des règles de confinement à leurs citoyens.

En date du 3 avril, 38 États avaient décrété un ordre de confinement. Cinq États ne comptent aucune directive particulière, tandis que les 7 autres ont laissé aux villes et aux comtés la responsabilité de statuer sur la question. Ces 12 États «retardataires» sont gouvernés par des Républicains. «Je ne suis malheureusement pas étonné que la réponse à la pandémie soit teintée de partisanerie… surtout en cette année électorale», analyse Frédérick Gagnon, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand et directeur de l’Observatoire sur les États-Unis. [En date du 7 avril, il y avait toujours 5 États ne comptant aucune directive de confinement, ainsi que 3 États ayant laissé aux villes et aux comtés le soin de statuer sur la question.]

Des gouverneurs proactifs

Lors de son point de presse quotidien, le 29 mars dernier, le premier ministre du Québec François Legault a remercié les trois chefs de l’opposition, auxquels il parle deux fois par semaine et qui lui apportent, dit-il, «de bonnes suggestions». «Un tel discours est impensable aux États-Unis, car le fossé entre Démocrates et Républicains n’a jamais été aussi grand», observe le professeur du Département de science politique.

Pourtant, le rôle du président américain en temps de crise est d’abord et avant tout de s’élever au-dessus de la mêlée afin de prendre les bonnes décisions pour rassurer la nation et la guider, rappelle-t-il. «Or, Trump a minimisé le risque de pandémie dès qu’il a été mis au courant à la fin janvier. Ce n’est qu’à la mi-mars qu’il a reconnu qu’il y avait une crise dans le pays. Depuis, il tente de se rattraper, mais le mal est fait: pour plusieurs de ses partisans, la COVID-19 n’est pas dangereuse…»

L’annonce de plusieurs mesures économiques d’urgence, ainsi que l’arrivée d’un navire hôpital dans le port de New York, le 31 mars, ont pu donner l’impression que le président avait repris le contrôle de la situation, mais, sur le terrain, ce sont les gouverneurs des États qui prennent les décisions, coordonnent les mesures et effectuent des points de presse réguliers. «Les gouverneurs des États démocrates tels Andrew Cuomo (New York) et Gavin Newsom (Californie) ont été plus rapides à adopter des mesures et on peut croire que les discours du président banalisant la virulence du coronavirus en janvier et en février sont responsables de cette disparité avec les États républicains, analyse Frédérick Gagnon. À preuve, la Floride est très en retard dans sa gestion de crise.» Le gouverneur républicain Ron DeSantis a annoncé le 1er avril l’imposition d’un confinement strict de 30 jours aux résidents de la Floride après avoir tergiversé pendant plus d’une semaine. Son collègue républicain Greg Abbott, du Texas, a lui aussi attendu aux premiers jours d’avril pour enjoindre ses concitoyens de demeurer à la maison.

Libertés individuelles et assurance-santé

«L’attachement profond des Américains aux libertés individuelles complique la tâche des autorités, estime Frédérick Gagnon. Ajoutons également à l’équation le réflexe du quick fix, qui fait également partie de la culture américaine. Peu importe le défi qui se présente, les Américains pensent qu’ils seront en mesure de trouver une solution rapide. Or, demander aux gens d’être patients et de respecter des règles de confinement met rudement à l’épreuve ces valeurs.»

Avant de se raviser quelques jours plus tard, le président Trump avait envisagé la possibilité que les Américains reprennent leurs activités pour Pâques, cela afin d’empêcher l’économie de sombrer davantage. «L’arrêt de plusieurs secteurs de l’économie représente un défi pour l’ensemble des pays de la planète, mais aux États-Unis, contrairement au Canada, la perte d’emploi signifie souvent la perte de la couverture d’assurance-santé pour les travailleurs et leur famille, rappelle Frédérick Gagnon. C’est un enjeu majeur qu’il ne faut pas perdre de vue.»

À la recherche de coupables… démocrates

Le titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand n’est pas surpris que Trump utilise ses conférences de presse pour se mettre en valeur, même en temps de pandémie. «Tout tourne toujours autour de lui-même», dit-il. Il s’inquiète toutefois d’une chose: plus le nombre de décès en sol américain augmentera, plus le président cherchera des coupables pour éviter de prendre le blâme. «On l’a déjà entendu dire à plusieurs reprises “le virus chinois” pour désigner la COVID-19. Éventuellement, je ne serais pas étonné qu’il rejette la faute de tous ces morts sur la mauvaise gestion de crise des gouverneurs… démocrates bien sûr.»

En route vers les élections

Et pourtant, malgré toutes les critiques à l’endroit du président Trump (et elles sont nombreuses), 90 % de sa base républicaine l’appuie, de même que 45 % de l’électorat américain, selon le site FiveThirtyEight. «C’est surprenant de constater que sa popularité augmente, mais cela s’explique par l’effet de ralliement autour du drapeau – le rally ’round the flag», explique Frédérick Gagnon. Ce concept, utilisé en science politique et en relations internationales, explique le soutien populaire accru à court terme du président des États-Unis pendant les périodes de crise internationale ou de guerre. «On avait observé le même phénomène avec George W. Bush après le 11 septembre 2001», rappelle le chercheur.

Ne voulant pas spéculer sur les prochaines élections fédérales, ni même sur l’issue des primaires démocrates (dont la convention vient d’être repoussée en août plutôt qu’en juillet), Frédérick Gagnon note toutefois que «l’adversaire probable du président américain en novembre prochain, Joe Biden, n’a pas d’oxygène médiatique présentement, et Donald Trump en profite pour poursuivre sa campagne de réélection.»