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Un mardi en banlieue

David B. Hanna révèle les dessous de la banlieue dans le cadre d’un cours-terrain.

Série

En classe!

Par Pierre-Etienne Caza

16 octobre 2015 à 11 h 10

Mis à jour le 2 juin 2022 à 22 h 08

On entend souvent parler de la banlieue. «Il s’agit d’une généralisation qui induit en erreur, car il existe plutôt des banlieues, parfois cinq, six ou sept espaces morphologiques distincts autour d’une même ville», observe le professeur David B. Hanna, du Département d’études urbaines et touristiques de l’ESG UQAM. En ce matin d’octobre, le professeur a entraîné une vingtaine d’étudiants, inscrits pour la plupart au baccalauréat en urbanisme ou à la majeure en études urbaines, dans la couronne nord de Montréal pour une visite commentée de cinq types de banlieue. La visite fait partie du cours «Dimensions morphologiques et patrimoniales de la ville».

Ce n’est pas un hasard si l’autobus qui transporte le groupe s’arrête d’abord à la gare de Rosemère. «La banlieue ferroviaire est le premier type de banlieue à avoir vu le jour au Québec», souligne David B. Hanna. La première ligne de train de banlieue de la grande région de Montréal – vers Lachine – a été mise sur pied en 1848, précise-t-il. Un siècle plus tard, Montréal comptait 12 lignes de train de banlieue et faisait partie des capitales ferroviaires de l’Amérique du Nord au même titre que Chicago, Boston et New York.

Certaines maisons de cette banlieue ferroviaire de Rosemère étaient à l’origine des chalets d’été que leurs propriétaires ont rénovés pour y passer l’année.Photo: Nathalie St-Pierre

Dans les années 1950, l’essor de la voiture a contribué au déclin du train, les autorités allant jusqu’à réduire le service à deux lignes dans les années 1980. «On s’est réveillé collectivement dans les années 1990 en constatant le trafic monstrueux sur les ponts de l’île de Montréal, raconte le professeur Hanna. On évalue aujourd’hui les coûts de la congestion automobile à deux milliards de dollars annuellement.»

L’Agence métropolitaine de transport (AMT) a été créée en 1996 pour trouver des solutions à ce casse-tête et on a progressivement ajouté quelques lignes de train de banlieue. «Il en existe six aujourd’hui», précise le professeur avant de se taire pour laisser place au train qui arrive en sifflant. Il est 10 h 12. Le train s’immobilise et laisse descendre quatre passagers. Aucun ne monte. Il repart. «Vous venez d’être témoins de la problématique classique des dessertes de train de banlieue: la demande est forte aux heures de pointe le matin et le soir, mais insuffisante le reste de la journée», souligne David B. Hanna.

Il invite ensuite les étudiants à remonter dans l’autobus pour un survol des caractéristiques de la banlieue ferroviaire, développée autour d’une gare située à proximité d’un axe routier important, souvent une route rurale qui traverse la municipalité. À Rosemère, il s’agit du chemin de la Grande-Côte, parallèle à la rivière des Mille Îles. Plusieurs services et commodités se trouvent sur ce chemin, à quelques minutes de voiture de la gare: bibliothèque, épicerie, pharmacie, etc. Dans les rues avoisinantes, toutes très étroites et sans trottoir, on retrouve surtout des maisons unifamiliales. Certaines étaient auparavant des chalets d’été que leurs propriétaires ont rénovés pour y passer l’année. Plus près de la rivière apparaissent des maisons plus cossues. «La banlieue ferroviaire abrite toutes les classes sociales», fait remarquer le professeur.

La banlieue romantique

Quelques minutes plus tard, nous débarquons au milieu d’un quartier aux rues sinueuses, avec des maisons entourées de grands pins et d’érables matures, construites sur des terrains vastes au point qu’il n’y a pas besoin de clôtures pour délimiter chaque propriété. C’est la ville dans la nature. «Les règlements d’urbanisme sont importants pour préserver l’harmonie d’ensemble et encadrer le développement dans ce type de banlieue, dite romantique. Il suffit d’un seul propriétaire pour gâcher l’ensemble», illustre le professeur en désignant une maison moderne à l’entrée asphaltée et à la haie de cèdre monstrueuse. «N’oubliez pas: il faut toujours prendre soin d’expliquer aux gens l’héritage dans lequel ils vivent, ajoute-t-il. Les trois étapes clés de l’approche urbanistique sont l’éducation populaire, la consultation et l’adoption de règlements.»

Des maisons entourées de grands pins et d’érables matures, construites sur des terrains vastes au point qu’il n’y a pas besoin de clôtures pour délimiter chaque propriété: c’est la banlieue romantique. Photo: Nathalie St-Pierre

Les étudiants se prononcent ensuite sur ce type de banlieue, trop faiblement densifiée selon eux. «Devrait-on réaménager ce type de quartier?», demande Jean-François Therrien, inscrit à la mineure en urbanisme opérationnel. «Non, répond David Hanna. Il ne faut plus créer des banlieues comme celles-ci, mais cela ne veut pas dire qu’il faille raser celles qui existent sous prétexte de densification. Ce sont des oasis de paix à préserver.»

L’effet NIMBY

La solution aux problèmes de congestion des autoroutes montréalaises réside dans une meilleure occupation du territoire. Comme on ne peut pas développer les banlieues à l’infini, il faudra bien se résoudre un jour à réaménager celles qui existent. Dans le jargon, on parle de densification du territoire, un concept que les étudiants semblent avoir bien intégré. Par exemple, la construction d’une tour d’habitation permet de densifier un secteur plus facilement qu’une vingtaine de maisons unifamiliales. «En théorie, c’est facile. Mais c’est sans compter sur l’effet NIMBY – not in my backyard  ou “pas dans ma cour”–, qui constituera votre principal défi, les prévient David B. Hanna. Personne ne veut que des projets de réaménagement viennent perturber son coin de territoire.»

La gated community

Un mur et une guérite signifient clairement aux intrus qu’ils ne sont pas les bienvenus dans cette gated community de Rosemère.Photo: Nathalie St-Pierre

Le troisième arrêt de l’avant-midi a lieu aux Jardins Valmer, une gated community construite dans les années 1990 face au centre commercial Place Rosemère. Un mur et une guérite signifient clairement aux intrus qu’ils ne sont pas les bienvenus. «Ce type de banlieue est très rare au Québec, mais très populaire aux États-Unis, rappelle David Hanna. Les rues de cette communauté ne sont pas publiques, pas plus que les égouts, l’aqueduc et le ramassage des poubelles: tout est privé.»

Pourquoi habiter ce genre d’endroit? «Pour se sentir en sécurité – mais on se demande bien face à quel danger – et pour le prestige, note le professeur. Le promoteur a vendu le concept à des acheteurs qui se retrouveront dans une vingtaine d’années à devoir payer des sommes astronomiques pour refaire les égouts et les rues.» Et David Hanna d’ajouter avec un sourire: «En réalité, ce sont surtout des attrape-nigauds.»

La banlieue ouvrière

La grande région de Montréal compte plusieurs banlieues ouvrières formées de plex, comme c’est le cas dans ce quartier de Boisbriand.Photo: Nathalie St-Pierre

Dans le reste de l’Amérique du Nord, la banlieue est réservée à la classe moyenne et à la classe bourgeoise. «Il n’y a qu’au Québec où la classe ouvrière a accédé à la banlieue», affirme David Hanna alors que l’autobus arrive à Boisbriand. C’est le royaume des plex: duplex, sixplex, huitplex. «Les stationnements extérieurs sont très laids et l’absence de trottoirs est déplorable, mais l’ensemble est fonctionnel», souligne le professeur.

La grande région de Montréal compte plusieurs banlieues ouvrières formées de plex, explique-t-il. L’avantage urbanistique de ce type de banlieue est sa densité. On y trouve des logements bons marchés et les emplois sont souvent situés à proximité, de même que tous les services et commodités nécessaires, ce qui augmente la qualité de vie des résidents.

Le TOD

Le dernier arrêt de ce cours-terrain s’effectue à la gare de Sainte-Thérèse, située en plein cœur du premier projet québécois de transit-oriented development (TOD), développé au début des années 2000. Selon ce concept, on doit développer les quartiers autour d’un axe principal de transport en commun et de services de proximité, comme l’ont fait avec succès les villes américaines de Portland, en Oregon, et d’Alexandrie, en Virginie. «Tout près du pôle de transport, on doit retrouver des commerces et des services, des bâtiments d’habitation en hauteur, des espaces verts et de la place pour que les piétons puissent circuler, explique David Hanna. On peut même se permettre de mixer les types de logement à mesure qu’on s’éloigne du pôle de transport.»

Le transit-oriented development (TOD) de Sainte-Thérèse est raté sur tous les plans, affirme David B. Hanna. «Nous sommes entourés de stationnements incitatifs alors que la zone autour de la gare est la plus précieuse», fait-il remarquer. Photo: Nathalie St-Pierre

En désignant l’environnement qui nous entoure, le professeur demande aux étudiants ce qui cloche. «Il n’y a pas de commerces!» lance Didier Ricard-Tremblay, inscrit à la majeure en études urbaines. «Tout juste, répond David Hanna. Mais encore?» Un train interrompt les échanges, entre en gare et laisse descendre des dizaines d’étudiants avant de repartir vers Saint-Jérôme. Le professeur poursuit: «Vous voyez un TOD raté sur tous les plans. Nous sommes entourés de stationnements incitatifs alors que la zone autour de la gare est la plus précieuse, fait-il remarquer. Il n’y a effectivement aucun commerce, aucune tour d’habitation digne de ce nom, aucune place publique avec de la verdure et, en plus, il y a des clôtures qui empêchent les résidents d’accéder facilement à la gare.»

Le professeur Hanna estime pourtant que les TOD bien réussis représentent la solution idéale pour densifier les banlieues et rentabiliser les transports collectifs. «Les défis à relever ne manqueront pas dans votre carrière, dit-il à ses étudiants. Ce sera à vous de trouver des solutions viables qui sauront améliorer le mieux-être collectif.»

Trois sorties en un trimestre

Outre la sortie dans la couronne nord de Montréal pour étudier les banlieues, les étudiants du cours de David B. Hanna se sont rendus dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce le 29 septembre dernier afin d’observer comment fonctionne la mixité sociale et apprendre à lire et à décoder les styles architecturaux des maisons. Ils se rendront également à Saint-Hyacinthe le 27 octobre pour réfléchir aux façons de résoudre le problème d’une ville-beigne, lorsque le centre-ville traditionnel est déserté au profit d’un pôle en périphérie, où s’est implanté un centre commercial.