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Les beaux jours du pavillon Read

En pleine Révolution tranquille, une nouvelle université naissait au centre-ville de Montréal.

Par Pierre-Etienne Caza

15 avril 2006 à 0 h 04

Mis à jour le 24 septembre 2019 à 11 h 09

Série Cinquante ans d’histoire

L’UQAM, qui célèbre son 50e anniversaire en 2019-2020, a déjà beaucoup d’histoires à raconter. La plupart des textes de cette série ont été originalement publiés de 2006 à 2017 dans le magazine Inter. Des notes de mise à jour ont été ajoutées à l’occasion de leur rediffusion dans le cadre du cinquantième.

Parmi ceux qui ont connu les débuts de l’UQAM, dans les années 1970, le Read Building évoque des souvenirs vivaces. Cette ancienne manufacture de la rue de la Gauchetière, l’un des tout premiers pavillons de l’université, fourmillait d’activistes en tous genres.

«Il fallait se frayer un passage dans le corridor d’entrée du pavillon, quotidiennement envahi par les sympathisants des groupuscules d’extrême-gauche (trotskistes, marxistes-léninistes, communistes) qui criaient pour vendre leur salade et distribuer leur feuille de chou », raconte Ginette Lamarche, à l’époque secrétaire du module d’histoire [aujourd’hui retraitée]. «Voilà pourquoi les pavillons Judith-Jasmin et Hubert-Aquin ont été construits avec une quinzaine de portes d’entrée chacun!», ajoute en riant Jean-Paul Lafrance, alors directeur du Département de communication et aujourd’hui titulaire de la chaire UNESCO-Bell en communication et développement international [maintenant retraité].

À la première rentrée de l’automne 1969, la moitié des 3 196 étudiants de l’UQAM étaient inscrits dans un programme de formation des maîtres ou de sciences humaines, faisant du pavillon Read, qui a abrité la Famille des sciences humaines pendant 20 ans, l’un des lieux névralgiques de l’Université.

«On aurait dit que tous les militants de l’UQAM étaient au pavillon Read», se rappelle le titulaire de la chaire Hector-Fabre d’histoire du Québec, Robert Comeau [aujourd’hui retraité], qui, à 24 ans, y a débuté sa carrière de professeur d’histoire. Considéré à l’époque comme un sympathisant du Front de Libération du Québec (FLQ), il affirme avoir dirigé un étudiant à la maîtrise qui s’est avéré être un indicateur de la police de Montréal, chargé de rapporter ses faits et gestes !

Témoin de cette période, la première revue littéraire étudiante de l’UQAM, le Read building, est parue pour la première fois en avril 1977. Vendue 1,75 $, cette revue d’une trentaine de pages petit format faisait place à la prose et à la poésie, tout en traitant des programmes et des cours, car les étudiants, représentés au sein des «modules» — des structures qui dédoublaient celles des départements — avaient leur mot à dire sur ce qu’on leur enseignait. C’était la grande époque de la gestion participative, comme le rappelle le titre d’un livre publié par le premier recteur de l’UQAM, Léo Dorais : L’autogestion universitaire : autopsie d’un mythe. Les étudiants de philosophie, qui ne voulaient rien savoir de saint Thomas d’Aquin et qui exigeaient qu’on leur parle plutôt des existentialistes, avaient même réussi à faire chasser quelques professeurs. Scandalisé, Le Devoir accusa le nouveau programme de «faire la plus large part à l’enseignement du castrisme, du maoïsme et du guévarisme» !

Considéré comme le plus grand édifice d’affaires du Canada lors de sa construction par l’ingénieur et financier Cinus G. Read, en 1912, le Read Building avait été conçu pour l’industrie légère et le commerce des marchandises.Photo: Service des archives

Outre le militantisme politique et l’activisme syndical propres aux années 1970, les occupants du pavillon Read se souviennent d’un bâtiment mal adapté à l’enseignement universitaire. Considéré comme le plus grand édifice d’affaires du Canada lors de sa construction par l’ingénieur et financier Cinus G. Read, en 1912, le Read Building avait été conçu pour l’industrie légère et le commerce des marchandises, non pour abriter des salles de classe. Mais le Québec de la Révolution tranquille avait beau ériger à toute allure de nouvelles écoles, on manquait de locaux pour accueillir les hordes de baby-boomers qui se pressaient aux portes des universités.

Pour plusieurs, l’ascenseur vétuste qui desservait l’immeuble évoque de vieux souvenirs. «Une dame l’opérait manuellement et elle ne laissait entrer que ceux qui lui étaient sympathiques», raconte en riant Jacques Lévesque, à l’époque directeur du Département de science politique [maintenant retraité]. La secrétaire du baccalauréat en psychologie, Diane Berthiaume [aujourd’hui retraitée,  elle aussi], avait carrément peur d’y monter! Mais le pavillon Read avait aussi ses charmes : l’employée se rappelle avec nostalgie des grandes fenêtres qui laissaient entrer la lumière et de l’ambiance familiale qui y régnait. «Je pouvais garer ma coccinelle derrière le pavillon, sur la rue Viger, dans l’espace prévu pour la réception des ordures», raconte-t-elle. Les temps ont bien changé !

Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 4, no 1, printemps 2006.