Lors d’une table ronde tenue récemment à l’UQAM, une minute de silence a été observée à la mémoire du jeune Freddy Villanueva, dont la mort, en août dernier, a été l’élément déclencheur d’une émeute dans le quartier Montréal-Nord. La table ronde, qui rassemblait une centaine de personnes – chercheurs, étudiants et citoyens – était organisée par la professeure Catherine Trudelle, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les conflits socioterritoriaux, en collaboration avec la Chaire de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté (CRIEC).
Selon Frank Remiggi, professeur au Département de géographie, la crise de Montréal-Nord était prévisible. «Depuis plusieurs années déjà, a-t-il rappelé, les autorités publiques disposaient de nombreuses données démontrant l’existence de graves problèmes sociaux et économiques dans le quartier.» À Montréal-Nord, 40 % des 84 000 habitants vivent sous le seuil de la pauvreté, près de la moitié des familles sont monoparentales, et on compte une forte proportion d’immigrants (32 %).
Pour Jean-Claude Icart, coordonnateur de l’Observatoire international sur le racisme et la discrimination, les événements de Montréal-Nord rappellent la nécessité pour le gouvernement du Québec d’accélérer l’application de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, et d’adopter une politique de lutte contre le racisme et la discrimination. «La pauvreté, le chômage et le sentiment d’exclusion aggravent les risques de marginalisation et de délinquance, a déclaré M. Icart. Et l’intensification des contrôles policiers dans un quartier comme Montréal-Nord ne peut qu’exacerber les tensions entre les jeunes et les forces policières.»
On veut passer à l’action
Depuis l’été dernier, les résidants de Montréal-Nord cherchent à comprendre ce qui s’est passé. Une cellule de crise a d’ailleurs été mise sur pied par la Table de quartier intersectorielle de Montréal-Nord, un organisme communautaire animé par Jean-Pierre Beauchamp. Des chantiers sur l’emploi, la santé et l’éducation ont été créés à la suite d’une vingtaine de rencontres de cuisine qui ont réuni 155 personnes. «Il ne s’agit pas de gérer la pauvreté, mais de lutter contre elle, a souligné M. Beauchamp. Les rencontres ont permis de faire le point sur la situation et le message des citoyens était clair : Nous sommes tannés d’être consultés, on veut passer à l’action.»
La mobilisation de la population a déjà commencé, a déclaré Patrice Rodriguez, responsable de Parole d’excluEs, un autre groupe communautaire qui intervient sur le front du logement social, en partenariat avec la Société d’habitation populaire de l’Est de Montréal (SHAPEM) et l’organisme Accorderie, un réseau d’échanges et de services.
Ensemble, ils ont lancé une étude pour comprendre les besoins de la population et fondé un local communautaire sur l’avenue Pelletier, située dans un secteur particulièrement défavorisé de Montréal-Nord. Plus de 300 personnes – jeunes, commerçants et autres résidants – ont été contactés pour dégager des pistes d’action : créer un centre de loisirs pour jeunes, former un comité de quartier, lancer un journal, augmenter le nombre de places dans les services de garde, construire des logements sociaux, renforcer la sécurité, etc. «Il fallait d’abord créer un lieu de prise de parole, car la pauvreté est perçue par les plus démunis comme une maladie honteuse dont ils n’osent pas parler», a expliqué Patrice Rodriguez.
Selon la chercheuse Catherine Trudelle, les conflits peuvent être des vecteurs de changements sociaux et contribuer au processus d’humanisation des villes. «Pour ce faire, il faut rendre accessible à tous l’ensemble des biens et services en visant prioritairement les personnes les plus vulnérables, et renforcer à la fois la démocratie représentative et la démocratie directe.»
Frank Remiggi a conclu la soirée en soulignant que «les problèmes vécus par la population de Montréal-Nord doivent être considérés comme ceux de toute la société québécoise, au même titre que les problèmes des ghettos noirs aux États-Unis et des banlieues parisiennes sont ceux de la société américaine et de la société française.»