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Femmes et filles

Une professeure, deux étudiantes à la maîtrise et le Service aux collectivités sont impliqués dans l’élaboration d’un projet original de mentorat.

Par Pierre-Etienne Caza

30 janvier 2015 à 9 h 01

Mis à jour le 30 janvier 2015 à 9 h 01

Photo: iStock

L’idée est lumineuse: jumeler des jeunes filles à risque d’exploitation sexuelle avec des femmes aînées afin de leur permettre de vivre une expérience de mentorat enrichissante. L’instigatrice de ce projet est une étudiante à la maîtrise en communication, Mireille Hébert, qui travaille au Centre des femmes de Montréal-Est/Pointe-aux-Trembles.

Il y a quelques années, Mireille Hébert a participé à «Ridées mais pas fanées», une initiative de la professeure Michèle Charpentier, de l’École de travail social, qui a connu beaucoup de succès à travers la province. «Plusieurs femmes aînées disaient avoir du temps à offrir et se montraient préoccupées par ce qu’elles percevaient comme un recul du féminisme chez les jeunes filles d’aujourd’hui, notamment dans le contexte de l’hypersexualisation, raconte l’étudiante. Je me suis dit qu’il devait y avoir un moyen de réunir ces femmes aînées avec les filles que je côtoie dans mon travail, lesquelles expriment parfois le besoin d’établir une relation significative sur le plan affectif avec une personne en dehors de leur réseau familial ou des institutions.»

Inscrite à des cours du programme court de deuxième cycle en mentorat, Mireille Hébert a fait la rencontre de la professeure Nathalie Lafranchise, du Département de communication sociale et publique. Leurs discussions ont mené à son passage à la maîtrise et à la mise sur pied de ce projet de formation en mentorat, réalisé par le Service aux collectivités de l’UQAM et la professeure Lafranchise, en partenariat avec le Centre des femmes de Montréal-Est / Pointe-aux-Trembles. Mireille Hébert agit à titre de chargée de projet pour ce dernier.

Un besoin d’écoute

Les deux chercheuses ont d’abord effectué un sondage dans deux écoles de Pointe-aux-Trembles auprès de 65 jeunes filles âgées entre 12 et 17 ans, jugées à risque d’exploitation sexuelle par les intervenants. Elles leur ont posé des questions sur leur famille, leur consommation d’alcool et de drogue, leurs habitudes sexuelles, etc. «Nous voulions vérifier si elles présentaient des facteurs de risque», explique Nathalie Lafranchise. Certaines jeunes filles n’en présentaient pas ou peu. «Celles qui nous intéressaient présentaient trois facteurs de risque ou plus. Il y a en avait 29 dans l’échantillon», précise Mireille Hébert.

Mireille Hébert et Nathalie LafranchisePhoto: Nathalie St-Pierre

Interrogées à savoir si elles aimeraient développer une relation significative avec une femme de plus de 50 ans, ces 29 jeunes filles ont répondu par l’affirmative dans 72 % des cas. «On aurait pu s’attendre à ce qu’elles souhaitent être en relation avec une femmes qui exerce ou a exercé le métier qu’elles aimeraient faire, ou qui aurait vécu le même genre de parcours, mais non, souligne Nathalie Lafranchise. Ce qui ressort le plus de notre sondage, c’est leur besoin d’être écoutées. Ces jeunes filles veulent s’exprimer auprès de quelqu’un de bienveillant qui ne les juge pas. C’est directement en lien avec toutes les études sur les qualités d’un bon mentor, car l’écoute vient toujours au premier rang.»

Le sondage a permis aux chercheuses de jauger le type d’activités qu’aimeraient faire les jeunes filles avec des femmes aînées: des soupers-causeries, des activités culturelles et sportives, des randonnées en ville et des séances de création collective (théâtre, vidéo, etc.). «J’ai organisé des soupers-causeries au début des années 2000 avec des femmes aînées et des jeunes filles pour qu’elles puissent parler de sexualité. Et ça fonctionnait», se souvient Mireille Hébert.

Ce projet répondra donc aux besoins exprimés par les jeunes filles, estiment les deux chercheuses, mais aussi à celui des aînées, notamment en ce qui concerne la générativité, c’est-à-dire le besoin, au mitan de sa vie, entre 40 et 65 ans, de transmettre quelque chose à la génération suivante. «Je perçois chez les femmes aînées que je croise dans le cadre de mon travail un besoin de développer une solidarité féminine entre femmes et filles, notamment en regard de la cause féministe», explique Mireille Hébert.

Un projet en co-construction

Le projet de formation est présentement en cours d’élaboration. «Nous n’arrivons pas avec un programme de mentorat préétabli, explique Nathalie Lafranchise. Nous le construisons au fur et à mesure de nos discussions au sein d’un comité-contenu.»

Les membres du comité-contenu

Nathalie Lafranchise, professeure
Lyne Kurtzman, agente de mobilisation, Service aux collectivités
Josiane Cadotte, étudiante à la maîtrise en communication
Mireille Hébert, chargée de projet, Centre des femmes de Montréal-Est / Pointe-aux-Trembles (CDFMEPAT)
Dorette Mekamdjio, directrice, CDFMEPAT
Gisèle Pomerleau, représentante aînée, CDFMEPAT
Michelle Simon, représentante aînée, CDFMEPAT
Mélanie Carpentier, représentante des jeunes filles à risque, directrice de la Maison de Mélanie et auteure du livre J’ai été une esclave sexuelle: se sortir des gangs de rue (Béliveau éditeur, 2013)

Les femmes mentors seront approchées, entre autres, par l’entremise du Comité femmes de l’Association des retraitées et des retraités de l’enseignement du Québec, l’Association féminine d’éducation et d’action sociale, et les centres communautaires Roussin et Le Mainbourg, qui hébergent de multiples organismes communautaires.

Les deux chercheuses visent la formation de 10 dyades pour leur projet-pilote. «Nous souhaitons qu’elles se choisissent mutuellement, explique Mireille Hébert. Pour cela, il faudra sans doute mettre en contact 20 aînées et 20 jeunes filles dans le cadre d’activités informelles.»

Un concept exportable

Si le programme fonctionne, elles aimeraient l’exporter dans d’autres arrondissements, comme Montréal-Nord ou Rivière-des-Prairies, qui sont ciblés comme étant des quartiers à risque d’exploitation sexuelle pour les jeunes filles en raison de la présence de noyaux durs de gangs de rue. «Le modèle pourra être adapté à d’autres quartiers ou d’autres villes, mais il faudra s’assurer de faire un sondage auprès de la population des jeunes filles pour bien l’affiner en fonction de leurs besoins, précise Nathalie Lafranchise. C’est la clé d’un programme de mentorat efficace.»