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Les gestes pour le dire

Par Pierre Lacerte

20 avril 2009 à 0 h 04

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Si elle avait eu le profil d’une Isabelle Adjani, Claire Heggen avoue d’emblée qu’elle n’aurait jamais pu percer dans son métier. «Dans ma jeunesse, raconte la co-directrice artistique du Théâtre du Mouvement, en région parisienne, j’aurais aimé être ballerine, mais je n’avais vraiment pas la morphologie pour ça.»

Élevée en Afrique du Nord par un père prothésiste dentaire passionné de photo et une mère professeure d’éducation physique, Claire a opté pour l’éducation physique. «Ma mère adorait les arts, mais à son époque, il était impensable pour une femme de monter sur scène. Elle a projeté sur moi son rêve», dit aujourd’hui la femme de 62 ans, sacrée Chevalière des Arts et des Lettres, un hommage du gouvernement français pour sa contribution au rayonnement des arts dans le monde.

Au début des années 1970, Claire Heggen suit l’enseignement des plus grands maîtres du mouvement, dont Étienne Decroux, qui a aussi formé les Jean-Louis Barrault et Marcel Marceau dont Michael Jackson popularisera la «marche contre le vent» avec son Moonwalk des années 1980. À partir de 1975, tout en se produisant sur scène, Claire consacre à son tour une partie de son temps à enseigner son art. «Bon an mal an, je donne plus de 550 heures de stage au Théâtre du Mouvement que j’ai fondé avec Yves Marc.»

L’âme sous toutes ses formes

Ses stages portent sur la notion de théâtralité du mouvement et sur les thématiques de recherche et de création de la compagnie : animalité, musicalité du mouvement, masques corporels, relation corps et objet, la marche humaine, écriture et composition. L’artiste enseigne aussi bien à l’Institut du Théâtre de Barcelone, qu’à la RESAD de Madrid, à l’Akademie for Figurteater Frederikstaad en Norvège, à l’International Workshop Festival de Londres, au Theater Institut d’Amsterdam aux Pays-Bas et à La Mamma, à New York.

À l’UQAM, elle vient de transmettre à une quinzaine d’étudiants qui ont suivi son atelier ce qu’elle appelle une «grammaire» de la relation du corps à l’objet. Puisqu’elle a beaucoup développé l’approche de la manipulation de marionnettes sans fils, Claire Heggen leur a montré comment amener le regard des spectateurs tantôt sur la marionnette, tantôt sur leur propre corps. «Sur la scène, je les amène à utiliser leur corps en place et lieu du castelet [l’équipement qui sert à cacher le marionnettiste] qui n’existe pas dans nos œuvres.»

Faut-il croire les mimes sur parole?

Aujourd’hui, en France, Claire Heggen estime que le travail de mime fait peur. Pour plusieurs, le genre apparait obsolète. Les yeux tristounets au milieu de sa petite bouille de clown attachante, la pantomime déplore que le gouvernement français ait décidé de se porter à la défense de la langue française au détriment de sa pratique artistique. «Puisque la France est moins encline à soutenir notre art à l’étranger, nous sommes contraints de nous concentrer davantage sur l’Europe.»

Pourtant, Claire Heggen soutient que le genre n’est pas resté figé sur l’éternelle image du mime Marceau. «Il y a toutes sortes de mimes. Nous avons développé une touche très moderne, très contemporaine, très physique. Nous jonglons avec une très grande théâtralité du mouvement, les matériaux et le carnavalesque.» Chose certaine, celle qui a eu sa révélation de la scène à huit ans demeure une farouche militante de son travail.

Alors que sa soeur orthophoniste rééduque par la parole, Claire, elle, procède par le silence. Ses instruments de rééducation ont pour noms Les Mutants, Tant que la tête est sur le cou, Instablasix, Bugs, Mutatis Mutandis, Si la Joconde avait des jambes, Le chant perdu des petits riens et Faut-il croire les mimes sur parole? Voilà autant de baumes cicatrisants qu’elle applique généreusement sur les maux de nos sociétés troublées et criantes d’injustices.