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Défendre la personne

Lauréate 2017 du prix Reconnaissance pour la Faculté de science politique et de droit, Ann-Marie Jones souhaite une meilleure connaissance de la Charte des droits et libertés.

Par Valérie Martin

16 mai 2017 à 9 h 05

Mis à jour le 29 juin 2017 à 16 h 06

Série Prix Reconnaissance UQAM 2017
Sept diplômés de l’UQAM seront honorés à l’occasion de la Soirée Reconnaissance 2017 pour leur cheminement exemplaire et leur engagement. Ce texte est le quatrième d’une série de sept articles présentant les lauréats.

L’honorable Ann-Marie Jones est présidente du Trbunal des droits de la personne depuis 2014. Photo: Nathalie St-Pierre

Présidente du Tribunal des droits de la personne (TDP) depuis 2014, Ann-Marie Jones (LL.B., 1978) ne chôme pas. «Il n’y a pas assez de 24 heures dans une journée», dit la juge, qui, en plus de siéger, assure la bonne gestion du tribunal et de ses membres.

Tribunal spécialisé de première instance, le TDP, créé en 1990, a pour mission de trancher des litiges en matière de discrimination et de harcèlement. Il entend également des dossiers relatifs à l’exploitation de personnes âgées ou handicapées ainsi qu’en matière de programmes d’accès à l’égalité.

«Le Tribunal est souvent confronté à des cas où deux droits fondamentaux s’affrontent ou encore à des questions de droit nouveau, fait remarquer Ann-Marie Jones. On se doit de donner une interprétation large et libérale de la Charte des droits et libertés de la personne et de répondre aux préoccupations sociétales.»

En juillet 2016, le TDP a conclu que l’humoriste Mike Ward avait porté atteinte au droit à l’égalité du jeune Jérémy Gabriel en tenant des propos discriminatoires fondés sur son handicap. «L’affaire Mike Ward est un bel exemple d’un dossier où deux droits fondamentaux s’affrontent: d’une part, la protection des personnes handicapées contre les propos discriminatoires et, d’autre part, la question de la liberté d’expression dans le contexte d’un spectacle d’humour», explique Ann-Marie Jones.

Dans un autre dossier, le TDP a ordonné, en février dernier, la révision complète d’un questionnaire médical préalable à l’embauche d’une psychologue exigé par le Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (2017 QCTDP 2). «Le Tribunal a considéré le formulaire discriminatoire, puisque certaines questions étaient trop intrusives pour quiconque avait à le remplir pour obtenir cet emploi», relate la juge. La cause a fait l’objet d’un article dans l’édition du mois d’avril dernier du Journal du Barreau.

«Le Tribunal se penche sur de nombreux enjeux de société, au fur et à mesure qu’ils se présentent, note la juge. Notre société est en constante évolution et le droit aussi. Il suffit de voir le nombre de projets de lois déposés chaque année au Québec pour constater à quel point le monde change!»

Passionnée de justice sociale

Ann-Marie Jones a pratiqué le droit durant quelques années dans le secteur privé avant d’entrer dans la fonction publique, puis d’accéder à la magistrature québécoise. Elle a notamment agi à titre de procureure aux poursuites criminelles et pénales et de conseillère juridique auprès de la Direction des services judiciaires de Montréal. En 1997, elle est nommée commissaire du travail au Tribunal administratif du travail, puis, en 2001, juge de la Cour du Québec, où elle est affectée principalement à la Chambre de la jeunesse de Montréal. Au cours de sa carrière, elle a été membre de plusieurs comités du Barreau. Elle s’est aussi engagée dans la défense des droits des détenus; elle a été corédactrice du rapport intitulé La condition des femmes détenues au Québec et membre de la Ligue des droits et libertés et de l’Office du droit des détenus.

Passionnée de justice sociale, Ann-Marie Jones s’inscrit au milieu des années 1970 au nouveau programme de baccalauréat en sciences juridiques de l’UQAM. «La formation était centrée sur la justice sociale, la défense de groupes vulnérables et la promotion des droits de la personne et c’est ce qui m’intéressait.» Elle fait partie de la deuxième cohorte de diplômés en sciences juridiques de l’UQAM. «Des enseignants comme Georges Marceau et René Laperrière vivaient ce qu’ils enseignaient, se rappelle-t-elle. Ils y croyaient. L’enseignement n’était pas que théorique, ils avaient des exemples concrets à nous donner.»

Plusieurs diplômés issus de cette cohorte ont fait leur marque dans divers domaines du droit axés sur la défense des citoyens, comme le lauréat 2009 du prix Reconnaissance de la Faculté de science politique et de droit Jean-Pierre Ménard. «On ne choisissait pas l’UQAM par hasard: en entrevue de sélection, il fallait démontrer notre engagement social, ce qui n’est plus nécessairement le cas aujourd’hui», note Ann-Marie Jones. L’UQAM a été la première université à offrir un stage crédité de deuxième année aux étudiants en droit, rappelle la juge, qui a effectué son stage à l’Aide juridique de la Chambre de la jeunesse, là même où elle a été appelé à siéger lorsqu’elle a été nommée juge.

Des citoyens mieux renseignés

La juge plaide pour un meilleur accès à la justice et à l’éducation en matière de droits de la personne. «Les droits de la personne sont le pilier de notre démocratie, martèle-t-elle. À l’heure actuelle, on parle beaucoup des délais d’accès aux tribunaux en matière pénale et criminelle, mais il ne faut pas oublier ceux qui existent dans les domaines du droit civil et des droits de la personne. On en parle moins, mais ils sont tout aussi importants.»

Plusieurs fois par année, les membres du TDP prononcent des conférences dans les cégeps et les universités, afin d’informer les étudiants sur les domaines de compétence du Tribunal. «Nous souhaitons ainsi que les jeunes développent une pensée claire dans le domaine des droits et libertés», précise Ann-Marie Jones. Selon elle, le public doit avoir accès à de l’information juridique de qualité. «Il faut mieux faire connaître la Charte des droits et libertés», rappelle la juge. Elle affirme que le droit est un mode de communication. «En établissant des règles, on établit une meilleure communication et on favorise un plus grand respect des droits fondamentaux dans notre société.»

Durant ses années à la Chambre de la jeunesse, Ann-Marie Jones s’est heurtée aux difficultés de nombreuses familles. «La pauvreté est la source de bien des problèmes, constate la juge. Elle entraîne beaucoup de détresse et parfois de la négligence envers les enfants. Cela dit, il y a aussi de belles histoires. J’ai vu des familles d’accueil et des intervenants sociaux dévoués et d’une grande générosité envers les enfants.»

Selon elle, le gouvernement doit consacrer les fonds nécessaires pour aider les jeunes familles, surtout en milieu défavorisé. «On a fait de grands pas en mettant sur pied des services de garde à coût réduit et des classes de prématernelle quatre ans. Il faut continuer à offrir des services de qualité aux jeunes familles, à dépister les difficultés des enfants en bas âge dans les milieux défavorisés et à intervenir rapidement, afin que les petits puissent rester dans leur milieu familial le plus souvent possible.»

Bien qu’elle considère le fait de diriger le Tribunal des droits de la personne comme un honneur, Ann-Marie Jones estime qu’une de ses plus grandes réalisations est d’avoir réussi à concilier travail et vie de famille. «J’ai pu mener une carrière active et intéressante tout en élevant mes trois enfants, dit-elle. La fonction publique m’a permis de choisir un horaire de travail réduit sur quatre jours et d’ainsi d’être présente et attentionnée auprès de mes enfants.»