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Un homme de chœur 

Sous la direction de Miklós Takács, le Chœur  de l’UQAM s’est produit sur quelques-unes des scènes les plus prestigieuses du monde.

Par Claude Gauvreau

15 avril 2013 à 0 h 04

Mis à jour le 4 avril 2019 à 14 h 04

Série Cinquante ans d’histoire
L’UQAM, qui célèbre son 50e anniversaire en 2019-2020, a déjà beaucoup d’histoires à raconter. La plupart des textes de cette série ont été originalement publiés de 2006 à 2017 dans le magazine Inter. Des notes de mise à jour ont été ajoutées à l’occasion de leur rediffusion dans le cadre du cinquantième.

Le chef Miklós Takács en 1992.Photo: Service des archives/UQAM

Il a 80 ans, mais on lui en donnerait 15 de moins [le professeur est décédé en 2015]. Chaque matin, il avale quelques longueurs de piscine en écoutant du Wagner. «Il n’y a rien de tel que commencer la journée au son de sa musique préférée», lance en riant Miklós Takács. Professeur associé au Département de musique, celui-ci dirige depuis 35 ans le Chœur de l’UQAM, cette formation que le journal français Le Monde a déjà qualifiée de «chœur puissant, superbe et spectaculaire». Depuis sa création, en 1978, le Chœur de l’UQAM a donné plus de 140 concerts, contribuant au rayonnement de l’Université sur la scène musicale d’ici et d’ailleurs [le Chœur poursuit ses activités depuis 2014 sous la direction du chef Pascal Côté (B.Mus., 2000), ancien étudiant et assistant de Miklós Takács].

Inscrit dans la tradition des ensembles vocaux affiliés à un établissement d’enseignement, le chœur est formé d’employés, de professeurs et d’étudiants, mais aussi de musiciens amateurs et de mélomanes de la région montréalaise. Il réunit aujourd’hui quelque 140 choristes provenant de tous les horizons [160 en 2019]. Professeur au Département de mathématiques et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en algèbre combinatoire et informatique mathématique, Christophe Reutenauer est membre du chœur depuis presque [plus de] 20 ans. Pour lui, la musique et les mathématiques ont deux choses en commun : la complexité et la beauté. «Si un mathématicien veut résoudre un problème, il doit y consacrer du temps et de la concentration. Comme un musicien, il faut faire ses gammes!»

De Notre-Dame de Paris à Carnegie Hall

Le Chœur de l’UQAM est le seul chœur amateur au Canada à s’être produit sur la scène du célèbre Carnegie Hall.Photo: Choeur de l’UQAM

Plusieurs grands moments ont marqué les 35 ans d’existence du chœur, notamment son interprétation du Requiem de Verdi devant 3 000 personnes à l’église Saint-Jean-Baptiste de Montréal, en 1985. «Claude Gingras, critique musical au journal La Presse, réputé pour avoir la dent dure, avait écrit que ce Requiem avait fait trembler les murs», rappelle Ho-thuy Vo (B.Sp. économique, 75), directrice de production du chœur. Difficile également de passer sous silence la tournée européenne de 1988, qui a conduit l’ensemble à présenter des concerts à la cathédrale Notre-Dame de Paris et à celle de Salzbourg, en Autriche, sans compter ses prestations, dans les années 90, au mythique Carnegie Hall de New York. «Chanter au Carnegie Hall a été un immense frisson, un moment de grand emballement», dit Maryse Lavallée (B.A. psychosociologie de la communication, 85), qui a joint les rangs du chœur en 1989. «Nous sommes tout de même le seul chœur amateur au Canada à avoir offert cinq concerts sur cette scène prestigieuse», ajoute avec fierté Ho-thuy Vo [le Chœur s’est produit une fois de plus au Carnegie Hall en 2017].

Selon une tradition bien établie, le chœur présente chaque année au moins deux grands concerts, celui de Noël, avec piano et solistes professionnels, et celui du Vendredi saint, avec orchestre. «Pour le spectacle du Vendredi saint, les répétitions commencent dès septembre, précise Ho-thuy Vo. Au début, on a le sentiment qu’on n’y arrivera jamais. Mais plus la date du concert approche, plus la confiance grandit. Puis, le miracle survient.»

Pour faire partie du chœur, il n’est pas obligatoire de savoir lire la musique, ni d’avoir une expérience du chant. Le défi pour son directeur consiste toutefois à maintenir l’équilibre et la cohésion entre les choristes ayant déjà une formation musicale et ceux qui partent de plus loin. «Quelqu’un qui possède une belle voix et une oreille musicale peut se débrouiller», explique la choriste Claire Lefebvre, professeure au Département de musique [aujourd’hui retraitée]. «Nous sommes tous des amateurs bénévoles, poursuit Christophe Reutenauer. Auparavant, Miklós avait l’habitude de nous remettre des cassettes audio de travail, puis des CD. Aujourd’hui, on trouve facilement sur Internet des enregistrements d’œuvres classiques et des sites de chorales qui permettent de répéter.»

Répertoire avec orchestre

Né en Hongrie, où il a étudié et enseigné la musique, Miklós Takács est embauché par l’UQAM peu après son arrivée au Québec, en 1973. Cinq ans plus tard, sœur Marcelle Corneille, directrice à l’époque du module de musique, décide de fonder un chœur et de lui en confier la direction. Le professeur opte rapidement pour un répertoire avec orchestre. «J’ai eu l’idée farfelue de ressusciter la Société philarmonique de Montréal qui avait été, de 1875 à 1899, la première institution canadienne regroupant chœur et orchestre», se souvient Miklós Takács.

Le Chœur de l’UQAM lors de sa prestation à la cathédrale de Salzbourg en 1988.Photo: Service des archives/UQAM

Créée en 1982, la nouvelle mouture de la Société philarmonique de Montréal, dont Miklós Takács est à la fois directeur général et musical, est devenue depuis le principal partenaire du Chœur de l’UQAM et son diffuseur officiel. Son orchestre, formé de pigistes professionnels, dont certains jouent dans l’Orchestre symphonique de Montréal, accompagne le chœur dans la plupart de ses concerts. «Pour pouvoir s’offrir le luxe d’interpréter des œuvres de grande envergure, écrites pour chœur, solistes et orchestre, il nous fallait l’appui d’une institution comme la Société», note le musicien.

Même s’il a surtout interprété des œuvres sacrées – les requiems de Mozart et de Verdi, entre autres – la musique profane n’est pas exclue du répertoire du Chœur de l’UQAM, ni les œuvres modernes et contemporaines, comme Carmina Burana, de Carl Orff.

 «Camarade Takács»

Après ses premières années de formation en Hongrie, Miklós Takács a également fait des études de composition, de direction et de musicologie à Paris. «Pour m’inscrire à l’Institut de musicologie de la Sorbonne, je devais subir un examen d’admission. Quand j’ai cité les noms des maîtres qui m’avaient enseigné – Zoltán Kodály et Nadia Boulanger –, on m’a dit : Ça va, vous n’aurez pas à passer d’examen», raconte le maestro. Celui-ci fonde par la suite l’Orchestre de chambre baroque de Budapest et enseigne au Conservatoire Béla-Bartok, où il rencontre sœur Marcelle Corneille, qui l’invite à venir enseigner à l’UQAM. «À cette époque, le régime socialiste en Hongrie autorisait rarement ses citoyens à quitter le pays. Dans mon cas, le gouvernement avait accepté à la condition que je continue de verser des impôts. Cinq ans après mon arrivée au Québec, j’ai reçu une lettre brutale disant : Camarade Takács, vous devez rentrer au bercail. Refusant d’obtempérer,  j’ai été considéré persona non grata pendant quelques années. Puis, j’ai pu retourner en Hongrie après la libéralisation du régime.»

La réputation de Miklós Takács dépasse les frontières du Québec et du Canada. Régulièrement invité à diriger des orchestres et des chœurs à l’étranger, il a aussi participé à la création d’œuvres de compositeurs québécois et a contribué au rayonnement de musiciens canadiens à l’extérieur du pays. Lauréat de la Médaille du Gouverneur général du Canada et du prix Pro Cultura Hungarica de la République de Hongrie en 1993, le professeur a aussi reçu, en 2006, un certificat d’honneur de la Ville de Montréal pour «sa contribution exceptionnelle à la promotion de la vie artistique de la métropole sur la scène internationale». Plus récemment, l’International Kodaly Society, qui compte dans ses rangs des musiciens aussi renommés que Pierre Boulez et Jean-Claude Casadesus, lui a décerné le titre de membre honoraire pour sa contribution unique à la musique et à l’éducation musicale.

«Miklós est un chef très charismatique, style Karajan, observe Christophe Reutenauer. L’exécution technique l’intéresse moins que la beauté de l’interprétation.» Maryse Lavallée souligne sa ténacité et son caractère stimulant. «Il aime les défis, dit-elle. L’an dernier, il nous a fait interpréter la Missa Solemnis de Beethoven, une des pièces les plus complexes du répertoire classique. Sous sa direction, j’ai découvert les œuvres d’une trentaine de compositeurs de styles différents et j’ai appris à lire et à goûter la musique. Si le chœur existe depuis si longtemps et si certains de ses membres sont encore là après 20 ou 25 ans, c’est beaucoup grâce à lui.» Étudiante au doctorat en études et pratiques des arts, Anna Kerekes, 26 ans, est l’une des plus jeunes membres du chœur [elle l’a quitté depuis]. D’origine hongroise comme son chef, elle est frappée par les qualités de pédagogue de Miklós Takács. «Il situe chaque œuvre dans son contexte historique et nous aide à réfléchir sur la musique. Rendre l’esprit et l’émotion d’une œuvre est ce qui lui importe le plus.»

Le chœur a joué beaucoup plus qu’un rôle d’ambassadeur pour l’UQAM, soutient Miklós Takács. «Il a aussi fait œuvre d’éducation populaire en assurant la formation de ses membres et en contribuant à l’éveil musical du grand public.»

«Les chœurs vieillissent généralement avec leur chef, note Christophe Reutenauer. Mais Miklós a réussi dernièrement à trouver de jeunes recrues, notamment parmi les étudiants.» Une autre preuve de son étonnante jeunesse.

Source:

INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 11, no 1, printemps 2013.