Pour faire bonne figure ou apaiser leur conscience environnementale, on a souvent vu des entreprises ou même des gouvernements planter de jeunes arbres. En poussant, ces derniers sont censés absorber du dioxyde de carbone et compenser les émissions de gaz à effet de serre engendrées par une activité ou un événement. Les scientifiques savent aujourd’hui que cette mesure compensatoire apporte rarement les résultats escomptés. Certes, les arbres absorbent du carbone en période de croissance, mais une fois à maturité, ils finissent généralement par se décomposer ou brûler, relâchant le carbone emmagasiné. Même le bois qui sert à la fabrication de matériaux de construction n’est pas éternel.
Le dioxyde de carbone, et de façon plus générale le carbone tout court, suit de tortueux méandres dans la biosphère. Ses molécules sont échangées entre l’atmosphère, les forêts, les océans ou les organismes vivants. C’est ce qu’on appelle le «cycle du carbone», un processus complexe que les scientifiques tentent d’élucider. En comprenant mieux ce cycle, ils pourront prédire avec plus de justesse comment le climat et les écosystèmes régiront aux augmentations futures des concentrations de gaz à effet de serre dans l’environnement.
La contribution humaine
Le professeur Frank Berninger, du Département des sciences biologiques, vient de mettre en place un nouveau morceau dans le casse-tête du cycle du carbone, en collaboration avec une équipe internationale menée par un chercheur de l’Université de Bologne, Federico Magnani. Leurs découvertes sont à la fois si fondamentales et si surprenantes qu’elles ont été publiées dans nul autre journal que la prestigieuse revue Nature, le 14 juin dernier, dans un article intitulé The Human Footprint in the Carbon Cycle of Temperate and Boreal Forests. «Nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux impacts des activités humaines sur le cycle du carbone dans les forêts nord-américaines», résume le professeur Berninger, écologiste finlandais et physiologiste des plantes, recruté par l’UQAM il y a trois ans.
Qu’ont découvert les chercheurs? Entre autres que plus les humains polluent, plus les forêts sont efficaces lorsque vient le temps d’absorber des gaz à effet de serre. «C’est tout un paradoxe, souligne Frank Berninger. Plusieurs procédés industriels et la combustion des carburants fossiles par les voitures relâchent dans l’atmosphère des oxydes d’azote, qu’on appelle souvent NOx. Tout cet azote finit par retomber sur terre, dans l’eau de pluie. Or, il s’agit un nutriment essentiel à la croissance des plantes. Quand il tombe sur le sol, les végétaux poussent plus vite et emmagasinent plus de carbone.»
Pluies acides
On s’en doute : les bonnes nouvelles sont de courtes durées. Même si la forêt pousse plus vite, une fois à maturité, elle relâche tout de même son carbone, en brûlant ou en se décomposant. Pire encore, les NOx qui se retrouvent dans l’atmosphère forment de l’acide nitrique en réagissant avec l’eau de pluie. Ces précipitations sont responsables de l’acidification des sols, des lacs et des cours d’eau. «L’émission d’oxyde d’azote ne doit être vue d’aucune façon comme une solution pour limiter l’envergure des changements climatiques, dit Frank Berninger. Il s’agit d’un polluant dévastateur. Seulement, nous savons qu’il est présent dans l’atmosphère. Comprendre son rôle nous aidera à mieux suivre l’évolution de la forêt dans le contexte des changements climatiques.»
Comment Frank Berninger a-t-il réagi en apprenant que ses travaux allaient être publiés pour la première fois dans Nature? «Ce qui compte pour moi, c’est qu’il s’agisse d’un bon papier, peu importe où il est publié. Que ce soit de la bonne science. Mais c’est certain que ça fait un petit velours… et que ça risque de m’aider pour mes demandes de subventions futures.»