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L’art de résister

La doctorante Hanieh Ziaei, du Département de sociologie, s’intéresse aux artistes iraniens.

Par Valérie Martin

3 février 2014 à 10 h 02

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

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«Forbidden Song», caricature de Mana Neyestani, publiée le 18 novembre 2011 sur le site Web radiozamaneh.com. 

Créer quand on vit en Iran, un pays reconnu pour son régime autoritaire et théocratique, relève souvent de la haute voltige. Une œuvre jugée osée ou dérangeante pourra vite être l’objet de censure et parfois même se solder par l’emprisonnement de son auteur. «Être artiste en Iran, c’est de la subversion», avait déclaré l’actrice Golshifteh Farahani, interdite de séjour dans son pays pour avoir participé au film américain Body of Lies du réalisateur Ridley Scott.

La doctorante Hanieh Ziaei, du Département de sociologie, s’intéresse à l’engagement des artistes iraniens et aux différents moyens qu’ils utilisent pour faire diffuser leur travail malgré les contraintes imposées par le régime. Pour les besoins de sa thèse, effectuée sous la direction du professeur Louis Jacob, en cotutelle avec l’Université Paris-Diderot (Paris XVII), la chercheuse a suivi le travail d’une quarantaine d’artistes iraniens vivant à Paris et d’une dizaine en Iran. «Ceux qui vivent à Paris ne sont pas nécessairement en exil. Certains quittent le pays une année ou deux pour une résidence d’artiste, en profitent pour exposer leurs œuvres et faire connaître leur travail à l’étranger avant de rentrer; d’autres choisiront de rester», explique la doctorante, elle-même d’origine iranienne. À Montréal, elle compte suivre une vingtaine d’artistes.

Des artistes engagés

La plupart des créateurs interrogés par Hanieh Ziaei sont très engagés et attachés à leur pays. «On retrouve tout un discours politique et social dans leurs œuvres, relève la doctorante. Même s’ils vivent à l’étranger, les artistes iraniens ne coupent jamais les liens avec l’Iran, ils sont très au fait de l’actualité grâce, entre autres, à Internet et aux médias sociaux. On peut couper l’artiste de son pays ou de sa famille, on peut lui interdire de retourner chez lui, mais on ne pourra jamais lui enlever sa culture, sa mémoire collective et ses références culturelles.»

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Hanieh Ziaei. Photo: Nathalie St-Pierre

Selon la doctorante, un bon nombre d’artistes emploient l’humour, le pastiche et l’ironie dans leurs œuvres afin de critiquer le gouvernement iranien et ses pratiques. Le caricaturiste Mana Neyestani, qui a été emprisonné en 2006 à cause d’un de ses dessins, en est un bel exemple. Sa création s’inspire du quotidien iranien, et ce, même s’il vit désormais en exil à Paris. Malgré la gravité de son propos, l’illustrateur utilise l’humour et le sarcasme afin de faire passer son message. Ses caricatures abordent différents thèmes comme la violation des droits de l’homme, la violence à l’égard des femmes, l’homosexualité ainsi que le mouvement vert, qui s’est opposé à l’élection de Mahmoud Ahmadinejad en 2009. «Ce sont des sujets tabous, dont on ne peut parler dans l’espace public en Iran, sous menace de répression sévère», dit celle qui est aussi coordonnatrice et chercheuse en résidence à l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand. D’autres artistes vont s’intéresser au corps, en particulier à celui de la femme, à la sexualité et à la nudité. «Des thèmes qui sont encore une fois tabous en Iran», poursuit Hanieh Ziaei.

Les artistes iraniens sont très présents dans l’espace virtuel. «C’est le seul endroit où ils peuvent s’exprimer librement, souligne la chercheuse. Présenter leurs œuvres sur Facebook ou sur un site Web est un bon moyen de faire connaître leur travail en contournant le régime.» Entre les artistes et les autorités iraniennes, c’est le jeu du chat et de la souris. Du jour au lendemain, les blogues et les sites peuvent fermer ou être bloqués par les autorités. «Mais les artistes ne se laissent pas abattre. Ils ouvrent un autre blogue ou un site Web dès le lendemain! C’est une société qui n’hésite pas à prendre la parole malgré la peur», observe la chercheuse, qui a elle-même dû faire preuve de prudence afin de protéger les artistes qu’elle a interrogés pour les besoins de sa recherche.

«Je dois chercher les moyens les plus sécuritaires pour les contacter afin qu’ils n’aient pas de problèmes avec les autorités. Leurs témoignages doivent pour la plupart rester anonymes.» Car les représailles peuvent être sévères. «En Iran, ce n’est pas seulement l’individu qui sera marqué, mais tout son cercle: ses voisins, ses amis, sa famille et ses collègues de travail seront touchés par les pressions du gouvernement», explique Hanieh Ziaei. Le but des autorités est d’instaurer un climat de peur afin de pousser les individus à la dénonciation et de prévenir d’éventuelles déclarations anti-régime.

Autocensure

Les artistes iraniens souffrent aussi d’autocensure. Une censure encore plus dommageable que celle mise de l’avant par l’État, croit la chercheuse. «Le poids de la censure est trop lourd à porter. Certains ont tellement bien intégré les restrictions qu’ils n’arrivent plus à créer. Il y a beaucoup de désillusion.»

«On peut retrouver deux expositions dans une galerie: l’officielle, qui regroupera les tableaux approuvés par les autorités, et l’officieuse, qui présentera tous les tableaux sans censure ou certains tableaux plus sensibles, montrés dans un lieu plus difficilement accessible, comme un sous-sol»

Hanieh Ziaei

On retrouve malgré tout une vie artistique foisonnante en Iran, en particulier dans la capitale, à Téhéran. Bien que toute production artistique et culturelle (musique, tournage d’un film, publication, exposition…) doit avoir obtenu au préalable l’autorisation des instances gouvernementales, les artistes usent encore une fois de subterfuges pour contourner la censure. «On peut retrouver deux expositions dans une galerie: l’officielle, qui regroupera les tableaux approuvés par les autorités, et l’officieuse, qui présentera tous les tableaux sans censure ou certains tableaux plus sensibles, montrés dans un lieu plus difficilement accessible, comme un sous-sol», illustre la doctorante.

Hanieh Ziaei reste optimiste sur l’avenir de l’Iran. «C’est une société jeune, très éduquée, dynamique, curieuse, assoiffée de culture et de nouveauté. La jeunesse, qui constitue plus de 75% de la population, est porteuse de changement», conclut-elle.