Voir plus
Voir moins

Métier : designer

Innovation, efficacité et séduction. Voilà les trois ingrédients d’un design réussi, ce qui fait qu’on craque pour un bel objet, qu’il s’agisse d’une voiture, d’une chaussure de sport ou d’une sonnette à vélo!

Par Marie-Claude Bourdon

20 avril 2012 à 0 h 04

Mis à jour le 28 août 2018 à 11 h 08

Au printemps dernier, la sprinteuse Kimberly Hyacinthe, étoile montant en athlétisme au Canada et étudiante en gestion et design de la mode, a été invitée à se rendre à Portland, en Oregon, pour tester une version de la toute dernière chaussure mise au point par Adidas. Cette petite merveille de moins de 100 grammes, l’Adizero Prime, que chaussent les champions Jessica Ennis et Tyson Gay, a été conçue sous la supervision de Michel Lussier (B.A. design de l’environnement, 83), directeur des projets d’innovation chez Adidas.

Ce diplômé de l’UQAM, qui a travaillé pour la compagnie d’équipements de sport canadienne CCM avant de s’exiler en Oregon, est aussi à l’origine de la «chaussure qui tourne à gauche», portée par Jeremy Wariner lors des Jeux de Beijing en 2008. Ce soulier de course asymétrique, conçu pour gagner quelques milliers de seconde dans les courbes, a permis à l’athlète de remporter l’argent au 400 mètres et l’or au relais 4 x 400 mètres. «J’avais observé que c’était dans la courbe qui précède la ligne droite que Wariner fournissait l’effort décisif», dit le designer, qui en est arrivé à l’idée d’une chaussure asymétrique après des heures de visionnement de l’athlète en action.

Michel Lussier n’avait aucune idée de ce qu’était le design industriel avant qu’un orienteur ne lui suggère cette option, après un D.E.C. en sciences pures. «J’ai aimé l’idée que c’était un peu comme l’architecture du produit», dit celui qui a choisi le baccalauréat en design de l’environnement de l’UQAM en raison de «son approche européenne inspirée notamment de l’école du Bauhaus».

Touchant à la fois l’objet et son environnement, le programme de l’UQAM (qui aura, dès l’automne prochain, une suite à la maîtrise) forme des designers oeuvrant dans toutes les sphères du design industriel. Aujourd’hui responsable du design intérieur des grandes voitures chez Volvo, à Göteborg, en Suède, Simon Lamarre (B.A. design de l’environnement, 90) est un autre produit de l’École de design. En 2007, c’est d’ailleurs aux étudiants et professeurs de son alma mater qu’il avait présenté en primeur son «bébé», la Volvo C30, dont il a signé le design extérieur. Cette compacte de luxe, inspirée de la célèbre P1800 conduite par Simon Templar dans la série britannique The Saint, allait être l’une des attractions du Salon de l’auto de Montréal cette année-là.

Entré chez Volvo comme maquettiste, après un passage chez Saab, le jeune designer québécois (attiré en Suède par une grande blonde aux yeux verts!) avait remporté le concours interne de Volvo pour concevoir le design de la nouvelle voiture. «Aux yeux des étudiants, les designers automobiles passent pour des stars du rock’n roll, avait-il écrit à l’époque dans son blogue. Je leur ai dit que le design de voitures consiste autant, sinon plus, à vendre ses idées qu’à faire de jolis dessins. Pour chaque esquisse, on doit passer des heures en présentations et en négociations!» Mais quelle satisfaction quand le concept se retrouve sur la ligne de montage! Mystérieux, le designer annonce qu’il est impliqué dans le lancement prochain d’une nouvelle Volvo. Mais, secret industriel oblige, il n’en dira pas plus!

C’est aussi à l’issue d’un concours interne que Denys Lapointe (B.A. design de l’environnement, 85) a été choisi pour créer le look de la motomarine de Bombardier à la fin des années 1980. Un immense succès commercial qui l’a propulsé à sa position actuelle de vice-président, design et innovation, chez Bombardier produits récréatifs (BPR).

Une philosophie du design

«Nous avons développé avec la motomarine une philosophie du design que la direction nous a ensuite demandé d’appliquer aux autres produits récréatifs», relate le designer. Cette philosophie, qui mise sur la conception de produits hautement innovateurs, a entre autres permis au Centre de design et d’innovation qu’il dirige de développer la plateforme de la motoneige REV : ce bolide, conduit par James Bond dans le film Meurs un autre jour, a permis à BPR, au début des années 2000, de reconquérir sa première place dans le marché de la motoneige.

Fils d’Anselme Lapointe, le célèbre dessinateur du Ski-Doo, Denys Lapointe raconte qu’il a d’abord travaillé sous la gouverne de son papa avant de devenir son patron! «J’ai beaucoup appris de mon père, dit-il. Mais ma philosophie a aussi été influencée par quelques professeurs marquants, dont Koen de Winter, de l’École de design. Quand nous allions le voir pour lui poser des questions, nous étions frustrés qu’il nous réponde toujours par d’autres questions. Mais c’était très formateur.»

Sa philosophie du design tient essentiellement dans trois mots clés, révèle Denys Lapointe. «Premièrement, l’innovation : le design de l’objet doit amener un changement de paradigme. La REV a d’ailleurs été entièrement développée à partir d’une page blanche. Deuxièmement, la fonctionnalité : une grande importance doit être accordée à l’ergonomie du produit, lequel doit receler des surprises agréables que l’utilisateur découvre au fil de son utilisation. Troisièmement, l’élément Wow! Le produit doit générer une émotion chez l’utilisateur.»

Simon Lamarre est d’accord : «Il est très difficile d’expliquer ce qu’est un bon design, dit-il. C’est quelque chose que l’on ressent immédiatement quand on le voit et qui se confirme à l’utilisation. Car un bon design améliore la vie de la personne qui utilise le produit.»

Entre ingénierie et marketing

Un designer doit se préoccuper de la technique et travailler main dans la main avec les ingénieurs qui participent à la conception de ses produits, observe Michel Lussier. «Quand une bonne idée émerge des travaux de mon équipe, je dois m’assurer que nous avons la technologie pour la réaliser, sinon m’arranger pour la trouver.» Mais un designer doit aussi épouser les vues de ses collègues du marketing. «Nous cherchons à créer une histoire autour de chaque produit que nous mettons sur le marché pour que le client connecte vraiment avec ce produit, confie le designer d’Adidas. Connaître son client et comprendre le marketing est très important.»

Mais attention, prévient Michel Lussier, cela ne se résume pas à tenir des groupes de discussion pour déterminer les désirs du consommateur. «Il faut de l’empathie, dit-il, car les besoins de l’utilisateur, il faut les sentir, les deviner. Le consommateur ne sait pas ce qu’il veut avant qu’on ne le lui présente!»

Annie Legroulx (B.A. design de l’environnement, 99) a ouvert dans le Plateau Mont-Royal une petite entreprise, Dringdring, qui vend des sonnettes à vélo dans plus de cinquante pays à travers le monde. Présentées dans des emballages qui leur donnent des allures de bonbons ou de fleurs, ses sonnettes aux couleurs vives, recouvertes de motifs peints à la main, sont en fait de banales sonnettes en métal fabriquées en Chine qu’elle transforme dans son atelier. «J’ai pris un objet qui existait déjà et je l’ai réinventé. Est-ce du design industriel? Pas vraiment, mais c’est de la créativité», commente la jeune femme, qui a conçu sa première sonnette pour son propre usage, n’en ayant trouvé aucune à son goût sur le marché. Son entreprise est née du fait que les gens l’arrêtaient dans la rue pour lui demander où elle avait acheté sa sonnette à vélo!

«Il ne faut jamais négliger une idée qui a l’air trop simple, poursuit-elle. Un bon design, c’est simple, efficace, ça parle aux gens.» Aujourd’hui, la plupart des sonnettes Dringdring sont fabriquées sous licence, en Inde, selon ses instructions, et vendues par un distributeur américain, Kikkerland, que la jeune designer a soigneusement choisi et qui en a écoulé 40 000 dès la première année! DringDring vend aussi des éditions sur mesure de ses sonnettes dans des boutiques de musée, comme celle du New Museum de New York, et chez Poketo, une entreprise d’objets de design de Los Angeles. «Le timing d’un produit est primordial, souligne la designer pour expliquer son succès. L’usage du vélo en ville a explosé au cours des dernières années. C’était le moment parfait pour introduire un accessoire de vélo destiné à une clientèle urbaine et branchée.»

Préoccupations environnementales

Dans le domaine du produit cadeau – une niche importante pour Dringdring –, impossible de négliger l’emballage. «Au départ, mes sonnettes n’étaient pas emballées, raconte Annie Legroulx. J’avais conçu un produit associé à un mode de transport écologique, décoré avec des peintures écologiques et je ne voyais pas pourquoi je le mettrais dans un emballage qui se retrouverait à la poubelle!» L’un de ses clients, propriétaire d’une boutique de cadeaux, l’a toutefois convaincue de la pertinence d’un beau packaging pour un produit souvent acheté pour être offert. À ce problème, elle a trouvé une solution très design : des emballages aussi originaux que séduisants, qui sont devenus partie intégrante de sa marque de commerce!

Claudia Croteau (B.A. design de l’environnement, 07) est une autre designer qui a à cœur la protection de l’environnement. Ses meubles de jardin en béton, récompensés au Salon international de design d’intérieur de Montréal (SIDIM) en 2010, sont faits pour durer. «Nous utilisons un béton d’excellente qualité, qui résiste très bien au gel/dégel et qui comporte moins de matière que le béton conventionnel», explique la jeune femme. M3béton, l’entreprise qu’elle a fondée avec son frère, fabrique aussi des manteaux de cheminée, des bases de douche, des comptoirs de cuisine et a même exécuté des pièces de mobilier pour les boutiques Yves Saint-Laurent aux États-Unis. À la fois designers et artisans, le frère et la sœur collaborent également avec des artistes : c’est à eux que Michel de Broin (M.A. arts plastiques, 97) a fait appel pour couler le monument dédié à Salvador Allende qu’il a conçu pour le parc Jean-Drapeau. Quel que soit le client, la matière est au centre de leur travail.

«Un bon design nous oblige à respecter la matière et à exploiter ses propriétés, précise Claudia Croteau. Au lieu d’imiter ce qui a déjà été fait, il nous amène à innover en considérant toutes les étapes de la fabrication. Quand nous concevons un produit, nous pensons non seulement à son esthétique pour le consommateur, mais aussi aux conditions de travail de ceux qui vont le fabriquer, à ceux qui vont devoir le transporter – il ne doit pas être trop lourd – ou l’installer… S’il s’agit d’une base de douche, elle doit pouvoir se raccorder facilement à la tuyauterie!»

Selon une étude menée par André Desrosiers, professeur à l’École de design, les designers créent des entreprises manufacturières dont le taux de survie dépasse, de loin, celui de la moyenne des autres fabricants. Pourquoi? «En raison de leur savoir-faire et de leur capacité à offrir un produit qui répond adéquatement aux besoins des gens, répond le professeur, qui a lui-même été un entrepreneur à succès pendant près de 15 ans. Mais aussi, probablement, parce qu’ils investissent dans des domaines qui les passionnent!»