Depuis quelques années, le commerce équitable a la cote. Malgré la crise économique, la vente des produits portant le label «équitable» est en pleine augmentation. Mais ce commerce qui se prétend responsable suscite également son lot de critiques, parfois dévastatrices. On accuse le logo «équitable» de n’être qu’un truc de marketing pour vendre deux fois plus cher aux consommateurs du Nord des produits achetés aux producteurs du Sud à un prix à peine plus élevé que celui pratiqué dans les réseaux traditionnels.
«Le commerce équitable se trouve à un point tournant de son existence», affirme Corinne Gendron, professeure au Département de Stratégie, responsabilité sociale et environnementale et titulaire de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, où deux grands projets de recherche, incluant une dizaine de mémoires de maîtrise, ont été menés sur la question.
Ces recherches ont donné lieu, l’an dernier, à la publication d’un ouvrage codirigé par Corinne Gendron, Véronique Bisaillon et Arturo Palma Torres. Quel commerce équitable pour demain? aborde de façon directe les questions qui se posent face aux développements de ce mouvement entré en phase d’institutionnalisation.
«Nos constats sont partagés par les praticiens, assure Corinne Gendron. Nous avons voulu examiner les ambitions de départ de ce mouvement, nous demander si ces ambitions sont réalisées et, sinon, quelles modifications peuvent être apportées pour atteindre les buts fixés.»
Quant on devient une institution qui prétend organiser un mouvement sur le plan mondial, il faut avoir des ancrages pour assurer sa légitimité, poursuit la professeure. «Au fur et à mesure que le mouvement a évolué, la certification, qui était au départ gratuite, est devenue une certification payante, et cela ne s’est pas reflété dans le prix offert aux producteurs», illustre Véronique Bisaillon, qui a elle-même mené des recherches sur le commerce du café.
Alors que la coopération internationale a évolué vers un modèle davantage partenarial, le commerce équitable continue d’être un mouvement au sein duquel le Nord dicte au Sud ce qui est bien pour lui. «Cela change peu à peu, mais ce changement nous paraît lent par rapport à un mouvement qui a toujours brandi l’équité nord-sud comme cheval de bataille», observe Corinne Gendron.
Le livre aborde d’autres questions troublantes. Ainsi, l’engouement des consommateurs du Nord pour le quinoa a amené des communautés de l’Altiplano bolivien à s’orienter vers une production de denrées d’exportation au lieu de cultures vivrières, ce qui soulève des questions de sécurité et de souveraineté alimentaires. On s’interroge également sur la mission d’éducation du consommateur traditionnellement revendiquée par le mouvement équitable quand «équitable» se réduit à un logo apposé sur des produits vendus en grande surface.
En conclusion, l’ouvrage fait 10 propositions pour refonder le commerce équitable. Parmi celles-ci : réformer les institutions internationales du commerce équitable, viser une meilleure répartition Nord-Sud de la valeur ajoutée des produits équitables, et prévoir des exigences pour les acteurs du Nord qui se revendiquent du commerce équitable. Par exemple, on pourrait développer un volet de la certification équitable dédié aux organisations du Nord, qui permettrait de distinguer celles qui agissent selon des principes équitables de celles qui ne font qu’offrir des produits équitables.