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La vie est un roman

Par Claude Gauvreau

9 février 2009 à 0 h 02

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

À côté des biographies de gens riches et célèbres, comme Madonna et Gérard Depardieu, les biographies d’écrivains connaissent un essor fulgurant depuis 25 ans. À un point tel que ce type de biographie est devenu un genre littéraire en soi.

«Ce qui relève de la biographie, de l’autobiographie ou de l’autofiction constitue une partie très importante de la production littéraire actuelle», souligne le professeur Robert Dion, du Département d’études littéraires. En collaboration avec des chercheurs de l’Université du Québec à Rimouski, celui-ci a entrepris il y a trois ans une recherche intitulée «Les postures du biographe», portant sur un corpus de plus de 250 titres.

Figure absente de la critique et de la littérature depuis près de deux décennies, l’auteur est redevenu un objet de savoir privilégié, tant pour les universitaires que pour les écrivains, soutient le chercheur. «Dans les années 60-70, les théoriciens littéraires avaient décrété la mort de l’auteur. Le monde et ses structures parlaient à travers l’écrivain, disaient-ils. Depuis, on assiste à un retour au sujet créateur. On a même découvert que les œuvres de Claude Simon, Nathalie Sarraute et Marguerite Duras, écrivains rattachés au courant du nouveau roman – cette littérature dite objective qui effaçait toute trace du sujet – avaient une veine autobiographique importante.»

De «nouvelles biographies»

Robert Dion s’intéresse aux «nouvelles» écritures biographiques qui s’inscrivent en rupture avec les biographies journalistiques ou à l’américaine, chronologiques et fidèles aux faits. «Les nouvelles écritures, précise-t-il, privilégient des récits où le biographe puise à une diversité de méthodes : extrapolation fictive, recours à l’archive brute, projections fantasmatiques, variations de points de vue, etc. Ainsi, le livre Rimbaud le fils de l’écrivain français Pierre Michon a été écrit à partir des rares photos de Rimbaud réunies dans la Bibliothèque de la Pléiade.»

Ce renouvellement du genre biographique est aussi une façon d’entrer en dialogue avec la littérature et de réfléchir sur le processus de création, poursuit Robert Dion. «Au Québec, Victor Lévy-Beaulieu a beaucoup écrit sur des écrivains – Jacques Ferron, Victor Hugo, Herman Melville – dont il admire l’œuvre. Dans son ouvrage sur James Joyce, il se demande comment un petit pays comme l’Irlande a pu produire un écrivain aussi immense, questionnement qu’il transpose au cas du Québec.»

Entre la réalité et la fiction

Depuis quelques années, les biographes ont souvent recours à des stratégies d’écriture qui amalgament l’essai et la fiction, le narratif et le descriptif, le portrait et la critique littéraire, observe le professeur. Des fictions biographiques ou des biographies imaginaires proposent ainsi une interprétation subjective de la vie ou de l’œuvre d’un écrivain. «La vulgate critique reconnaît par exemple deux figures de Rimbaud, celles du jeune poète révolté et de l’aventurier en Abyssinie. Dans Les trois Rimbaud, l’écrivain Dominique Noguez imagine un Rimbaud ayant vécu dans les années 1930, qui aurait épousé l’une des sœurs de l’écrivain catholique Paul Claudel, et qui serait devenu romancier académicien! À travers ce récit imaginaire pointe une critique du discours qui a fait de Rimbaud une sorte d’icône.»

D’autres biographes choisissent de truffer leur récit d’échos stylistiques ou thématiques de l’œuvre du biographé, comme cette biographie de Verlaine ponctuée de vers de six pieds, ou ce journal fictif d’Oscar Wilde qui ressemble à son roman Le portrait de Dorian Gray.

Selon Robert Dion, notre culture est remplie de mises en récit de la vie privée : témoignages, blogues et pages personnelles sur le Web, sans compter les nombreuses émissions de téléréalité. La culture occidentale serait-elle devenue une culture de confession? «Chose certaine, même les vies de personnes anonymes, du passé et du présent, semblent générer un intérêt aussi vif que celles des gens connus, souligne le chercheur. Peut-être que ces vies anonymes, vraies ou fictives, nous renvoient à notre propre trivialité et nous aident à comprendre nos propres histoires.»