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Une guerre juste est-elle possible?

Par Claude Gauvreau

3 mai 2010 à 0 h 05

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Plus de 30 000 personnes seraient mortes en Afghanistan depuis le début de l’intervention armée des forces de l’OTAN, en 2001. Tout conflit meurtrier – Afghanistan, Irak, Kosovo – soulève chaque fois les mêmes interrogations. Peut-on justifier le recours à la force dans les relations internationales ou interethniques? Comment évaluer si une guerre est juste ou non? Barthélémy Courmont, titulaire par intérim de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, considère que l’utilisation de la force militaire est parfois légitime, tandis que son collègue Francis Dupuis-Déri, professeur au Département de science politique et auteur de l’ouvrage L’armée canadienne n’est pas l’armée du salut, conteste le concept de guerre juste.

Ce concept, sans être nouveau, s’est imposé avec la parution, en 1977, de Just and Unjust Wars du philosophe américain Michael Walzer. Celui-ci propose des critères pour déterminer les limites de ce qui est acceptable dans l’usage de la force armée : la juste cause de la guerre (légitime défense, devoir d’ingérence humanitaire), les justes moyens (épargner les civils) et les justes fins (rétablir une paix légitime).

De rares exemples

Dans l’histoire récente des relations internationales, la guerre du Golfe, en 1991, représente l’un des rares exemples de guerre juste, soutient Barthélémy Courmont. «L’Irak avait agressé le Koweït, violant sa souveraineté et son intégrité territoriale. L’ONU a eu raison de mettre sur pied une coalition internationale, dirigée par les États-Unis, pour chasser les troupes irakiennes et permettre au Koweït de recouvrer sa souveraineté.»

Une intervention armée pour mettre fin à un génocide peut aussi être légitime, poursuit le chercheur. «L’invasion du Cambodge par le Viet Nam, en 1979, était clairement une agression. Elle a toutefois contribué à faire cesser les massacres commis par les Khmers rouges.»

Et la guerre en Afghanistan ? «Le régime des talibans opprimait le peuple afghan, a-t-on dit. Mais d’autres peuples, ailleurs dans le monde, subissent également l’oppression sans que cela ne justifie une intervention étrangère, souligne Barthélémy Courmont. Les arguments invoqués aujourd’hui par Barack Obama sont les mêmes que ceux de George W. Bush en 2001. On fait la guerre pour traquer Al-Qaïda et pour neutraliser les talibans.» Même si les motifs n’étaient pas justes au départ, la présence des forces de l’OTAN demeure cependant nécessaire, croit le professeur. «En se retirant maintenant, l’OTAN risquerait de plonger l’Afghanistan dans une situation encore plus chaotique. Le Canada et d’autres pays doivent contribuer à la formation de l’armée afghane, comme les Américains l’ont fait en Irak.»

Barthélémy Courmont reconnaît que la théorie de la guerre juste est de plus en plus difficile à appliquer depuis la fin de la guerre froide, en raison de la croissance des conflits intra-étatiques – guerres civiles, conflits inter-ethniques – qui sortent du cadre classique des guerres entre États.

Un spectre de légitimité

Si on applique tous les critères de la théorie de la guerre juste, aucune guerre ne peut être considérée comme totalement juste, affirme Francis Dupuis-Déri. «Pendant la Seconde Guerre mondiale, conflit qualifié de juste par la plupart des historiens, les États-Unis n’ont pas épargné les populations civiles en larguant deux bombes atomiques sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki, sans compter les bombes incendiaires sur les villes allemandes. Il faut plutôt réfléchir à un spectre de légitimité, encadré par deux pôles, où les guerres seraient réparties de la plus juste à la moins juste.»

Dans le cas de la guerre du Golfe, Francis Dupuis-Déri estime que les États-Unis étaient davantage animés par des intérêts géostratégiques et une volonté de puissance que par un esprit de justice. Et, souligne-t-il, toute violation de souveraineté n’entraîne pas automatiquement une riposte internationale. «Quand les Américains ont envahi l’île de la Grenade en 1983 et quand Israël a attaqué le Liban en 2006, aucune coalition internationale n’est intervenue pour défendre ces pays souverains.»

Plutôt favorable au devoir d’ingérence humanitaire pour éviter un génocide, le politologue croit toutefois qu’il faut toujours se demander si l’envoi de troupes étrangères aura pour effet de minimiser le nombre de victimes ou, au contraire, d’aggraver la situation.

En ce qui concerne l’Afghanistan, Francis Dupuis-Déri prône le retrait immédiat des troupes étrangères, dont la présence, dit-il, alimente la rébellion. «Jamais les gouvernements des pays de l’OTAN n’investiront dans l’aide humanitaire des dizaines de milliards de dollars comme ils l’ont fait pour la guerre. Or, seules les ONG humanitaires peuvent aider le peuple afghan.»

Malgré leurs divergences, Barhélémy Courmont et Francis Dupuis-Déri s’entendent sur une chose. Au lieu de consacrer leurs énergies à raffiner le concept de guerre juste, les chercheurs, disent-ils, devraient s’employer à développer une théorie de la guerre injuste.