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Retraite: et ceux qui meurent jeunes?

Les politiques publiques en matière de régimes de retraite devraient tenir compte de la longévité, affirme une étude.

Par Pierre-Etienne Caza

20 octobre 2014 à 13 h 10

Mis à jour le 20 octobre 2014 à 13 h 10

Le projet de loi 3 sur la pérennité des régimes de retraite n’a pas fini de faire jaser. Pendant que l’on discute abondamment des pourcentages de cotisation, de l’indexation des rentes et du remboursement des déficits accumulés, certains chercheurs se penchent sur d’autres aspects peu explorés jusqu’ici… comme les différences de longévité. «Actuellement, les régimes publics permettent aux retraités de toucher un pourcentage donné de leur salaire et ne tiennent pas compte de la longévité. Or, ce genre de redistribution est inéquitable, car certaines personnes meurent plus jeunes que d’autres et ne profitent pas des sommes épargnées», soutient Marie-Louise Leroux, professeure au Département des sciences économiques et coauteure de l’article «Compensating the dead», publié dans Journal of Mathematical Economics.

À salaire égal et à bonheur égal, quelqu’un qui meurt jeune aura, théoriquement, moins de plaisir dans sa vie que quelqu’un qui meurt vieux. «Il y a là une inégalité profonde et peu de recherches ont exploré les manières de compenser les personnes qui meurent jeunes», souligne Marie-Louise Leroux, qui s’intéresse à cette problématique depuis sa thèse de doctorat et qui est membre de la Chaire de recherche Industrielle Alliance sur les enjeux économiques des changements démographiques.

Un modèle théorique

Mais comment les compenser quand on sait qu’il est impossible d’identifier les gens qui mourront jeunes ? «Il existe pourtant une solution assez simple, affirme la chercheuse. Il suffit de concentrer la consommation de biens qui procurent du plaisir dans la première partie de notre vie.»

Marie-Louise Leroux Photo: Émilie Tournevache

Supposons que les gens ne meurent pas entre 20 et 40 ans, mais que certains meurent à partir de 40 ans. «L’idée serait de dépenser sans compter entre 20 et 40 ans et de faire en sorte que la vie ne soit qu’une forme de subsistance pour ceux qui survivent après 40 ans, précise Marie-Louise Leroux. Bien sûr, le but n’est pas de rendre la vie des gens misérable. Il s’agit de réduire les inégalités entre ceux qui meurent jeunes et ceux qui meurent vieux.» Ce type de modèle théorique relève de l’économie dite de choix social, qui repose sur des fondements éthiques et philosophiques.

Dans le débat sur les régimes de retraite, on entend souvent dire qu’il faut repousser l’âge de la retraite et inciter les gens à épargner davantage. «Selon notre perspective, il n’est pas souhaitable de pousser les gens à épargner plus car on créé ainsi des inégalités entre ceux qui vivront vieux et profiteront de leurs épargnes et ceux qui mourront jeunes et n’en profiteront pas, observe Marie-Louise Leroux. En revanche, travailler plus longtemps réduit ce type d’inégalités.»

Un bon sujet de recherche

Une façon moins extrême de tenir compte de la longévité serait de différencier les âges de la retraite en fonction de caractéristiques socioprofessionnelles et socioéconomiques. Selon cette approche, un professeur d’université, par exemple, devrait travailler plus longtemps qu’un ouvrier, puisque son espérance de vie est plus élevée. «Mais faire de la catégorie d’emploi le seul facteur lié à l’espérance de vie soulèverait un problème éthique», souligne la chercheuse. On pourrait aussi affirmer que les femmes vivent plus longtemps que les hommes ou que les Blancs vivent plus longtemps que les Noirs. Ces données sont scientifiques, mais de là à les intégrer dans une refonte des politiques publiques… «C’est trop explosif socialement pour l’envisager», affirme la spécialiste.

Marie-Louise Leroux estime néanmoins que l’on pourrait effectuer une recherche intéressante en tenant compte des caractéristiques socioprofessionnelles. «Cela a été étudié en France et aux États-Unis, rappelle-t-elle. Nous aimerions le faire au Québec, mais pour cela, il faut que la Régie des rentes et le ministère du Revenu nous donnent accès à des données confidentielles, car nous devons croiser les chiffres concernant les pensions de retraite avec ceux des salaires gagnés durant la vie active.» Un bon sujet pour un candidat à la maîtrise ou un doctorant motivé? «Absolument!», conclut la chercheuse.