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Droit animal : la loi manque de crocs

Par Marie-Claude Bourdon

16 avril 2007 à 0 h 04

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Avant de devenir notaire et professeure au Département des sciences juridiques, Martine Lachance a été infirmière pendant huit ans. Alors n’allez pas dire à cette passionnée du droit des animaux qu’elle ne se soucie pas des humains. «Je me suis toujours sentie interpellée par la souffrance des êtres vulnérables», dit la juriste, qui poursuit un projet de recherche sur le statut juridique des espèces animales et qui enseignera à partir de l’automne un premier cours en français au Canada sur ce domaine novateur du droit, mieux connu aux États-Unis et dans le Canada anglais.

L’intérêt de Martine Lachance pour la cause animale ne date pas d’hier. Dans son ancien quartier de Ville d’Anjou, elle a même participé à une opération visant à protéger une colonie de chats de ruelle sauvages qui s’était établie sur un terrain vacant, derrière le gymnase qu’elle fréquentait. «Quand un chat n’a pas eu de contacts avec des humains pendant ses premières semaines de vie, il devient impossible de l’apprivoiser, explique Martine Lachance. Des citoyens avaient peur de ces animaux qui ont finalement été capturés par la Ville et euthanasiés.»

C’est lors de son embauche à l’UQAM, en 2004, et alors qu’elle perdait sa petite chienne de 18 ans, Plume, que la juriste a décidé de faire de ce qui était un sujet d’intérêt personnel l’objet de ses recherches académiques. «Plusieurs philosophes se sont intéressés à la question de savoir pourquoi il faut protéger les animaux, dit la professeure. La question qui me préoccupe, c’est de savoir comment on peut les protéger.»

Un code inadéquat

Selon le code criminel, pour être reconnu coupable de cruauté envers un animal, il faut avoir eu l’intention d’être cruel. «Prouver l’infraction n’est déjà pas facile, explique la juriste, mais il faut en plus démontrer une intention, ce qui fait que beaucoup de cas de cruauté ne sont jamais poursuivis.» Selon elle, le code criminel est inadéquat à plusieurs égards pour ce qui est de la protection des animaux, mais principalement parce qu’il est punitif et qu’il intervient seulement après que l’animal ait été victime de cruauté. La juriste se montre beaucoup plus favorable à l’endroit de la Loi sur la protection sanitaire des animaux (loi P42), adoptée en 2005 par le gouvernement québécois.

«C’est une loi extraordinaire, qui comble les lacunes du code criminel, puisqu’elle permet d’agir de façon préventive, en prévoyant notamment un pouvoir d’inspection et de saisie des animaux maltraités», affirme Martine Lachance. La loi permet entre autres de s’attaquer au problème des «usines à chiots», ces chenils où des dizaines, voire des centaines d’animaux sont gardés dans des conditions épouvantables, dans le seul but de les reproduire pour le marché des animaleries. «On voit des animaux complètement psychotiques, qui tournent en rond toute la journée dans leur cage», dit la juriste, qui est aussi vice-présidente d’Anima Québec, l’organisme chargé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) de veiller à l’application de la loi.

Au niveau fédéral, cinq projets de loi visant un durcissement du code criminel ont été rejetés au cours des dernières années. Selon la juriste, les nouvelles modifications proposées par les Conservateurs – et qui risquent fort d’être adoptées – ont perdu toute substance. «On se contente d’augmenter le montant des amendes, dit Martine Lachance, mais il faut faire beaucoup plus que cela. Il faut criminaliser la négligence et il faut que les gens reconnus coupables de négligence ou de cruauté ne puissent plus posséder d’animaux.»

Le bien-être animal

Selon la professeure, l’avant-dernier projet de loi a été rejeté parce qu’on craignait que ses prescriptions soient suffisamment larges pour être invoquées contre les agriculteurs ou contre l’utilisation des animaux dans la recherche. «Certains défenseurs des animaux pensent que l’élevage industriel est cruel, dit Martine Lachance. On a tous vu à la télévision ces porcs élevés dans des espaces tellement restreints qu’ils ne peuvent même pas se retourner. Évidemment, on touche ici à des intérêts économiques. Mais il est possible de faire de l’élevage tout en étant respectueux du bien-être animal. Et définir le bien-être animal, c’est justement ce que visent mes recherches.»

Le discours juridique sur les animaux se développe principalement autour de trois concepts, explique la juriste : celui du droit animal (animal law), des droits des animaux (animal rights) et du bien-être animal (animal welfare). «Certains travaillent sur le statut juridique de l’animal et se demandent si on devrait lui accorder des droits», souligne Martine Lachance. Est-ce la solution? «Dans un monde idéal, je souhaiterais que l’animal ne soit plus un bien de consommation, mais cela n’existera jamais, dit-elle. Donc, comment peut-on faire pour donner aux animaux une vie décente, sans souffrance? Jusqu’à maintenant, mes recherches indiquent que la solution passe par des règles visant leur bien-être qui peuvent être invoquées devant un tribunal.»

La juriste présentera ses travaux lors d’un colloque international sur le droit animal qu’elle organise et qui se tiendra à l’UQAM au printemps 2008. Il s’agira du premier colloque consacré à la question au Canada.