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JE dans l’espace public

Par Pierre-Etienne Caza

4 mai 2009 à 0 h 05

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

On ne compte plus, sur le Web, le nombre de petits films dans lesquels tout un chacun se met en scène. Le développement fulgurant des nouvelles technologies de communication – Internet, bien sûr, mais aussi la miniaturisation des caméras vidéos, des appareils photos numériques et des téléphones portables – permet en effet depuis quelques années à des milliers, voire des millions de gens d’échanger de l’information… sur eux-mêmes. Ce constat sera au cœur du colloque intitulé Les techniques de soi à l’ère des technologies d’information et de communication, qui aura lieu les 12 et 13 mai, dans le cadre de l’ACFAS.

«En tant que chercheurs, nous avons le devoir de nous interroger sur notre rapport à ces nouvelles technologies afin d’en saisir les enjeux», affirme Eva Kammer. La doctorante en communication est coresponsable du colloque en compagnie du professeur Charles Perraton, directeur du Département de communication sociale et publique, ainsi que Maude Bonenfant, doctorante en sémiologie et chargée de cours au même département.

Les techniques de soi

«Le terme techniques de soi est emprunté au philosophe français Michel Foucault, explique Eva Kammer. Selon lui, l’homme se transforme dans le temps et à travers les techniques qu’il produit.»

À travers des jeux vidéo, des sites Web, des blogues et des films, les participants du colloque tenteront de déceler si la construction de soi s’effectue dans un rapport critique à soi-même et au monde. «L’existence d’un tel rapport, selon Foucault, indique que l’individu est alors maître de la transformation qui s’opère en lui plutôt que d’en être uniquement la victime», poursuit la jeune chercheuse.

Autrement dit, la réflexion qui guide les chercheurs regroupés pour l’occasion se résume à deux questions. Dans nos sociétés de consommation mass-médiatiques, est-ce que ce sont les technologies qui nous imposent des modes de rencontre où chacun se met en scène? Ou, au contraire, est-ce que ces mises en scène sont des actes de créativité, d’expression de soi qui découlent d’une appropriation de ces technologies?

Les 15 participants de ce colloque sont principalement rattachés au Groupe de recherche Homo Ludens sur la socialisation et la communication dans les jeux vidéos (UQAM) ou au Centre de recherche sur l’intermédialité (Université de Montréal). Outre les organisateurs, on retrouve également, de l’UQAM, la professeure Magda Fusaro, du Département de management et technologie, titulaire de la Chaire UNESCO-BELL en communication et développement international, ainsi que Fabien Dumais, doctorant en communication.

Le récit de soi filmé

Eva Kammer a travaillé pendant 10 ans dans le domaine des communications pour l’Équipe Spectra avant d’effectuer un retour aux études à la maîtrise. Son mémoire – sous la direction de Charles Perraton – s’intitulait Usages et représentations de l’espace public urbain dans le contexte du Festival International de Jazz de Montréal.

Elle poursuit présentement son doctorat, toujours sous la direction du professeur Perraton. Son sujet de thèse est le récit de soi filmé, à partir d’un corpus de quatre films du cinéaste Robert Morin, dans lesquels il se raconte au «je». «Morin a amorcé cette démarche dans les années 1980, mais c’est aujourd’hui que ce genre connaît véritablement du succès, explique-t-elle. On l’observe par exemple avec les films Valse avec Bachir (d’Ari Folman), Persépolis (de Marjane Satrapi) ou Les plages d’Agnès (d’Agnès Varda). On n’est pas dans la fiction ni dans le documentaire, mais plutôt dans l’autobiographie ou l’autofiction.»

La communication qu’elle présente à l’ACFAS porte sur son sujet de thèse, plus spécifiquement sur le film Petit Pow Pow Noël (2004). «C’est un film dur, pénible à regarder, qui met en scène la relation de Robert Morin avec son père malade. Le cinéaste y révèle un rapport critique à lui-même et à la société dans laquelle il vit, c’est-à-dire au système hospitalier, à la société vieillissante, à nos modes de vie, etc. Il a symbolisé tout cela dans sa relation avec son père, marquée par le jeu relation-absence.»

Bref, c’est en observant comment les gens se racontent à travers les nouvelles technologies et quels en sont les impacts sur leur personnalité que ce colloque fera œuvre utile, conclut Eva Kammer.