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Archéologue du littéraire

Les recherches de Bernard Andrès ont permis de mettre au jour des pans oubliés de la littérature canadienne-française.

Par Valérie Martin

18 novembre 2013 à 16 h 11

Mis à jour le 7 juin 2022 à 12 h 15

Bernard Andrès Photo: Jean-François Hamelin

Spécialiste des lettres québécoises, Bernard Andrès, vient de recevoir le titre de professeur émérite du Département d’études littéraires. Intitulé Archéologie du littéraire au Québec (ALAQ) et subventionné par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), son grand projet de recherche, qui s’échelonne sur près de 25 ans, porte sur les premiers écrits publiés en Nouvelle-France aux 17e et 18e siècles, une période de l’histoire qui n’avait jamais été analysée auparavant d’un point de vue littéraire.

«Ce sont des historiens qui se sont d’abord penchés sur ces textes, relate le professeur, détenteur d’un doctorat en lettres modernes de l’Université de la Sorbonne. Il s’agit «de textes épistolaires ou pré-littéraires (poésies, chansons, textes publiés dans des journaux, etc.) destinés à la population canadienne de l’époque; des textes forts différents de ceux rédigés auparavant par des missionnaires ou des administrateurs dans le but de renseigner la France sur le quotidien de la colonie.»

Les recherches du professeur ont apporté une relecture originale de l’histoire et permis de dévoiler des passages oubliés ou cachés de l’histoire des Canadiens. «Déjà, au 18e siècle, les Canadiens (francophones) avaient une culture à part, largement influencée par les Autochtones; des manières de vivre totalement distinctes de celles des Français. Ils avaient une identité collective très forte», souligne le professeur.

Bernard Andrès a colligé de larges pans de ce travail dans un essai intitulé Histoires littéraires des Canadiens au XVIIIe siècle (Presses de l’Université Laval), qui a remporté le prix Gabrielle-Roy en 2012. La prestigieuse bourse de recherche Killam du Conseil des Arts du Canada, qu’il a remportée en 2004, lui a permis de se consacrer durant deux ans à la recherche et à la préparation de l’ouvrage.

Le professeur, qui enseigne à l’UQAM depuis 1975, a occupé différentes tâches de direction, dont celle de directeur du module d’études littéraires (1978-1980) et de directeur des programmes d’études avancées (1986-1988), tout en contribuant à l’implantation du doctorat en sémiologie et à la création de centres de recherche, dont le Centre d’études et de recherches sur le Brésil/CERB, en 2001, qu’il a dirigé pendant les trois premières années. Ce centre multidisciplinaire est reconnu aujourd’hui comme le centre d’expertise universitaire sur le Brésil. En reconnaissance de son engagement dans les échanges Québec-Brésil, Bernard Andrès a été reçu, en 2003, officier de l’Ordre national brésilien (Croix du Sud). «Bien des chercheurs travaillent en vase clos, remarque Bernard Andrès. J’ai eu la chance à l’UQAM de travailler en interdisciplinarité avec des chercheurs provenant de plusieurs disciplines, comme l’histoire, et d’ouvrir mon champ de recherche.»

Membre de la Société royale du Canada, de l’Union des écrivains du Québec et de l’Association internationale d’études québécoises, Bernard Andrès a publié quelques romans et nouvelles, mais est surtout reconnu pour ses essais, ses recherches et ses critiques. Il a signé plusieurs chapitres de livres dans des collectifs, des articles de fond dans des revues savantes et près de 150 chroniques et recensions d’ouvrages dans des magazines universitaires et des revues littéraires et culturelles, tout en prononçant près de 200 conférences aux quatre coins du monde. Plus récemment, il a collaboré à l’ouvrage Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec sous la direction de Daniel Baril et d’Yvan Lamonde. «Cela fait partie de mon implication citoyenne dans les débats entourant la Charte des valeurs québécoises, dit le professeur. Ma contribution retrace les origines de la laïcité au Québec, qui remontent au 18e siècle.»

Depuis 2008, Bernard Andrès dirige la collection «L’archive littéraire au Québec» des Presses de l’Université Laval, qui s’intéresse au statut de l’archive et aux sources de la littérature et de la critique québécoises. «L’histoire peut nous aider à mieux comprendre l’actualité et nourrir nos réflexions sur le Québec et le Canada d’aujourd’hui», croit le professeur. Bernard Andrès travaille actuellement sur le dernier volet de la recherche Archéologie du littéraire au Québec, dédié aux premiers «humoristes» canadiens-français, du XVIIe au XIXe siècle. «On a toujours vu la Nouvelle-France comme une colonie pieuse et soumise. Or, les Canadiens de l’époque étaient plutôt joyeux, aimaient rire, danser, chanter, avance le professeur. Ils avaient un goût pour la parodie et le sarcasme. L’humour avait une fonction sociale et n’était pas sans risque: on pouvait se faire jeter en prison pour ses discours humoristiques.»