Quand René Roy s’est envolé vers La Havane le 14 février dernier, il avait dans ses bagages bien plus que les inévitables lunettes de soleil et maillot de bain. Le chimiste trimballait une masse de silicium de quelques kilos sur laquelle trône un petit globe de verre. De quoi intriguer bien des douaniers ! Ni arme ni haltère, il s’agit plutôt du trophée qu’on lui a décerné dans le cadre des prestigieux Museum Tech Awards, pour avoir contribué de façon exceptionnelle au mieuxêtre de l’humanité. Son collègue cubain, Vincente Verez Bencomo, avec qui il partage la récompense, n’avait pu obtenir de visa pour participer à la cérémonie tenue en Californie au mois de décembre 2005. Le professeur du Département de chimie et de biochimie de l’UQAM tenait à lui livrer en mains propres cet hommage à leurs efforts conjoints.
Pour les deux scientifiques, le trophée n’est que la cerise sur le gâteau. Car leur plus importante récom – pense, c’est le fruit de leurs recherches : un vaccin contre l’Haemophilus influenza (HIB), une bactérie responsable de la pneumonie et de la méningite de type B, qui tue entre 400 000 et 700 000 enfants chaque année dans les pays en développement. Quand elle n’entraîne pas la mort, la maladie laisse des séquelles graves comme la surdité ou le retard mental.
Déjà, près d’un million de petits Cubains ont été immunisés grâce au vaccin baptisé Quimi-Hib. Et si tout se déroule comme prévu, la bactérie pourrait être entièrement éradiquée de la surface du globe d’ici une dizaine d’années.
Une priorité nationale
« Vincente et moi nous sommes rencontrés en 1994, dans le cadre d’un congrès à Ottawa », raconte René Roy, qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada en chimie thérapeutique. « À cette époque, la mise au point d’un vaccin contre la bactérie HIB était devenue une priorité nationale dans son pays. Il existait déjà des vaccins, mais ces derniers n’étaient pas parfaitement sécuritaires : ils transmettaient parfois l’infection. Surtout, ils étaient très coûteux. Cuba déboursait deux millions de dollars par année pour s’approvisionner et avait du mal à se ravitailler à cause de l’embargo américain contre ce pays. »
Longtemps avant de se rendre au congrès d’Ottawa, le professeur Bencomo avait commencé à plancher sur un vaccin cubain dans son laboratoire de l’Université de La Havane, mais depuis quelques mois, il se butait à un mur. Lorsqu’il fait la connaissance de René Roy, spécia – liste de la chimie de synthèse, il voit une occasion en or d’explorer de nouvelles avenues thérapeutiques. Le Québécois est interpellé par le défi. En 1995, les nouveaux collègues déposent une demande de financement auprès de l’Organisation mondiale de la santé ; ils amorcent leurs travaux quelques mois plus tard. En 1998, la solution est trouvée.
Le vaccin canado-cubain n’a pas été conçu selon les méthodes classiques de la microbiologie. Traditionnellement, pour fabriquer un vaccin, on commence par cultiver la bactérie que l’on veut combattre dans d’immenses cuves de fermentation. Dans le cas d’Haemophilus influenza, l’étape suivante consiste généralement à extraire du bouillon la capsule de polysaccharides qui protège la bactérie. Cette enveloppe est morcelée en minuscules fractions qui servent de matière première à la composition du vaccin. Quand on injecte des fragments de la capsule bactérienne aux jeunes patients, leur système immunitaire se met à fabriquer les anticorps appropriés.
Le coup de génie du professeur Roy est d’avoir trouvé le moyen de synthétiser artificiellement les polysaccharides qui composent la capsule de HIB, sans devoir passer par la longue et coûteuse étape de la fermentation. « Ça rend aussi notre vaccin plus sécuritaire en supprimant tout risque de contamination par des bactéries qui n’auraient pas été éliminées lors de l’étape de purification », précise-t-il.
Pour l’instant, le vaccin des deux chercheurs n’est que semi-synthétique. Le polysaccharide doit être combinée à une protéine du tétanos afin d’augmenter la durée et l’efficacité du traitement. Éventuellement, les chercheurs espèrent la remplacer par une autre molécule synthétique.
50 employés, un million de vaccinés
Aujourd’hui, l’usine de Heber Biotech, l’entreprise chargée de la fabrication du vaccin Quimi-Hib, emploie une cinquantaine de personnes à La Havane. Tous les nourrissons du pays sont maintenant immunisés et, bientôt, les doses produites pourraient prendre le chemin de l’Afrique, de la Chine ou d’autres pays d’Amérique latine. « Selon l’Organisation mondiale de la santé, seulement 2 % des enfants du monde sont immunisés parce que les autres vaccins sur le marché sont trop chers », dit René Roy.
Pour tous les vaccins vendus à Cuba, René Roy et Vincente Verez Bencomo ont renoncé à leurs redevances, de façon à maintenir les coûts aussi bas que possible. Dans le cas où une épidémie mondiale surviendrait dans les pays en développement, les chercheurs renonceraient aussi à leurs droits. Car l’argent n’est pas l’appât qui les pousse à investir de longues heures dans leur laboratoire. « J’aime que mes recherches servent à quelque chose de concret, affirme René Roy. J’ai toujours rêvé de sauver des vies. » Déjà, au cours des années 1980, le chercheur avait mis au point un vaccin contre la méningite de type C, toujours commercialisé par la compagnie Baxter.
Le chercheur humaniste a d’autres projets dans ses cartons. Il travaille notamment sur un vaccin contre la fibrose kystique. « On s’approche tous les jours du but», dit-il. Ces jours-ci, il magasine pour des médicaments auxquels les Cubains ont difficilement accès. C’est qu’outre le trophée, le prix des Museum Tech Awards était assorti d’une bourse de 50 000 dollars. « Vincente et moi avons décidé d’investir la somme pour aider les enfants cubains, explique René Roy. C’est le plus beau cadeau que l’on pouvait s’offrir. »