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Information : the show must go on!

Les frontières traditionnelles qui séparaient l’information, l’opinion et le divertissement s’estompent, en particulier à la télévision. Le mélange des genres, un fléau?

Par Claude Gauvreau

15 avril 2006 à 0 h 04

Mis à jour le 27 août 2018 à 14 h 08

Une journaliste, Isabelle Maréchal (B.A. communication, 85), présente et commente l’actualité au Grand Journal de TQS tout en animant un gala hebdomadaire consacré à une émission de télé-réalité, Loft Story I. Une nouvelle émission, Fric Show, diffusée sur les ondes de Radio-Canada et animée par le comédien Marc Labrèche, prétend transmettre une information rigoureuse sur la consommation, de manière farfelue. Tout le monde en parle, le talk-show le plus populaire de la télévision, offre, selon son animateur Guy A. Lepage (B.A. communication, 83), un complément d’information aux émissions dites « sérieuses » en « traitant parfois d’affaires publiques »… 

Un constat s’impose. Le paysage médiatique se transforme dans un contexte de concurrence accrue : la guerre des cotes d’écoute fait rage, Internet étend son emprise et les grands quotidiens perdent des lecteurs, tandis que de petits journaux, diffusés gratuitement dans le métro, proposent une information flash, noyée dans la publicité.

L’un des signes majeurs de cette transformation : le mélange des genres. L’heure est au métissage. Les frontières traditionnelles qui séparaient l’information, l’opinion et le divertissement s’estompent, en particulier à la télévision. Le mélange des genres est-il un fléau à dénoncer, comme certains l’affirment… ou une évolution nécessaire de la pratique journalistique permettant aux médias d’enrayer le déclin de leurs auditoires?

Une tendance lourde

Avant d’être éditorialiste à La Presse, Nathalie Collard, une ancienne du journal étudiant de l’UQAM, Montréal Campus, couvrait l’actualité médiatique. Selon elle, le mélange des genres n’est pas un phénomène nouveau, mais il est beaucoup plus visible qu’il y a 15 ou 20 ans. « Les chaînes de télévision se creusent les méninges pour trouver la bonne formule afin d’attirer les jeunes qui, souvent, préfèrent Internet ou les jeux vidéo, dit-elle. Certains bulletins de nouvelles s’apparentent de plus en plus à des magazines : un peu d’opinion, quelques entrevues, un segment arts et spectacles, de courts reportages de type human interest et les nouvelles du jour. Le public s’attend à être diverti et à ce que l’information soit facile à digérer. »

On a même changé le contenu et la facture des quotidiens pour qu’ils soient plus attrayants et fassent concurrence aux médias électroniques, poursuit la journaliste. D’où le recours à une mise en pages plus aérée, à des titres accrocheurs, à des textes plus courts et à de nombreux cahiers sur la consommation.

Dominic Arpin (B.A. communication, 1992), qui a lui aussi fait ses premières armes au Montréal Campus et qui est aujourd’hui reporter vedette à TVA, abonde dans le même sens. « Il y a un souci de rajeunir la présentation de l’information en la rendant plus sexy, plus jazzy. Dans les années 90, la performance spectaculaire d’un Jean-Luc Mongrain à TQS et des émissions comme La fin du monde est à 7 heures et Infoman, qui parodiaient les bulletins de nouvelles ou se moquaient des acteurs de l’actualité, ont suscité des remises en question. »

Devenu l’Explorateur urbain au bulletin de TVA à 17h, Dominic Arpin aborde souvent des sujets légers dans ses reportages : une visite souterraine dans la crypte d’une église à Terrebonne, qui a tout du décor d’un film d’épouvante, ou la tenue du concours Miss Québec au Casino de Montréal. Il se met en scène et tente de jeter un éclairage original sur l’environnement urbain en apportant à ses topos une touche d’humour et d’humeur. « Les Américains appellent ce style journalistique V.I.P., pour very implicated person », précise-t-il.

La concurrence féroce entre les diffuseurs est un des facteurs qui favorisent le phénomène de l’information spectacle, affirme Alain Gravel, animateur de l’émission Enjeux et chargé de cours en journalisme à l’UQAM. Et cette concurrence tend à s’accroître dans un environnement où les véhicules d’information se sont multipliés, ajoute celui qui est aussi président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).

Influence américaine

L’influence des États-Unis est également à considérer, souligne Dominic Arpin. « Mes patrons regardent beaucoup la télévision américaine. Ce n’est pas un hasard si, depuis l’automne dernier, TVA s’est dotée d’un hélicoptère pour se déplacer rapidement sur les lieux d’un événement et être la première à transmettre des images au public. » Nathalie Collard rappelle que La fin du monde est à 7 heures s’inspirait d’une émission américaine très populaire auprès des jeunes, The Daily Show, où de faux reporters s’amusaient à couvrir de vrais événements.

L’arrivée dans les salles de presse d’une génération de journalistes qui a grandi avec la télévision et les nouvelles technologies de communication a aussi contribué à modifier le paysage médiatique, dit Dominic Arpin. « J’appartiens moi-même à la génération de Musique Plus et j’ai étudié à l’UQAM avec des profs en journalisme qui voulaient que l’on fasse les choses différemment. »

Les trois journalistes ne croient pas que le mélange des genres sème la confusion dans l’esprit du public. Celui-ci est suffisamment intelligent pour distinguer l’information du divertissement, affirment-ils.

On peut transmettre de l’information sous une forme légère, humoristique, voire provocante, en étant imaginatif et créatif, sans la dénaturer pour autant, soutient Nathalie Collard. « Ma seule inquiétude concerne la solidité de l’information. D’accord pour divertir tout en informant, à la condition d’être inattaquable sur le plan de la rigueur. » Et pourvu que le sujet s’y prête, ajoute Dominic Arpin : « Mon approche serait différente si je devais couvrir un crime crapuleux ou un événement politique important. »

Le travail du journaliste consiste, entre autres, à rendre intéressant ce qui est important, dit Alain Gravel. « Un bulletin de nouvelles à la télévision, c’est une mise en scène. En reportage télé, on parle d’une bonne ou d’une mauvaise scénarisation, comme au cinéma. » 

Risques de dérapage

Cela dit, les risques de dérapage sont bien réels dans un contexte de métissage des genres, quand la qualité de l’information est sacrifiée au profit du spectacle ou quand la personnalité du journaliste devient plus importante que le sujet traité, observe le président de la FPJQ. Celui-ci s’inquiète que des médias donnent la parole à des gens qui empruntent le modèle journalistique sans en respecter les règles d’éthique, comme c’est le cas de certains animateurs de tribunes téléphoniques.

« À Tout le monde en parle, on a tendu une perche au Doc Mailloux qui a tenu des propos controversés sur le quotient intellectuel des Noirs et des Amérindiens, mais sans le confronter, rappelle Dominic Arpin. Par la suite, ce sont les journalistes de la presse écrite qui ont dû corriger le tir. N’importe qui ne peut pas se prétendre journaliste. Le fait d’être encadré par une salle de nouvelles permet de limiter les risques de dérapage. »

Tous admettent qu’il est difficile de tracer une frontière nette entre information et divertissement. La rigueur est de mise, mais pas question d’aseptiser l’information. Qui peut prédire jusqu’où les limites seront repoussées ?

« Il y aura toujours des gens avec des idées plus ou moins saugrenues, souligne Mme Collard. Ceux qui ont voulu être trop fantaisistes ont été ramenés à l’ordre et certaines expériences — reporters avec caméra à l’épaule ou lecteur de nouvelles présentant l’actualité sur le trottoir — ont été vite abandonnées. »

Alain Gravel rappelle que la FPJQ a refusé d’accorder une carte de presse à l’animateur Jean-René Dufort d’Infoman parce qu’elle ne le reconnaissait pas comme journaliste. « Il importe d’assurer l’étanchéité entre les services de l’information et des variétés. À TVA, dans les années 80, les journalistes se sont battus pour que la salle des nouvelles possède son propre budget. »

Le reporter d’Enjeux estime que l’on doit différencier l’information journalistique de l’information en général, laquelle circule dans des émissions comme le Fric Show, Infoman ou Tout le monde en parle. « L’information journalistique repose sur une démarche particulière qui doit respecter un certain nombre de règles : indépendance, équilibre des points de vue, recherche fouillée, vérification des faits. » À l’UQAM, c’est cela qu’il enseigne dans son cours sur le reportage télé. « Je dis à mes étudiants que l’on peut très bien faire un reportage sur les clubs échangistes ou les danses à 10 $, sans traiter ces sujets de manière racoleuse. Il n’y a pas de petits sujets… il n’y a que de petits journalistes. »

Le journalisme est-il en crise ? Non, répondent les trois journalistes, ajoutant qu’il n’y a jamais eu autant de reportages, d’enquêtes, de documentaires et de correspondants à l’étranger.

Nathalie Collard insiste sur l’importance d’armer les générations à venir pour qu’elles saisissent mieux l’univers de l’information. Et elle se réjouit qu’un volet d’éducation aux médias ait été prévu dans le cadre de la réforme scolaire au Québec.

Il y a mille façons de présenter l’information, mais une information de qualité sera toujours basée sur une bonne recherche, affirme Alain Gravel. « Les journalistes sont là pour révéler et expliquer des choses. Le reportage à Zone Libre sur le géant Wal-Mart, qui sous-traite avec des entreprises exploitant des enfants dans des pays en développement, a attiré environ 800 000 téléspectateurs un vendredi soir, à 21 h ! En information, il n’y a pas de meilleur spectacle qu’une grande enquête. »