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Plaidoyer pour la culture générale

La démocratie a besoin de citoyens cultivés, affirme Normand Baillargeon dans un essai récent.

Par Claude Gauvreau

14 novembre 2011 à 0 h 11

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Qu’est-ce que la culture générale? Quelle importance devons-nous lui accorder? Quels sont les repères culturels que tous devraient connaître? Dans un petit essai touffu, intitulé Liliane est au lycée (Flammarion), Normand Baillargeon, professeur au Département d’éducation et pédagogie, fait l’examen critique de l’idée de culture générale, de sa nature, de ses usages et de ses fonctions.

Ce spécialiste de la philosophie de l’éducation propose une définition de ce qui pourrait ressembler à une véritable culture générale. «Celle-ci ne peut d’abord ignorer les contributions des femmes, les apports des civilisations autres qu’occidentale et ceux de la culture populaire de haut niveau. Elle devrait comprendre un ensemble de connaissances de base, puisées dans l’éventail le plus large possible des formes du savoir : mathématiques, sciences physiques, sciences humaines, histoire, beaux-arts et littérature, philosophie et morale.»

Normand Baillargeon critique notre conception étroite de la culture générale qui limite celle-ci à une culture littéraire et humaniste. Une culture générale digne de ce nom doit aussi être scientifique, souligne-t-il. «La compréhension de la démarche scientifique, de ses grands principes et méthodes, est fondamentale. Les sciences et la technologie sont et seront au cœur de la plupart des enjeux et défis du futur – énergie nucléaire, énergies fossiles, cellules souches, etc. Aux États-Unis, c’est à une population scientifiquement illettrée que l’on a réussi à faire croire que le réchauffement climatique était le fruit d’un complot orchestré par des scientifiques en mal de financement.»

Le chercheur accorde également une importance particulière à la philosophie. «Cette discipline nous met en contact avec une riche tradition de réflexion sur des problèmes de nature conceptuelle – justice, égalité, liberté, vérité – ayant une grande importance pour l’humanité et comportant des enjeux intellectuels, moraux et pratiques élevés.»

Des vertus essentielles

Tout le monde admettra qu’il est impossible d’acquérir une culture générale exhaustive, que les lacunes de chacun et chacune en la matière sont inévitables. Cela dit, le fait d’avoir un solide bagage de connaissances comporte des vertus essentielles. «La culture générale transforme profondément la personne qui la possède en enrichissant sa connaissance du monde et le vocabulaire dont elle dispose pour le décrire, souligne Normand Baillargeon. L’élargissement des perspectives que procure la culture générale nous libère de l’ici et du maintenant, nous amène à reconnaître la fragilité et la faillibilité de notre savoir, à rester humble devant l’étendue de l’expérience humaine et à adopter une attitude critique permettant de cultiver le doute à l’égard de ce qui est donné pour vrai et établi.»

La culture générale fournit enfin des outils pour participer à la conversation démocratique dans la société, note le professeur. «Des individus cultivés sont informés des questions débattues dans l’espace public ou soucieux de l’être quand ils ne le sont pas. Ils sont à l’écoute des autres points de vue et sont capables de prendre simultanément en compte les dimensions historiques, économiques, politiques et sociales des problèmes qui surgissent. Beaucoup de citoyens n’auraient pas pu s’approprier le dossier du gaz de schiste sans un certain nombre de repères – scientifiques, économiques et sociaux – que fournit la culture générale.»

Mettre des livres partout

On acquiert une culture générale durant sa scolarité et on l’affine ensuite le reste de sa vie. Malheureusement, l’école québécoise actuelle valorise peu la culture générale et la réforme scolaire ne favorise guère l’acquisition d’un riche bagage de connaissances, affirme Normand Baillargeon. «Du primaire jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, l’école devrait transmettre de manière systématique les divers contenus de la culture générale, sans lesquels il n’y a pas de pensée critique et créatrice.»

Les être humains, même les plus cultivés et éduqués, sont-ils déterminés à faire un bon usage de leur savoir? Devant les horreurs des XXe et XXIe siècles – guerres, génocides, terrorisme – il peut sembler frivole de parler de culture générale, admet Normand Baillargeon. «La culture et l’éducation ne sont pas une panacée, mais nous n’avons que ces seules armes à opposer au désastre, dit-il. La culture, le savoir, l’éducation peuvent donner des idées de liberté, de changement et, surtout, le courage de lutter pour elles. Comme l’écrivait Victor Hugo : Qui que vous soyez qui voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaiser… mettez des livres partout