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Les nouveaux visages de l’itinérance

Par Claude Gauvreau

10 novembre 2008 à 0 h 11

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Marginales, vulnérables et vivant constamment sous le regard des autres, les personnes itinérantes incarnent tout ce qu’on ne veut pas être, tout ce dont on a peur comme individu et comme société. De tels propos résonnent comme un leitmotiv dans les quelque 100 mémoires, dont celui du Collectif de recherche sur l’itinérance, la pauvreté et l’exclusion sociale (CRI), qui ont été soumis, ces dernières semaines, à la Commission parlementaire sur l’itinérance, une première dans l’histoire de l’Assemblée nationale du Québec.

Créé en 1994 et dirigé par la professeure Shirley Roy, du Département de sociologie, le CRI réunit des chercheurs universitaires, des représentants d’organismes publics et des intervenants des milieux institutionnels et communautaires qui viennent en aide aux personnes seules et itinérantes. «Nous travaillons depuis 15 ans à faire sortir l’itinérance de l’ombre, rappelle Mme Roy. Nous partons des préoccupations des intervenants qui sont quotidiennement sur le terrain et croyons que les données de la recherche contribuent à donner une légitimité à leur discours et à leurs actions.»

La chercheuse souhaite que les travaux de la Commission parlementaire contribuent à lancer un débat public sur le problème de l’itinérance et permettent de faire un pas de plus vers sa reconnaissance et sa prise en charge par l’État. Selon elle, les interventions dans ce dossier doivent s’inscrire dans un plan d’action global. «Il faut que le Québec se dote d’une politique en itinérance, afin que l’État coordonne l’ensemble des actions et établisse des priorités.»

De plus en plus d’itinérants

Depuis 1987, Année internationale des sans abri, le phénomène de l’itinérance a pris de l’ampleur au Québec. Selon les dernières statistiques disponibles, Montréal comptait 28 000 itinérants en 1998. Aujourd’hui, tout indique que leur nombre a augmenté. «Malgré des ressources plus nombreuses, les refuges et maisons d’hébergement ont atteint leur capacité maximale, explique Mme Roy. De plus, l’itinérance se manifeste maintenant en dehors des grands centres urbains. Dans les Laurentides, des gens en sont réduits à vivre sous des tentes ou à squatter des motels abandonnés.»

On constate également une diversification des profils et des trajectoires qui conduisent des individus à vivre dans la rue. L’itinérance ne touche plus uniquement des hommes dans la quarantaine, mais de plus en plus de jeunes, de femmes, d’immigrants et d’autochtones. Nombreuses aussi sont les personnes qui deviennent itinérantes à cause de problèmes de santé mentale, de toxicomanie, de violence familiale, et même de dépendance au jeu. «Les jeunes adultes, ballottés depuis l’âge de 12 ans de centre jeunesse en centre d’accueil, se retrouvent seuls à 18 ans, comme si on les larguait sans leur donner de parachute, dit Shirley Roy. Peu préparés à vivre dans une société qui valorise l’autonomie, la performance et la réussite, ils deviennent des proies faciles pour les réseaux de prostitution et de trafiquants de drogues.»

Un phénomène complexe

L’itinérance est un phénomène complexe qui comporte des dimensions structurelles, institutionnelles et individuelles, soutient la professeure. «Une étude de l’OCDE révélait récemment que l’écart entre les riches et les pauvres s’était creusé à Montréal. On observe également une diminution draconienne du parc de maisons de chambre, une augmentation des coûts des loyers, une baisse des montants de prestations d’aide sociale – 500 à 600 $ par mois pour une personne seule! – sans compter les effets pervers de la désinstitutionalisation en milieu psychiatrique.»

Parce qu’il n’y a pas une cause unique à l’itinérance, l’État doit favoriser une diversité de ressources, poursuit Shirley Roy. «Il faut viser plusieurs cibles : accroître le nombre de logements sociaux, rehausser les prestations d’aide sociale, améliorer l’accès aux services en matière de santé mentale et renforcer le soutien aux organismes communautaires, qui sont sous-financés et ne sont jamais assurés de voir leurs subventions renouvelées.»

La chercheuse est convaincue que la plupart des citoyens éprouvent un sentiment d’impuissance, plutôt que d’indifférence, à l’égard des personnes itinérantes. «Nous pouvons nous mobiliser pour elles et avec elles. Si on leur accorde les ressources et le suivi nécessaires, plusieurs parviendront à avoir une prise sur leur existence.»