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De l’histoire au patrimoine

Un colloque souligne les 10 ans du Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal.

Série

Acfas 2016

Par Claude Gauvreau

10 mai 2016 à 10 h 05

Mis à jour le 11 mai 2016 à 9 h 05

L’ancien complexe industriel Raymond, situé dans le quartier Centre-Sud de Montréal, a conservé la passerelle reliant deux de ses parties. Depuis 1995, l’usine C, un centre de création et de diffusion pluridisciplinaire, occupe les anciens entrepôt et chaufferie.

La professeure du Département d’histoire Joanne Burgess, directrice de l’Institut du patrimoine de l’UQAM, entretient depuis près de 30 ans une relation passionnée avec Montréal. Le Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal, qu’elle a fondé en 2006, n’a pas d’équivalent ailleurs au Canada. Pour souligner le 10e anniversaire de ce laboratoire, qui a énormément contribué à la diffusion des connaissances sur le patrimoine montréalais, elle organise, en collaboration avec son collègue Paul-André Linteau, le colloque De l’histoire au patrimoine: état des lieux et perspectives, qui aura lieu les 10 et 11 mai dans le cadre du congrès de l’Acfas.

«Ce sera l’occasion de faire le point sur les contributions du Laboratoire à l’histoire de Montréal, aux études patrimoniales et au développement d’outils numériques», précise la professeure qui, en 2015, a remporté le Prix Carrière André-Laurendeau (sciences humaines) de l’Acfas.

«Le laboratoire a réalisé plusieurs projets de recherche et d’expositions avec, notamment, le Musée McCord, l’Écomusée du fier monde, le Centre d’histoire de Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, le ministère de la Culture, la Ville de Montréal et des associations de quartier.»

Joanne BuRgess,

Fondatrice du Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal

Le colloque témoignera également de l’importance des partenariats dans les travaux du Laboratoire. Les conférenciers invités proviendront à la fois du champ universitaire  et des milieux de la pratique en patrimoine et en muséologie. Ensemble, ils examineront les retombées de leur collaboration et réfléchiront à la façon de renforcer leurs liens. «Le laboratoire a réalisé plusieurs projets de recherche et d’expositions avec, notamment, le Musée McCord, l’Écomusée du fier monde, le Centre d’histoire de Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, le ministère de la Culture, la Ville de Montréal et des associations de quartier», rappelle Joanne Burgess.

Une histoire montréalaise

Au cours des 10 dernières années, le Laboratoire a mené de nombreuses recherches dans le domaine de l’histoire urbaine, qui ont donné lieu à des publications scientifiques, à des colloques et à des expositions. «Nous avons organisé, notamment, un colloque sur l’évolution des structures municipales et de la participation citoyenne depuis la Nouvelle-France jusqu’à aujourd’hui, et un autre sur l’histoire, la mise en valeur et l’interprétation patrimoniale du Vieux-Montréal», souligne la professeure.

Le Laboratoire s’est beaucoup intéressé à l’histoire des espaces urbains montréalais – quartiers, rues – en l’inscrivant dans une dynamique économique et sociale. «Le professeur Paul-André Linteau a ainsi publié un ouvrage sur l’histoire économique, sociale et culturelle de la rue Sainte-Catherine, à la suite d’une exposition», note Joanne Burgess. D’autres travaux ont été entrepris sur la vie commerciale et ses acteurs, comme  le rôle des grands magasins, aux 19e et 20e siècles.

En 2012, la professeure a reçu une importante subvention de plus de 2 millions de dollars du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) pour un vaste chantier de recherches intitulé Montréal, plaque tournante des échanges : histoire, patrimoine, devenir. Ce chantier chapeaute plusieurs projets de recherche et réunit une vingtaine de chercheurs et collaborateurs. L’objectif est de brosser un portrait historique du rôle de Montréal comme carrefour social, économique et culturel, et comme moteur du développement durant les années –1820 à 1960 – où la ville jouissait du statut de métropole canadienne.

Patrimoine méconnu

Le Laboratoire a toujours manifesté un intérêt particulier pour le patrimoine industriel, lequel regroupe des éléments matériels (bâtiments, équipements, machines, outils) et immatériels (savoir-faire reliés au monde du travail, histoires d’entreprises). Les activités de production et de transformation liées à l’industrialisation de Montréal ont laissé de nombreuses traces patrimoniales, qu’il s’agisse de bâtiments industriels, de logements ou de quartiers ouvriers, qui ont contribué à dessiner un paysage urbain particulier.

«Contrairement au patrimoine religieux, le patrimoine industriel est encore méconnu, faiblement mis en valeur et parfois mal aimé des Montréalais.»

«Contrairement au patrimoine religieux, le patrimoine industriel est encore méconnu, faiblement mis en valeur et parfois mal aimé des Montréalais, observe Joanne Burgess. Même quand les bâtiments sont conservés et transformés, leur signification historique est effacée. Dans le Vieux-Port, on a beaucoup investi dans les équipements touristiques, les spectacles et les festivals, au détriment parfois de l’interprétation et de la connaissance du patrimoine. Chose certaine, la sauvegarde des bâtiments industriels sert la mémoire collective en faisant de ces lieux des témoins privilégiés de l’évolution économique, technique et sociale.»

Virage numérique

L’apport du numérique à la production scientifique, à la transmission des connaissances et à la valorisation du patrimoine est un autre thème important du colloque. Selon l’historienne, les pratiques muséales et presque tous les aspects de la connaissance, de la documentation, de la gestion et de la mise en valeur des divers patrimoines sont en voie d’être transformés par le numérique.  

«Au Laboratoire, nous nous sommes d’abord attaqués au transfert des connaissances à l’aide d’outils numériques. Nous avons ainsi collaboré avec la Ville de Montréal dans le cadre de deux projets importants susceptibles d’intéresser de larges publics: l’histoire des grandes rues de Montréal et une bibliographie des études sur l’histoire de Montréal, laquelle réunit quelque 10 000 notices. De plus, nous lancerons lors du colloque une histoire chronologique de Montréal, un projet mené en partenariat avec le Service des archives de la ville de Montréal.» Cette plateforme numérique, qui sera hébergée sur les sites web du Laboratoire et du Service des archives, abordera diverses thématiques économiques, sociales et culturelles.

Un autre volet du travail du Laboratoire concerne la modélisation 3D/4D. «Avec l’Écomusée du fier monde, nous avons monté récemment une exposition qui présentait une reconstitution virtuelle du complexe industriel Raymond dans le quartier Centre Sud de Montréal, souligne Joanne Burgess. Un environnement numérique interactif 3D/4D reliait des objets, des textes, des photos et des documents sonores. De plus, une infrastructure de données historiques géospatialisées permettait d’identifier les zones d’approvisionnement de l’usine. Enfin, grâce à une borne interactive 4D, le visiteur pouvait parcourir le complexe architectural et suivre son évolution au fil du temps en choisissant le lieu et l’époque qu’il souhaitait observer.» Un autre projet du même type, mené avec le ministère de la Culture et des Communications du Québec, portera sur l’évolution de quatre gares de Montréal ayant toutes un statut patrimonial.

Le troisième volet touche la cartographie et les systèmes d’information historique. «Nous avons des projets visant à représenter et à visualiser des données sur des cartes, comme nous l’avons fait pour les zones d’approvisionnement en produits de l’usine Raymond.», note la professeure.

Tensions mémorielles

Le colloque se penchera, par ailleurs, sur les rapports complexes et parfois malaisés entre histoire, patrimoine et mémoire. «Il arrive qu’une tension se manifeste entre différentes volontés mémorielles, dit Joanne Burgess. Les grandes commémorations historiques visant à célébrer, sur un mode festif, les grands personnages et événements du passé peuvent s’opposer à une approche historique qui exige de prendre en compte la complexité et le caractère parfois peu glorieux, voire conflictuel, de certains événements. Le défi consiste aussi à rendre le contenu historique pertinent et intéressant pour le grand public, tout en dégageant un sens pour le temps présent.»