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Le droit d’avoir un nom

Par Pierre-Etienne Caza

15 septembre 2008 à 0 h 09

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Au Québec, les parents d’un nouveau-né ont 30 jours pour enregistrer leur enfant auprès du Directeur de l’état civil, sans quoi ils s’exposent à des sanctions monétaires. Il n’en va pas de même partout sur la planète. En Afrique sub-saharienne, par exemple, la moitié de toutes les naissances ne sont pas enregistrées. Sans document officiel, des millions d’enfants n’existent tout simplement pas aux yeux des gouvernements et sont d’autant plus vulnérables en cas de crise majeure.

En juin dernier, la Clinique internationale de défense des droits humains (CIDDHU) de l’UQAM et l’organisme Teachers Without Borders Canada ont soumis au Comité des droits de l’enfant de l’ONU un rapport intitulé Assurer une éducation pour tous et le droit à l’enregistrement des enfants. Mieux, deux des protagonistes de ce rapport se rendront à Genève, le 19 septembre prochain, dans le cadre de la Journée de Débat général qui a pour thème les droits relatifs à l’éducation des enfants en situation de crise. Il s’agit d’une belle opportunité pour les étudiants Caroline Leprince et Marc Perron, qui ont rédigé le document avec leur collègue Gabrielle Sauvageau, sous la supervision du professeur Bernard Duhaime, directeur de la CIDDHU, et de Me Milton James Fernandez, chargé de cours et membre fondateur de Teachers Without Borders Canada.

«Nous souhaitions intégrer le registre civil comme étant un enjeu important des droits sociaux, économiques et culturels des enfants, explique Me Duhaime à propos du rapport. Lors d’une catastrophe naturelle ou d’une guerre, on assiste souvent à des déplacements de populations et plusieurs enfants se retrouvent dans des camps de réfugiés. Des classes sont mises sur pied, mais il est difficile d’adapter les prestations en matière d’éducation si on ne connaît pas l’âge et le cheminement antérieur des enfants.» Sensibiliser les pays à l’importance de l’enregistrement des enfants a également des répercussions en temps de paix, ajoute Gabrielle Sauveageau, étudiante au baccalauréat en relations internationales et droit international (BRIDI). «Comment les gouvernements peuvent-ils planifier des politiques sociales ou d’éducation s’ils ne connaissent pas le nombre d’enfants dans leur pays? interroge-t-elle. C’est facile d’oublier les enfants qui n’apparaissent pas dans les registres.»

Les difficultés liées à l’enregistrement des enfants sont parfois de nature géographique (certaines populations sont éloignées des grands centres), économique (manque de ressources matérielles et financières pour le faire) ou politique. «Il peut s’agir d’un manque de volonté politique ou de discrimination envers un groupe ethnique», explique Marc Perron, étudiant à la maîtrise en droit. «Ça semble évident de dire que tous les États devraient enregistrer leurs enfants, mais certains y sont récalcitrants, ajoute Me Duhaime. Il ne faut pas oublier que plus d’enregistrements signifie plus de citoyens qui pourront éventuellement voter. C’est une question délicate pour certains gouvernements, même s’ils se disent démocratiques.»

Le rapport soumis par la CIDDHU et Teachers Without Borders fournit divers exemples des meilleures pratiques en matière d’enregistrement civil, entre autres la mise sur pied d’unités mobiles d’enregistrement, qui permettent de rejoindre les communautés isolées. «Il s’agit de véhicules équipés d’ordinateurs reliés par satellite aux bases de données nationales, explique Gabrielle Sauvageau. Ce genre d’intervention a été concluante, notamment en Colombie et dans quelques pays africains.»

Assurer la sécurité des données

«D’importants bailleurs de fonds souhaitent appuyer les États qui veulent créer ou parfaire leur système de registre civil, souligne pour sa part Me Milton James Fernandez. On pourrait même envisager que le Québec puisse partager son savoir-faire en la matière, notamment en ce qui concerne la sauvegarde des informations.» La Direction de l’état civil a été créée en 1994 au Québec.

«La plupart des expériences concluantes d’enregistrement civil préconisent de mettre la documentation sur le Web, avec accès limité et mots de passe, explique Caroline Leprince, étudiante au baccalauréat en relations internationales et droit international. Cela permet d’assurer la pérennité des données, mais surtout de partager l’information rapidement avec les organisations humanitaires en cas de crise.»

Le respect de la vie privée est également un enjeu majeur. «On ne souhaite pas que des informations soient utilisées au détriment de certaines personnes», souligne Bernard Duhaime.

Le directeur de la CIDDHU croit que le rapport soumis a attiré l’attention du Comité des droits de l’enfant parce que l’enregistrement civil n’y est pas présenté comme une mesure de réaction à une situation de crise, mais plutôt comme une proposition qui vise à prévenir ou à minimiser l’impact d’une crise sur l’éducation des enfants. «Il est inutile d’injecter des millions dans des services d’éducation et de santé à travers des organisations de développement international si les États qui reçoivent les sous n’ont pas de registres civils pour identifier les gens et surtout les enfants qui devraient bénéficier de ces services- là, en temps de crise comme en temps de paix», conclut-il.